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Sur les rails de la mémoire: les Appadoo, le badamier et le chemin de fer

21 février 2021, 20:00

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Sur les rails de la mémoire: les Appadoo, le badamier et le chemin de fer

On a beaucoup glosé sur l’histoire du chemin de fer à Maurice. Reliant le Nord au Sud, l’Est à l’Ouest, le chemin de fer et la vie autour n’ont pas disparu des mémoires. Si le Metro Express a ravivé les souvenirs, il n’a pas pu recréer le passé décomposé avec le démantèlement du réseau en 1964. C’est dans cette optique que l’express est parti à la rencontre de la famille Appadoo, «qui a été nourrie par le chemin de fer de l’époque» et qui a bien voulu partager quelques anecdotes et souvenirs avec nous.

Les quatre fils qui racontent leur père, Lutchmiah Appadoo, et comment le chemin de fer a nourri leur famille.

Rendez-vous est pris à la route prison, Beau-Bassin, chez Premalade (ou Babaye) Appadoo, 95 ans. Il n’est pas seul quand on le rencontre. Trois de ses frères sont autour de lui : Latchmana (Rao) Appadoo, 93 ans ; Vroudaya (Harry) Appadoo, 86 ans ; Balendra (Barlen) Appadoo, le benjamin qui a quand même 72 ans. Tout ce beau monde tombe d’accord sur le fait qu’il nous faut commencer le récit à partir de leur père né le 15 août 1898, Lutchmiah Appadoo, plus connu comme Lacho, ancien Station Master, qui a travaillé un peu partout le long du chemin de fer, tantôt à Rose-Hill, Rose-Belle, Moka, Vacoas, Port-Louis et Beau-Bassin. «Le Station Master avait une maison souvent avec une grande cour. On déménageait souvent. On changeait de voisins et d’écoles, et de camarades de classe.» Les enfants de Lacho – au nombre total de 15, provenant de «deux lignées», ont ainsi eu une expérience de la vie quelque peu différente des autres enfants, ceux ayant des parents plus sédentaires.

Les quatre frères racontent avec passion comment leur vie était rythmée par les trains et tout le commerce qui se faisait autour. «C’était une vraie communauté, entre commerçants, passagers, employés du chemin de fer. On était une famille. Je ne vois pas encore cela avec le Metro Express. Peut-être que cela va prendre du temps…»

Les enfants de Lacho ont bien bouquiné, et connaissent bien l’histoire de la Mauritius Railways Company et l’époque où Maurice comptait plus de 200 sucreries. Et comment, en raison d’une production sucrière en hausse, le transport du sucre devenait problématique durant l’époque coloniale. «Nos grands-parents issus de Bonne-Veine étaient des laboureurs. Notre père a rompu la tradition et est allé à l’école. Ce qui lui a permis de travailler pour le chemin de fer.» Quand les Britanniques ont repris le contrôle du pays, la construction de la route reliant Port-Louis à Mahébourg a débuté à partir de 1825 et l’utilisation des diligences s’est ensuivie.

Le dernier train de voyageurs quittant la station de Rose-Hill en mars 1956.
Le viaduc de Rivière-du-Poste.
En mars 1956, le train quitta également la station de Curepipe pour ce qui sera le dernier Le viaduc de Rivière-du-Poste. voyage vers Port-Louis pour les passagers.

L’arbre qui cache la forêt des souvenirs

Le Badamier planté par Lacho, alors «Station Master» à Rose-Hill.

La question incontournable des frères Appadoo : «Connaissez-vous l’arbre qui domine la gare de Rose-Hill. L’arbre central, le badamier ? Celui qui donne tant d’ombre…» Comme réponse, c’est non sans fierté que l’on nous raconte que cet arbre a été planté par nul autre que leur père. «On habitait à cet endroit précis quand papa était Station Master à Rose-Hill. C’était la cour de la maison que la Mauritius Railways Company mettait à notre disposition. Et on se rappelle comment il a planté cet arbre. Et aujourd’hui quand nous le voyons si grand, si fier, cela procure une joie inestimable… Notre père a laissé une trace.»

Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins. Cette phrase de Pagnol est peut-être la cause profonde de notre rencontre avec les quatre frères Appadoo, qui sont si attachants par ailleurs. Certes, ils ont beaucoup à nous raconter sur le chemin de fer, sur le badamier, sur les consignes de sécurité et le passé. Mais ils donnent surtout l’impression qu’ils voulaient léguer autre chose.

L’histoire du chemin de fer a façonné leur vie, avec un père Station Master. L’un des fils a même pris le relais jusqu’à la fermeture du chemin de fer. D’ailleurs, ils n’ont pas compris pourquoi à l’époque des députés applaudissaient au Parlement quand on a décidé de son démantèlement. Car il est indéniable pour eux que le développement économique n’aurait pas pu se faire sans cette infrastructure qui a connecté les villes, villages, sucreries, port, etc. Et s’ils accueillent avec joie le Metro Express, ils pensent que l’aspect humain fait cruellement défaut autour des stations de métro…

Comme le badamier, c’est le message que nous lèguent les sympathiques frères Appadoo, en toute simplicité.