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Textile en crise: main-d’oeuvre plus chère et perte de compétitivité fragilisent les entreprises

28 août 2019, 12:32

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Textile en crise: main-d’oeuvre plus chère et perte de compétitivité fragilisent les entreprises

Après Palmar, Future Textiles et Tex Services, c’est au tour de deux autres unités de textile, Tara Knitwear et Rossana Textiles, d’être placées sous administration judiciaire par le cabinet BDO. Les spécialistes estiment que la série noire pourrait continuer avec d’autres entreprises mettant la clé sous le paillasson.

L’Economic Development Board (EDB) s’est associé entre-temps, avec une société de conseil-services américain, Idea Foundry, pour restructurer le secteur en proposant une automatisation de ses opérations.

Girish Buctowonsing, Head of Manufacturing Services chez EDB, est catégorique : le modèle qui a fait le succès du secteur textile depuis plus d’une trentaine d’années n’a pas sa pertinence vu qu’il était basé sur la disponibilité d’une main-d’oeuvre abondante et à bon marché tout en bénéficiant d’un accès préférentiel en Europe et aux États-Unis.

«Aujourd’hui, la configuration de ce secteur a changé avec la disparition de ces filets de protection influant négativement sur la compétitivité de nos produits qui sont majoritairement exportés vers quatre pays, nommément l’Afrique du Sud, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne». Il soutient que si ces dernières années Maurice s’est distingué comme un fabricant mondial de tricot, les opérations du secteur demeurent archaïques sans l’apport technologique qui lui donne un atout compétitif face à ses compétiteurs mondiaux.

«Idea Foundry propose une feuille de route pour ce secteur pour les prochaines années en proposant des recommandations pour le moderniser, voire le dynamiser en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Une démarche visant à le rendre moins «labour intensive» à un moment où la présence de travailleurs manuels se fait rare», insiste Girish Buckowonsing.

Ce dernier ajoute que le Lead consultant de la société, Jay Murray, a déjà visité une vingtaine d’entreprises pour évaluer les principales failles et collecter les informations pour une «Gap Analysis». Il faut se donner une année, soit en juillet/août 2020, pour que l’EDB soit en présence d’un rapport complet.

Plus de 50%

En attendant, les choses pourraient empirer sur le terrain avec d’autres fermetures. À la Mauritius Exports Association, sa directrice, Lilowtee Rajmun-Jooseery, suit la situation de près et craint que le coût de production grandissant couplé à la perte de compétitivité des produits «Made in Moris» n’aient fragilisé financièrement les entreprises textiles, allant jusqu’à provoquer des licenciements.

«Il est évident que l’introduction du salaire minimum, les diverses compensations salariales, notamment celles qui viendront à la fin de l’année ainsi que la révision des lois du travail ont grandement impacté le coût de la main-d’oeuvre. Sans vouloir se tromper, celui-ci a augmenté de 50 % depuis le début de 2015.»

Eric Dorchies, Chief Operating Officer de CIEL Textile et du groupe Aquarelle, abonde dans le même sens. L’industrie du textile à Maurice, dit-il, traverse une période difficile étant donné la concurrence toujours plus forte venant d’Asie mais aussi de pays comme la Turquie. «La fluctuation du dollar, du rand sud-africain et de la livre sterling ainsi que la hausse du coût du travail à Maurice impactent également nos marges et rendent nos exportations moins compétitives.»

En ce qui concerne CIEL Textile, il souligne qu’il a très tôt fait le choix d’internationaliser ses opérations afin de réduire son exposition sur un marché unique. Ce qui a permis à CIEL Textile d’offrir à ses clients deux zones d’approvisionnement en fonction de leurs besoins : une régionale regroupant Maurice et Madagascar et l’autre asiatique grâce à ses usines en Inde et au Bangladesh.

Par ailleurs, souligne Eric Dorchies, parallèlement le groupe a mis l’accent sur l’innovation et la montée en gamme pour trouver des créneaux porteurs et offrir des produits de grande qualité à ses clients. À titre d’exemple, il rappelle que l’usine de Laguna Clothing, basée à Quatre-Bornes, qui opérait précédemment à perte, réalise cette année une excellente performance grâce au développement de chemises «non-iron» qui ne nécessitent pas de repassage et qui rencontrent un fort succès auprès des consommateurs et de marques haut de gamme. L’entreprise compte poursuivre dans cette voie en innovant constamment mais aussi en misant sur le développement de ses talents et une approche de production durable pour gagner la confiance de ses partenaires et clients.

Liquidité

En s’appuyant sur son expérience de «Receiver-Manager» pour de nombreuses entités textiles, Afsar Ebrahim, Group Deputy CEO de BDO, abonde dans le même sens. Le secteur, dit-il, passe positivement par des turbulences. Toutefois, le problème est différent aujourd’hui. «Il ne s’agit plus d’un problème d’insolvabilité, mais de liquidité. Plusieurs entreprises à Maurice sont sous-capitalisées et dépendent lourdement de l’endettement.»

Pour lui, avec une structure de capital aussi faible, le moindre choc peut pousser le business aux abois. Et d’ajouter que la situation actuelle reflète la fragilité des bilans financiers qui demandent à être consolidés ! «Nous faisons face à un défi intéressant avec le cas de Tara Knitwear. Si l’on continue à bénéficier du soutien des clients, l’entreprise peut être sauvée.»

Jusqu’où ira cette vague de fermetures qui profite aujourd’hui aux cabinets d’audit (voir hors-texte plus loin). Les spécialistes appréhendent que la série noire puisse continuer en attendant de revoir le modèle du textile qui ne répond plus aux réalités du marché mondial.


Manne pour le Big Four

Pour le Big Four, soit les quatre cabinets d’audit internationalement connus représentés à Maurice et détenant la plus grosse part du marché dans l’audit et d’autres transactions financières annexes (EY, PwC, KPMG et Deloitte), c’est une activité lucrative car c’est un créneau qui rapporte gros. «Avec une série de sociétés textiles mises en «receivership», ces firmes d’audit peuvent se frotter les mains. Les honoraires d’un «receiver-manager» dépendent des actifs que l’entreprise possède. Après sa liquidation et la vente des biens, il a droit généralement à 10 % de la valeur totale», souligne un professionnel de la finance. Et d’ajouter que les cabinets d’experts-comptables peuvent engranger jusqu’à 20 % de leurs revenus à partir de ces transactions.