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Militants déçus: «N’escamotons pas les vraies raisons…»

23 décembre 2017, 20:00

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Militants déçus: «N’escamotons pas les vraies raisons…»

Interrogés, Ajay Gunness et Rajesh Bhagwan avancent pratiquement les mêmes raisons que leur leader pour justifier la déroute de la candidate mauve Nita Juddoo. Forte abstention, votes divisés entre la gauche, personnalité d’Arvin Boolell. «L’issue de cette élection est liée à plusieurs facteurs. Le pourcentage de vote a baissé mais il faut comprendre que depuis 1976, le n°18 n’est plus un bastion mauve. Il ne faut pas faire erreur sur ce point», explique Bhagwan, avant d’ajouter que «le MMM n’a pas perdu sa caution, à l’instar du PMSD. Le taux d’abstention a joué contre nous, les fausses rumeurs et propagandes de rapprochement entre le MMM et le MSM ont aussi été à notre désavantage.» Toutefois ces excuses ne font pas l’unanimité en termes d’analyse de la défaite électorale….

Au sein des Mauves, malgré un bureau politique (BP) postpartielle plus ou moins calme, certains ne sont pas prêts à avaler la soupe que leur servent le leader, le secrétaire général et le président du MMM. Au moins quatre membres du BP ont exprimé pendant ou après le BP leurs réserves quant aux raisons mises en avant.

«Paul dit que c’est une victoire d’Arvin Boolell. Or, pendant toute la campagne il a affirmé que voter Boolell, c’est voter Ramgoolam. Donc sa parole n’a pas été écoutée. Et aujourd’hui il faut que l’on se demande si sa parole est encore écoutée», fait ressortir un membre du BP qui requiert, pour l’heure, l’anonymat. «Non, cette fois-ci l’on ne va pas faire du business as usual et simplement tourner la page.»

Un autre membre du BP ne comprend pas qu’on vienne dire qu’Arvin Boolell a remporté cette élection «en raison de sa forte personnalité». Et il s’interroge : «Mais le leader ne savait-il pas, que compte tenu du contexte politique, il devait aligner un candidat mauve qui réunissait toutes les qualités pour remporter cette élection plutôt que d’opter pour une candidate qui n’était pas connue même pas des membres du BP de son propre parti ?»

Militants déçus et fatigués

En off-record, les langues se délient et certains reconnaissent que seul votre journal peut recadrer les choses : «Officiellement, le MMM avance que la défaite est également attribuable au fort taux d’abstention. Mais Bérenger savait déjà que le taux d’abstention allait être élevé. D’ailleurs, à chacune de ses sorties, il faisait un appel contre l’abstention. Mais qu’a-t-il fait pour contrer l’abstention ? Pourquoi les électeurs mauves n’ont pas répondu à son appel ? Ce sont autant de questions qu’on doit débattre et non pas mettre sous le tapis et prétendre que tout va bien…»

Nos interlocuteurs nous disent que tant que les vraies raisons de la défaite seront escamotées, le MMM ne pourra pas remonter la pente. «Il y a des béni-oui-oui autour de Paul et ces gens-là sont dangereux pour le MMM…»

Si pour l’heure les choses sont calmes au sein du MMM, rien ne nous dit que cela va durer. C’est la période des fêtes et les militants sont déçus et fatigués. «Mais quand l’on se réveillera l’an prochain, il y aura des résolutions à prendre. Non au business as usual. Il faut du changement…»

La lente dégringolade du MMM

Une énième défaite pour le Mouvement militant mauricien (MMM) à la partielle de Belle- Rose–Quatre-Bornes remet encore une fois en question la pérennité du parti. Le parti ayant perdu son lustre d’antan, à la suite de plusieurs déconvenues électorales, plusieurs observateurs politiques s’accordent à dire que le MMM patauge aujourd’hui dans l’incertitude.

La dégringolade a été plus subtile qu’on ne le pense. En 2010 le MMM a remporté seul plus de 40 % des votes aux législatives. De par notre système électoral et l’absence du scrutin proportionnel, les défaites sont souvent exagérées. D’ailleurs, malgré ce pourcentage élevé de votes en 2010, dont 46 % au no 18, le MMM termine seulement avec 20 sièges, incluant les deux sièges additionnels de Best Losers. «Mais la recherche perpétuelle du pouvoir et le vieillissement de son électorat ont causé une inexorable érosion des valeurs du MMM», conclut un ancien parlementaire. 

Les partisans du MMM le jour des élections au n°18.

À la suite de la performance de Nita Juddoo lors de la partielle, avec seulement 14,33 % des voix, loin derrière l’élu du Parti travailliste, Arvin Boolell, le choix du candidat a aussi été source de débats.

Le MMM traîne aussi plusieurs casseroles depuis des années. Comment les expliquer ? Le jeu des alliances y est pour beaucoup. Lors des élections générales en 2014, le MMM a porté sur lui le bilan néfaste du Parti travailliste, avec le résultat que l’on connaît.

Selon un observateur politique averti, le parti doit maintenant faire face à l’ambiguïté qui prévaut autour d’une possible alliance avec le Mouvement socialiste militant (MSM), malgré les démentis hebdomadaires des dirigeants du parti. «Même si après les résultats de la partielle une alliance paraît inévitable, il sera difficile de justifier encore une alliance avec un parti qui sort d’un mandat décevant au gouvernement», soutient cet observateur. 

Quid des scissions cycliques au sein du parti ? Depuis la création du parti en 1969, le MMM a perdu beaucoup de ses membres pour différentes raisons, souvent idéologiques. Jean Claude de l’Estrac, une des têtes pensantes du MMM pendant de nombreuses années, souligne que c’était cette intelligence collective qui faisait autrefois la force du parti. «La grande force du MMM, c’était l’équipe, avec des talents individuels qui faisaient cause commune», explique-t-il. «Avec la structure du parti, ces gens ont été mis à l’écart et aujourd’hui le MMM se trouve sevré de cet apport intellectuel.»
 
Si la tendance se poursuit, le combat pourrait bien continuer avec un MMM luttant pour sa survie sur l’échiquier politique.

Une histoire de ruptures

La scène politique mauricienne a suivi de près les ruptures et scissions au MMM. Les observateurs politiques et même les diehards du parti s’accordent à dire que le MMM a beaucoup souffert de la vague de départs successifs.

Dev Virahsawmy marque l’histoire du MMM en devenant son premier député en 1970. Il est élu à la suite d’une élection partielle dans la circonscription de Pamplemousses– Triolet. Mais il ne fera pas long feu au sein du parti et cause la première grosse rupture au sein du MMM avec son départ en 1973, pour former le Mouvement militant mauricien socialiste progressiste (MMMSP), que des mauvaises langues eurent vite fait de qualifier de MMM Sans Paul.

Le MMM donne une leçon à la classe politique en remportant le premier 60-0 aux législatives de 1982, avec Anerood Jugnauth comme Premier ministre. Mais les tiraillements entre Jugnauth et Bérenger plongent le pays dans des élections générales anticipées en 1983. Anerood Jugnauth poursuit l’exode au sein du MMM en accueillant des lieutenants comme Madan Dulloo et Anil Gayan, pour former le Mouvement socialiste militant (MSM).

Le MMM perd une grosse partie de ses parlementaires en 1993, avec la révocation de Paul Bérenger par le Premier ministre Anerood Jugnauth. Une section des dissidents, menée par Prem Nababsing, revendique même l’identité du MMM. Après une longue bataille juridique, les dissidents créent le Renouveau militant mauricien (RMM) avec le soutien de Prem Nababsing, Jean Claude de l’Estrac, Kailash Ruhee et même Swalay Kasenally.

Les départs d’Alan Ganoo et de quatre autres députés du MMM, en 2015, font pâle figure face aux scissions précédentes mais le contexte a changé depuis. Aujourd’hui, avec la création du Mouvement patriotique, le MMM a non seulement perdu une partie de son électorat dans des circonscriptions décisives, mais de plus le fait est que Paul Bérenger n’a plus de majorité au Parlement pour servir comme leader de l’opposition.


Comment fédérer la gauche ?

À défaut d’avoir pu glaner plus de 14,33 % de votes lors de la partielle, le MMM entend rassembler les autres partis de la gauche. Sauf que la gauche mauricienne est plurielle et que l’idée d’une fédération n’est pas nouvelle. D’ailleurs, Jack Bizlall l’a relancée cette semaine avant le MMM.

Malgré la réticence des autres partis de gauche à accorder une telle responsabilité aux Mauves, ces derniers entendent mener à bien ce projet et s’y atteler dès l’année prochaine. «Nous voulons être la voix de la gauche mais le hic est qu’il y a une division dans la gauche. Il est temps de mettre de côté leur ego et surtout d’oublier le passé et de fédérer la gauche. Il faut voir l’intérêt commun du pays et c’est ce que veut faire le MMM», déclare Ajay Gunness, secrétaire général du parti.

À quand l’aboutissement de ce projet ? Selon lui, il ne faut pas se précipiter juste après être passé par une élection partielle, mais venir avec un projet concret après une bonne réflexion. Quid des arguments des détracteurs du MMM ?

«L’argument que les différentes alliances du MMM fait que nous ne sommes pas de gauche ne tient pas la route. Même en alliance nous n’avons jamais dévié de nos principes et des idées de gauche que nous défendons. Il y a un cri du coeur pour cette réunification et nous devons la faire», ajoute Ajay Gunness. Revenant sur les résultats de la partielle de Belle-Rose-Quatre-Bornes, il indique qu’un rassemblement idéologique est envisageable si tout le monde tire des leçons de cette élection surtout que la gauche a réalisé un très bon score.

Les autres partis de la gauche ne l’entendent pas de cette oreille. Lindsey Collen du mouvement Lalit est catégorique que le MMM ne peut en aucun cas être la voix des partis de gauche. «Les Mauves ont été en alliance avec le MSM, le PMSD et le PTr et n’affichaient pas une position de gauche. Ils ne peuvent pas être membres de cette fédération et encore moins en être le porte-parole.»

Même constat du côté du Muvman Premye Me. Jack Bizlall persiste et signe, le MMM ne peut absolument pas être la voix de la gauche mauricienne. «Pour commencer, être de gauche c’est relatif. Il faut voir les critères exacts qui font qu’un parti soit de gauche.»

Qu’est-ce qui disqualifie donc le MMM ? Selon lui, les Mauves n’ont plus de lien avec les organisations représentant la classe des travailleurs ni avec aucun syndicat. Bizlall explique aussi que le MMM a contracté des alliances avec des partis de droite, cautionnant au passage la pratique dynastique.

Pour Rezistans ek Alternativ, il faudrait avant tout que le MMM reprenne sa position de gauche. «Tout parti peut revendiquer être de gauche mais il faut que le programme électoral suive. Le MMM a été un parti de gauche et ses partisans en ont les valeurs. Quant à ce que le MMM soit le porteparole de cette fédération, c’est une autre histoire», argue Kugan Parapen.

Quel changement le MMM doit-il apporter à ses structures pour se positionner en tant que «leader» de ce rassemblement ? «Aujourd’hui le MMM a toujours sa structure mais il lui manque une vision pouvant attirer un électorat plus jeune», explique un ancien fidèle du parti.

Selon lui, avec Paul Bérenger qui impose sa loi, il est très difficile d’imaginer un renouvellement. En dépit de sa riche carrière en politique, la présence de Paul Bérenger, leader historique du MMM, ne paraît plus indispensable. Ce dernier a aligné une série de défaites et ses adversaires le qualifient désormais de «serial loser».

Le contraste c’est l’historien Jocelyn Chan Low qui l’apporte. Ce dernier trouve regrettable que le MMM n’arrive pas à puiser de l’expérience de Bérenger. «Je pense que le leader du MMM est un véritable atout pour son parti.»

Selon Jocelyn Chan Low, au lieu de se focaliser sur Bérenger, le MMM doit essayer de consolider son identité. «Pour se réinventer, il faudra enlever toute envie d’alliance de la tête des dirigeants du parti et même si cette démarche les condamnera sans doute à une nouvelle défaite aux prochaines élections, le parti devra accepter cette possibilité pour se reconstruire et retrouver sa crédibilité. »

En attendant, en l’absence d’un consensus, cette réunification de la gauche s’apparentera plus à un fantasme qu’à une réalité.