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Créances douteuses: le groupe Pabari enfonce la SBM et Sattar Hajee Abdoula

31 août 2022, 10:00

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Créances douteuses: le groupe Pabari enfonce la SBM et Sattar Hajee Abdoula

Alors que se tient ce matin l’assemblée générale annuelle de SBM holdings, un affidavit juré au Kenya, en juin, apporte des éléments troublants dans la gestion par la banque de cette affaire de prêts à risque de Rs 4,5 milliards. Les frères Pabari et Kotecha font de graves allégations à l’encontre de Sattar Hajee Abdoula. Celui-ci aurait, selon eux, agi en situation de conflit d’intérêts, d’une part comme CEO de Grant Thornton responsable du recouvrement et du transfert de dettes du groupe Pabari, et, d’autre part, comme chairman de la SBM Holdings, s’ingérant dans cette affaire. La SBM a fait trois volte-face quant à la manière de sauver cet argent qu’elle aurait pu avoir récupéré depuis avril 2020, disent-ils.

C’est la première fois que des informations plus précises sont rendues publiques dans cette affaire de créances douteuses du groupe kenyan Pabari Investment qui tourmente la SBM depuis 2018, grâce à des documents légaux provenant du Kenya. On apprend ainsi que tout a commencé en août 2019, lorsque l’auditeur externe de la SBM, Ernst & Young (EY), a découvert que la banque avait dépassé la limite de son exposition au risque pour un client («exceeded single borrower limit») concernant les prêts accordés à des sociétés qui faisaient en fait partie du groupe Pabari.

On ne sait comment tous ces directeurs du board, ces nombreux comités et sous-comités, managers, spécialistes, experts, auditeurs internes, juristes maison et d’autres du privé, de même que les inspecteurs de la Banque de Maurice ont fait pour ne pas remarquer que cette concentration de risques était non seulement dangereuse mais illégale. Les enquêtes, comités disciplinaires, mises à pied, démissions et fuite à l’étranger n’ont pas réussi à déterminer les responsables de cette bévue monumentale.

Mais revenons à août 2019. Mise au courant de cette surexposition par les auditeurs d’EY, la SBM a réagi promptement, contrairement à ce qui se passera par la suite. Elle prie le groupe Pabari qu’il fasse reprendre une dette de USD 85 millions (Rs 3,6 milliards), qui représente les trois quarts de celle du groupe qui est de USD 104,5 millions, par une autre institution financière. Même si les Pabari pouvaient refuser d’accéder à cette demande, ils ont démontré leur bonne foi, disent-ils dans un affidavit juré en cour de Mombasa, daté du 14 juin, qu’ils le feraient et ont même trou- vé un repreneur, la KCB Bank Kenya Ltd (KCB). Deux premières dettes pour USD 60 millions en tout ont bien été transférées à KCB. Il ne restait que USD 25 millions.

Une transaction deux cabinets

C’est là que les ennuis commencent. Lorsque KCB nomme, en avril 2020, le cabinet légal Walker Kontos & Company Advocates pour s’occu- per de cette reprise de la dette, voilà que la SBM propose à son tour son propre cabinet d’avo- cats, Dentons Mauritius LLP, pour s’occuper de ce dossier. Et cela, bien que Kontos avait déjà agi pour la SBM et KCB lors des transferts des dettes de USD 60 millions. D’ailleurs, cette firme kenyane a travaillé avec la SBM du Kenya depuis 20 ans, nous dit-on, et est beaucoup moins chère. Nous tairons le montant réclamé par Dentons Mauritius Ltd.

Pourquoi la SBM a-t-elle voulu avoir recours à Dentons, on ne le sait. Mais il est bon de sa- voir que ce cabinet figure parmi le panel légal de la SBM. Toujours est-il qu’à la fin, la SBM accepte de ne prendre que Kontos, les Pabari contestant le manque d’«historical background» de Dentons Mauritius LLP mais surtout les frais «colossaux» à encourir par l’emploi de deux firmes.

Sollicité, Me Robin Mardemootoo, de Dentons Mauritius LLP, nous dit qu’il n’est pas au courant de cette démarche de la SBM et ne s’en souvient pas, tout en ajoutant que si la démarche n’a pas abouti, il n’en saurait rien.

Retour au 27 mai 2020. La SBM demande et obtient de Kontos un «draft proposal» de la transaction. La SBM n’approuve ni ne désapprouve la proposition et garde un silence inquiétant. Jusqu’au 15 juillet 2020 – pas pressée, visiblement – lorsqu’elle annonce, à la grande surprise des uns et des autres, qu’elle revient sur sa décision de transférer les USD 25 millions à KCB. Et envisage maintenant de procéder à des démarches radicales de recouvrement de dettes, ce qui pourrait impliquer une mise sous administration ou mise en liquidation des sociétés des Pabari.

Le 17 juillet 2020, la SBM, à travers Dentons Mauritius LLP, dit l’affidavit, s’exécute en intimant l’ordre aux Pabari de rembourser tous les emprunts de USD 104,5 millions (Rs 4,5 milliards). Atterrés, les Pabari veulent une explication. La SBM les informe alors qu’elle n’est pas d’accord que l’All-Asset Debenture d’une des compagnies du groupe, Unifresh, soit transféré à KCB car manifestement la SBM venait de réaliser un peu tardivement que cela la priverait des paiements qui seront reçus du gouvernement du Kenya pour les ventes de produits effectuées et futures à ce dernier. Les Pabari rencontrent les représentants de la SBM et de KCB et cette dernière accepte peu après cette nouvelle exigence venant de la SBM et l’en informe. Mais celle-ci reste silencieuse. À noter que concernant cette demande de remboursement de tous les prêts, Me Robin Mardemootoo nous a fait cette déclaration : «We have in the past sent letters of warning to Pabari.»

Ce n’est que plusieurs mois plus tard, en mars 2021, après de nombreuses relances, que les Pabari obtiennent une réunion virtuelle avec la SBM. Mais c’est pour s’entendre dire que la SBM a encore une fois changé de position et réclame maintenant le premier rang (pari passu, en jargon bancaire) face à KCB sur la garantie offerte par les Pabari contre les dettes de USD 25 millions et le deuxième rang sur des dettes de USD 60 mil- lions supplémentaires. En gros, en cas de problème, c’est la banque au premier rang qui sera remboursée en priorité avec la garantie.

Trois changements

Les représentants de KCB Bank s’agacent et le font savoir en rappelant à la SBM que c’est la troisième fois qu’elle change les conditions et qu’ils ne sont pas disposés à retourner vers leur conseil d’administration pour obtenir une nouvelle approbation. La SBM s’incline alors et approuve le transfert des dettes de USD 25 millions vers KCB. Les documents sont prêts en octobre 2021, cela, après maints autres retards de la SBM qui promet enfin de signer avant la fin de l’année. Or, elle ne répond qu’en février 2022, promettant encore une fois que tout sera finalisé fin mars 2022 et qu’elle communiquera le nom du cabinet de juristes kenyan qui la représentera pour le transfert de la dette de USD 25 millions à KCB Bank.

Ultime surprise des Pabari le 9 juin 2022 : ce n’est pas le nom de la firme juridique kenyane qu’elle reçoit de la SBM mais une «Statutory Notice» relative aux procédures de recouvrement de dettes ! Toutes ces négociations, réunions, voyages et surtout frais légaux pendant plus de deux ans pour retourner à la case départ.

Les Pabari sont convaincus, et le disent dans leur affidavit, que la SBM s’est montrée tellement déraisonnable qu’elle ne ferait pas autrement si elle voulait en fait pousser les Pabari à violer les clauses des contrats, c’est-à-dire à ne pas rembourser ses dettes à la SBM. Et de n’avoir pas agi d’une manière à récupérer les montants dus car si elle l’avait voulu réellement, elle l’aurait fait dès avril 2020. De toute façon, remboursement ou pas, la SBM veut aller de l’avant avec les procédures de mise en liquidation ou administration. Pourquoi ?

Deux casquettes

Il semble qu’il existe un grave problème de conflit d’intérêts dans cette affaire impliquant nul autre que Sattar Hajee Abdoula, le chairman de SBM Holdings Ltd car il est aussi à la tête de la firme comptable Grant Thornton. Voici ce que disent, entre autres, les Pabari dans le même affidavit : que Sattar Hajee Abdoula a rencontré Harshil Kotecha et Benson Musili, deux directeurs de sociétés du Pabari Group, le 9 mars 2022 à 18 heures, à l’hôtel Sankara, Nai- robi ; qu’il les a menacés de faire tomber le groupe Pabari si les prêts ne sont pas remboursés avant fin mai 2022 ; qu’ils pensent qu’Abdoula jouerait sur la position privilégiée qu’il occupe concernant la restructuration de Kiscol (une autre société du groupe Pabari) ; qu’Abdoula étant président de SBM Holdings Ltd n’aurait pas dû s’ingérer dans les affaires quotidiennes de la SBM ; qu’il ne devrait pas s’acharner sur les débiteurs de la SBM personnellement ; et le plus intéressant : qu’Abdoula aurait ordonné directement ou indirectement que le dossier des Pabari soit référé à Grant Thornton dont il est le Chief Executive Officer et qu’en tant que tel, il aurait conseillé à la SBM d’entreprendre des actions contre le groupe Pabari et reprenant sa casquette de chairman de la SBMH aurait mis à exécution le conseil reçu de… lui-même.

Les Pabari (et Kotecha) ont, le 16 juin, obtenu de la Haute Cour de Mombasa une injonction temporaire contre la SBM pour que cette dernière n’aille pas de l’avant avec une éventuelle procédure d’administration ou de liquidation du groupe Pabari. Cela, en attendant que celui-ci soit convoqué en cour de même que la SBM qui aura ainsi l’occasion de contester cette injonction.

Si les Pabari disent vrai, on se demande pourquoi, après toutes les controverses autour des scandales de prêts dont celui aux Pabari notamment ; après toutes les promesses faites que la banque «will leave no stone unturned» pour récupérer ou régulariser les prêts accordés intempestivement, pourquoi donc la SBM ou du moins ses responsables tenteraient-ils de bloquer une solution visant à se débarrasser vers une autre banque kenyane d’énormes dettes et préférer une mise en liquidation des débiteurs ?

Sattar Hajee Abdoula n’a pas répondu à nos sollicitations pour sa version. Peut-être sera-t-il appelé à le faire lors de l’assemblée générale annuelle de SBM Holdings aujourd’hui, à Ébène…