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Les consommateurs s’appauvrissent-ils pendant que les entreprises s’enrichissent ?

13 mars 2023, 22:00

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Les consommateurs s’appauvrissent-ils pendant que les entreprises s’enrichissent ?

Les perspectives s’annoncent sombres pour les consommateurs mauriciens. En effet, l’actualité internationale et les données nationales depuis début mars ne laissent rien présager de bon pour la suite. La tendance de la hausse des taux d’intérêt à l’international risque fort d’exacerber la pression sur la politique monétaire locale, surtout que l’inflation reste élevée, affichant 11 % en glissement annuel.D’un autre côté, la roupie continue de chuter, avec un dollar s’échangeant à Rs 47,20 et un euro à Rs 50,44 selon le taux de change indicatif de la State Bank of Mauritius (SBM).

Certains pourraient considérer ceci comme une bonne nouvelle pour les entreprises et les recettes d’exportation, qui bénéficient de ce gain de change ; cependant, cela reste une mauvaise nouvelle pour les consommateurs qui dépendent de produits importés en devises étrangères. Finalement, si l’aide de l’État aux entreprises locales a contribué à la situation inflationniste actuelle, la réforme structurelle, comme l’entend le ministre des Finances, soit une taxe sur les gros profits, ne serait-elle pas «only fair game» ? Voyons cela de plus près.

Pour commencer, l’actualité économique internationale est dominée depuis quelques jours par l’annonce de Jerome H. Powell, président du Board of Governors du Federal Reserve System. Ce dernier a clairement indiqué que la Fed était prête à réagir aux récents indicateurs économiques en augmentant, plus que prévu, les taux d’intérêt et à potentiellement revenir à un rythme plus rapide d’augmentation des taux. En Europe, la Banque centrale européenne a également besoin d’autres augmentations de taux d’intérêt après une hausse prévue de 50 points de base en mars, car l’inflation reste trop élevée. Aux États-Unis, la récente victime «corporate» de la hausse agressive des taux d’intérêt est la Silicon Valley Bank, prêteur privilégié du monde de la tech, qui est officiellement en faillite suivant le retrait de dépôt de nombreuses entreprises.

Revenons-en au contexte local. On l’a déjà constaté, la banque de Maurice a enregistré, à plusieurs reprises, des pertes consécutives liées à ses investissements à l’étranger, d’autant plus que la Fed n’a pas reculé sur sa position, maintenant le durcissement de sa politique monétaire. Quel est le lien avec les consommateurs mauriciens ? Le dollar et l’euro étant les monnaies de réserve utilisées pour nos importations, exportations et autres transactions, une augmentation des taux d’intérêt aux États-Unis et en Europe entraîne une augmentation de la valeur de leur monnaie. Ceci a pour conséquence que la roupie mauricienne s’affaiblit face à ces devises. À ne pas oublier que nos importations en dollars représentaient, en 2022, 71,4 % de nos dépenses d’importation en devises étrangères, et l’euro 20,2 %.

La confiance dans la stabilité de la roupie se voit donc mise à l’épreuve, encourageant les spéculations ; ceux qui achètent et gardent des devises comme un investissement. Résultat: ceci crée une pression artificielle sur la roupie qui perd en valeur face à des devises qui se renforcent. Évidemment, ceci est encore plus inquiétant compte tenu du déficit commercial pour 2022, qui s’établit à Rs 190,7 milliards contre Rs 132,8 milliards en 2021. Plus encore, Statistics Mauritius prévoit que cette tendance ne ralentira pas et que le déficit commercial devrait atteindre Rs 210 milliards en 2023, soit 9,9 % de plus qu’en 2022. Ce que cela veut dire, c’est que les consommateurs continueront de tout payer plus cher, nos importations nous coûtant plus cher en devises.

Que faire pour défendre la roupie ? Enter, l’outil de la politique monétaire. La possibilité que le Key Rate (déjà à 4,5 %) augmente à nouveau n’est pas à écarter, étant en ligne avec la nouvelle politique monétaire de la Banque centrale et suivant l’objectif inflationniste de 3,5 % sur le moyen terme. Si un taux d’intérêt plus élevé et couvrant le risque de dépréciation de la roupie rend les investissements plus attrayants pour les investisseurs étrangers, cela aura un impact négatif sur les emprunteurs et la croissance, surtout suivant notre modèle économique basé sur la consommation.

En effet, la dépense de consommation finale des ménages et de l’État devrait augmenter pour atteindre Rs 492 milliards en 2022, contre Rs 432,1 milliards en 2021, et de Rs 451,3 milliards en 2019. Les dépenses de consommation des ménages sont estimées à hauteur de 71,3 % du PIB en 2022 et les taxes sur les produits devraient augmenter de 24,7 %, pour atteindre Rs 69 milliards contre 55,3 milliards en 2021, contribuant au passage au taux de croissance.

Or, une augmentation des taux d’intérêt a justement pour objectif de ralentir la consommation pour réduire l’inflation, impactant donc la croissance tirée par la consommation. Justement, la dernière édition de MCB Focus prévoit que la croissance devrait atteindre 5 % seulement cette année. Compte tenu du durcissement de la politique monétaire, il faudra bien que la croissance soit menée par la performance de nos autres secteurs. Si le développement de nos autres secteurs reste une obligation, l’outil fiscal n’est pas à écarter, surtout si l’on parle de ciblage. Donc, une réforme structurelle ciblant les gros profits, comme l’a mentionné le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, serait opportun.

Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que les transferts de la Banque centrale au Trésor public a publié pendant la pandémie ont aussi servi à soutenir les entreprises du privé, ajoutant à l’excès de liquidité sur le marché, contribuant en retour à la présente situation inflationniste. Donc, pour le dire clairement, l’aide aux entreprises s’est finalement révélée être une taxe indirecte sur le consommateur à travers l’inflation.

À cela, l’expert financier Sameer Sharma apporte un éclairage important dans son article, «A New Deal». Selon lui, le secteur privé a reçu Rs 24 milliards de l’État à travers le Wage Assistance Scheme, programme financé par la dette publique et l’impression monétaire de la Banque centrale, et, jusqu’à présent, le secteur privé n’a remboursé que Rs 2,3 milliards. Le secteur du tourisme, qui affiche fièrement d’énormes profits, n’a restitué jusqu’à présent que Rs 80 millions. Il est intéressant de noter que les annonces de profits «historiques» dans certains cas par les entreprises privées font légion mais, pourtant, le remboursement à l’État se fait timide. Les entreprises multiplient les paiements de dividendes, mais ont du mal à retourner l’argent de l’État.

Par conséquent, si les réformes incluent évidemment une attention particulière à la productivité, à la compétitivité, à la main-d’œuvre, au développement de nouveaux secteurs productifs et à l’arrêt complet du gaspillage de fonds publics, ainsi qu’à la mise en place de projets d’infrastructures productives, entre autres, elles doivent également inclure la participation du secteur privé. Dans ce même élan, au fur et à mesure que d’autres secteurs pourvoyeurs de devises se développent, une taxe aux propriétaires terriens, applicable dépendant de la superficie du terrain et des revenus du propriétaire, ne devrait pas être écartée. Quant à la menace de taxer les gros bénéfices, est-ce que le ministre des Finances pourra agir face au lobbying ? Nous devrions bientôt y voir plus clair à l’approche du prochain exercice budgétaire.