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Les poursuites de l’ICAC s’annoncent difficiles

14 juillet 2020, 21:37

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Les poursuites de l’ICAC s’annoncent difficiles

L’enquête de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) sur la centrale St-Louis a démarré il y a 15 jours après que le PM a référé les allégations de pots-de-vin à la commission. Les personnes qui seraient impliquées localement, à savoir Alain Hao Thyn Voon et Bertrand Lagesse, ont déjà été interpellées. Sauf que dans les milieux légaux, on se demande si l’enquête débouchera sur des poursuites et si le moment n’est pas venu pour l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA) d’entrer en scène…

D’abord, le mystérieux document reçu par Pravind Jugnauth et dans lequel les noms d’Ivan Collendavelloo, ministre de l’Énergie et des services publics révoqué, et Paul Bérenger, député de l’opposition, auraient été cités. Déjà, le contenu et la provenance de cette feuille de papier soulèvent des interrogations, surtout depuis que le député rouge Shakeel Mohamed n’a obtenu aucune confirmation du directeur de l’Integrity and Anti-Corruption Unit de la Banque africaine de développement (BAD), Alan Bacarese, à l’effet que cette institution financière a bien envoyé une quelconque correspondance officielle au gouvernement mauricien (GM).

D’ailleurs, officiellement, le GM ne dispose ni du rapport établi par la firme légale employée par Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC), celui-là même qui a été présenté à la BAD et qui a fait état de pots-de-vin, ni du document compilé par la BAD, à la suite des révélations de BWSC. Et même si le GM détenait le premier ou les deux documents susmentionnés, ils ne seraient admissibles en cour que si les procédures légales étaient suivies. À savoir qu’ils soient authentifiés, apostillés par un notaire ou encore validés par l’Attorney General. Ce qui fait un homme de loi, très au fait de la Prevention of Corruption Act (PoCA), dire que «l’ICAC, en ce moment, n’aurait obtenu qu’un extrait de ce qui a trait à un rapport d’opinion. C’est un peu comme si une lettre anonyme lui a été envoyée, et que c’est maintenant qu’elle va chercher des éléments pour prouver les allégations que ladite lettre contient».

L’ancien directeur des enquêtes de la commission anticorruption et ancien ministre de la Bonne gouvernance, Roshi Bhadain, abonde dans le même sens et va plus loin. «Cette enquête de l’ICAC est une mise en scène. Une investigation est faite à des fins de poursuites, bien sûr, avec l’aval du directeur des poursuites publiques.»

Les poursuites ne sont possibles que si l’enquête de l’ICAC débouche sur du concret, sur des éléments qui peuvent être admissibles en cour. En sus des rapports complets, la commission anti-corruption doit pouvoir obtenir la chronologie des évènements, démontrer la méthodologie utilisée lors de l’investigation, ou encore, présenter des documents et travaux d’analyse effectués. Mais surtout, obtenir les témoignages des accusateurs, à savoir les cinq employés de BWSC, qui auraient été impliqués dans les pots-de-vin allégués. «L’ICAC doit effectuer un money trail des protagonistes à Maurice, mais aussi au niveau de BWSC au Danemark. Cette autorisation peut être obtenue à travers laMutual Legal Asistance qui existe entre pays», souligne le légiste.

Certes, sauf que les cinq employés en question ont été limogés. N’étant plus au service de la firme danoise, comment les retrouver et, encore plus compliqué, comment les obliger à témoigner ? Toujours selon l’homme de loi, qui a requis l’anonymat, BWSC aurait toutes les raisons de collaborer avec Maurice. «Pour l’instant, la firme a été sanctionnée par la BAD mais il se pourrait qu’elle le soit par la Banque mondiale ou par d’autres instances internationales. Afin de redorer son blason, il est fort probable qu’elle apporte son aide dans l’enquête de l’ICAC», avance-t-il. Mais pour Roshi Bhadain, même si la firme étrangère décide de coopérer, ce ne serait que du «hearsay». «Que pourrait dire BWSC ? Uniquement ce qu’auraient pu révéler les employés, ce qu’on appelle des ondit. Tout doit être prouvé en cour de justice», dit-il. Quant au scénario à l’effet que les cinq employés viennent témoigner à Maurice, il faudrait que le gouvernement danois les y oblige… ce qui n’est pas plausible.

 Dès lors, une autre question se pose : même si le Premier ministre a décidé de confier cette affaire à l’ICAC, pourquoi l’IRSA ne s’y intéresse-t-elle pas, d’autant plus que toute affaire de corruption alléguée entraîne une gratification, donc de l’unexplained wealth ? La PoCA y consacre toute une section, la 84, qui se lit comme suit : The Commission may – a) order any public official or any person suspected of having committed a corruption offence to make a statement under oath of all his assets and liabilities and of those of his relatives and associates; b) investigate whether any public official or any person suspected of having committed a corruption offence;

i) has a standard of living which is commensurate with his emoluments or other income;

ii) owns, or is in control of, property to an extent which is disproportionate to his emoluments or other income; or

 iii) is able to give a satisfactory account as to how he came into ownership, possession, custody or control of any property.

De plus, l’IRSA n’a-t-elle pas le pouvoir d’initier une enquête sans plainte, voire sans qu’une affaire ne lui soit référée ? L’express a posé la question à Paul Keyton, directeur de l’IRSA. «Il est vrai que l’IRSA n’a pas besoin de plainte formelle pour commencer une investigation. Et elle initie des enquêtes de sa propre initiative. Pour ouvrir une enquête, l’IRSA doit détenir des informations sur la possession d’un bien, qu’elle peut obtenir à travers ses propres recherches ou à travers des rapports d’autres institutions», souligne-t-il. D’ajouter que la Good Governance and Integrity Report Act ne donne pas le pouvoir et les moyens à l’IRSA de «summon persons» mais de demander des informations par écrit quant à la provenance des fonds utilisés pour faire l’acquisition des biens. Si celles-ci ne sont pas satisfaisantes, les biens peuvent être confisqués.

Dans ce cas, pourquoi ne pas initier d’enquête sur les protagonistes locaux du St-Louis Gate et ne tenant pas compte des allégations provenant de la BAD et des agissements de PAD CO ? «Je ne peux commenter, ni sur la BAD ni sur PAD CO», a répondu Paul Keyton.