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Les problèmes des femmes et du pays: faillite des institutions

17 mars 2023, 22:00

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Les problèmes des femmes et du pays: faillite des institutions

Si la voix des femmes n’est pas entendue par les instances dirigeantes du pays, elle l’est par la société civile et elle s’est fait entendre, lundi soir, à l’Institut Cardinal Jean Margéot lors de la deuxième conférence-débat de Fam Ape Zwenn (FAZ) et dont le thème était «Quelle citoyenneté ?». La faillite des institutions à écouter les femmes et à résoudre leurs problèmes, les privant de leurs droits fondamentaux de citoyennes, a été pointée du doigt par toutes les intervenantes.

Un constat d’abord : les femmes savent s’organiser et respectent le temps de parole alloué. La conférence-débat de FAZ, lundi, a été saucissonnée en deux tranches. La première avait pour modératrice Saffyah Edoo et a vu les interventions de Joceline Minerve, Lovania Pertab et Shirin Aumeeruddy-Cziffra. La seconde avait pour modératrice Sheila Bunwaree et Priscilla Sambadoo, Nalini Burn et Danny Perrier ont fait un exposé. Et si l’événement s’est prolongé d’une heure, c’était surtout en raison des nombreuses questions provenant de l’assistance.

Espace d’expression

Joceline Minerve, ancienne députée et ex-ministre, qui est à l’origine de la mise en place de FAZ, a expliqué que si ce groupe de 31 femmes s’est constitué, c’est parce qu’elles ont réalisé qu’elles en avaient gros sur le cœur du fait que leurs droits civils ne sont pas respectés, leurs protestations pas entendues et qu’elles ont besoin d’un espace d’expression. Le 10 décembre dernier, lors de la Journée internationale des droits humains, les jalons de FAZ ont été posés lors d’une deuxième rencontre où elles ont décidé de sillonner l’île, de «rencontrer des femmes qui vivent une situation difficile, qui protestent, et de les écouter et d’être solidaires».

C’est ainsi que le groupe FAZ a pris forme et s’est rendu dans une cité ouvrière à la périphérie de Port-Louis pour écouter la souffrance des usagers de drogue et de leurs familles. Il été aussi dans le Sud-Est, plus particulièrement à Bambous-Virieux où les femmes et leurs familles sont pénalisées par la pénurie d’eau et où l’échouement du vraquier MV Wakashio a mis des femmes au chômage. Dans le Sud-Ouest, il a pris note de la pénurie de logements sociaux, à la cité Mangalkhan, les femmes se sont plaintes d’être méprisées et regardées avec condescendance et dans l’Est, elles ont évoqué le mauvais traitement qu’elles ont reçu dans les services hospitaliers. «Nous avons réalisé que la voix des femmes n’est pas écoutée, pas valorisée et nous nous sommes donné pour mission de les écouter, d’amplifier leur voix et de soutenir leurs actions dans la durée. Il faut une approche politique globale dans la perspective des droits humains.»

Petits copains incompétents

L’avocate Lovania Pertab, présidente du conseil d’administration de Transparency Mauritius, a été sans appel : les souffrances non entendues des femmes sont le résultat de la faillite de toutes les entités du secteur public, qui ne font pas leur travail comme il faut. Les nominations à la tête de ces entités, a-t-elle rappelé, se font par le ministre de tutelle ou par le Premier ministre et plus rarement par le président de la République. «La politique partisane a tellement envahi tout que les nominés, qui sont des petits copains, sont incompétents. Ces entités ont l’obligation, en tant qu’institutions, de résoudre les problèmes du pays et elles ne le font pas. C’est du népotisme et c’est bien grave car cela entraîne une inefficacité dans la vie publique.»

Elle a poursuivi en disant que ce népotisme consistant à favoriser les petits copains entraîne une «State capture» et quand le gouvernement contrôle toutes les institutions, «cela signifie que la voix des femmes ne sera jamais entendue.» L’avocate a rappelé que Maurice a pris la 110e place sur 155 en matière de Gender Gap Index, une situation bien grave «car cela veut dire que les femmes ne participent pas pleinement au déroulement de la vie mauricienne et des institutions». Et quand c’est le cas, a déclaré l’avocate, c’est que la démocratie ne fonctionne plus.

Si l’avocate, ancienne ministre et ex-Ombudsperson for Children, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, s’est dit fière d’avoir incité le gouvernement du début des années 80 à instituer un ministère de la Femme, elle n’est pas très fière de ce que cette administration est devenue aujourd’hui. Elle a souligné que pour les femmes, le pouvoir n’est pas l’accaparement de tout mais signifie «je peux». Reprenant le point de sa consoeur Lovania Pertab, relativement au népotisme, elle a précisé qu’il arrive que le gouvernement nomme des personnes compétentes mais que celles-ci ont à cœur leurs propres intérêts, leur propre agenda. Elle a développé le thème de la violence domestique et du féminicide, soulignant que l’application téléphonique l’Espoir, mise en place par le ministère de l’Égalité des genres pour que les femmes victimes de violence alertent les autorités lorsqu’elles sont violentées, n’est pas très pratique. Il y a certes des lois pour réprimer la violence domestique mais elles sont répressives. «Et nous savons toutes que la répression ne va pas résoudre grand-chose.»

Shirin Aumeeruddy-Cziffra a rappelé que la violence envers les femmes à la maison ou sur le lieu de travail a un coût socio-économique car elle impacte la productivité et empêche les femmes «d’agir comme des citoyennes à part entière.»

Victimes collatérales de drogue

Priscilla Sambadoo, chercheuse en sciences sociales, a évoqué l’ampleur prise par la drogue à Maurice (de 2015 à 2023, Rs 13,7 milliards de drogues saisies, 20 000 personnes impliquées arrêtées et selon la Commission d’enquête Lam Shang Leen sur la drogue, 80 000 usagers) qui affecte les femmes. Quand elles ne sont pas des consommatrices, elles sont des victimes collatérales à deux niveaux : elles sont mère, épouse, fille en souffrance d’un usager de drogue, qui va mentir, voler, violenter et parfois, elles subissent la domination de la drogue dans leur voisinage car c’est toute l’économie d’un quartier qui vit de la drogue. «Les femmes et les enfants ont le droit de vivre dans un environnement sain et ce droit-là n’est pas respecté. Il faut faire en sorte qu’il le soit.»

La socio-économiste Nalini Burn a axé son intervention sur les pénuries d’eau rencontrées par les femmes vivant sur les hauteurs de Bambous-Virieux et qui sont contraintes de laver leur linge à la rivière. L’eau est pourtant disponible mais elle n’est pas potable. Pour que l’eau potable vienne jusqu’à elles, elles doivent se fier aux camions-citernes de la Central Water Authority et doivent donc patienter. «L’annonce à l’effet qu’il y aurait de l’eau potable 24 heures sur 24 et sept jours sur sept signifie que les femmes doivent attendre de l’eau 24/7. À Bambous-Virieux, elles ne peuvent pas transporter l’eau dans des seaux et autres récipients car elles vivent sur la colline. Les camions-citernes sont envoyés car le réseau ne fonctionne pas. En réalité, le réseau existe mais si ledit réseau connaît des gens bien connectés, les camions-citernes passent sous le nez des femmes et vont chez ces personnes qui ont le bras long. Les femmes doivent alors acheter une pompe à eau et cela génère des querelles avec les voisins qui n’en ont pas. Il y a de l’eau à Maurice mais les personnes les plus pauvres n’y ont pas accès et pour le faire, elles doivent payer plus cher en raison de la corruption qui existe.» Nalini Burn a souligné que la pénurie d’eau est une violation des droits humains, une violation de la santé des femmes qui doivent, par exemple, composer sans eau lorsqu’elles ont leurs règles, une violation de leurs droits sociaux car elles ont honte de recevoir des invités dans leur maison pas nettoyée. «Il y a une déconnexion du service. Et quand les gens protestent, on les arrête. Ils sont criminalisés quand ils réclament, somme toute, leurs droits.»

Pression des groupes socioculturels

Danny Perrier, ancienne parlementaire, est intervenue sur la pauvre représentativité des femmes en politique à Maurice alors que le pays a signé plusieurs conventions internationales et régionales relatives à une représentation plus importante des femmes dans les instances de décision. Venir dire que les femmes ne se présentent pas comme candidates aux élections car elles craignent pour leur sécurité est faux, a-t-elle dit, tout comme il est faux de dire que les électeurs ne votent pas pour elles. «Les véritables raisons sont que les leaders politiques sont prisonniers des pressions de groupes socioculturels et que les hommes politiques font du chantage au leader du parti pour conserver leurs places.» Elle considère qu’avoir une masse critique de femmes dans les partis politiques peut changer la donne. Les recherches, a-t-elle poursuivi, ont montré qu’une plus grande représentation de femmes en politique résulte en de meilleures décisions car elles ont une plus grande diversité de perspectives et d’expériences. «Les femmes peuvent inspirer les jeunes et une vraie démocratie a besoin d’une bonne représentation de femmes pour que ce système fonctionne.»

Comment y parvenir ? En mettant en place des mécanismes spécifiques comme l’ont fait les pays scandinaves. Ils ont, par exemple, installé des crèches près des parlements pour que les députées mères de famille puissent exercer leurs droits d’élues, tout comme les séances de nuit ont été abolies. «La représentation des femmes en politique, ce n’est pas juste faire de la place aux femmes mais c’est aussi leur permettre de jouir de leur citoyenneté à part entière et que cela rejaillisse sur notre société à part entière pour que nous ayons tous une meilleure qualité de vie.»

Sheila Bunwaree a souligné que FAZ a réalisé que tous les droits fondamentaux des femmes sont bafoués. «Nous sommes un petit pays et nous avons suffisamment de ressources pour revoir notre modèle de développement. Les femmes ont une autre façon de faire de la politique. Elles écoutent, font preuve d’empathie, comprennent. Je lance un appel à toutes les femmes pour qu’elles entrent dans l’action.»

Ecouter et parler, c’est bien mais à quel genre d’actions faut-il s’attendre de FAZ, surtout si les rumeurs d’élections imminentes se précisent ? Shirin Aumeeruddy-Cziffra a précisé qu’en tant que groupe, il ne faut pas s’attendre à ce que FAZ devienne un parti politique. «Nous ne voulons pas nous inscrire dans un calendrier électoral. Notre objectif n’est pas pour demain. J’appelle les jeunes à prendre le relais de notre combat. Nous n’allons pas faire le travail des partis politiques. Les citoyens et citoyennes doivent mener leurs propres combats.» Joceline Minerve a renchéri en disant qu’il faut «réapprendre et réinventer la politique et voir comment les citoyens peuvent prendre leurs responsabilités dans leurs villages et leurs activités et voir comment ils peuvent se réorganiser pour faire que leur voix porte.»