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Barlen Pillay: «Maurice peut diminuer sa note d’importation en augmentant la production d’énergie renouvelable»

29 juillet 2019, 14:34

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Barlen Pillay: «Maurice peut diminuer sa note d’importation en augmentant la production d’énergie renouvelable»

Avec un déficit commercial de plus de Rs 11 milliards pour le premier trimestre 2019, il est primordial de booster la production locale et d’avoir une stratégie industrielle à moyen terme. Le secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice (MCCI) propose une analyse de ce qui pourrait nous aider à retrouver un équilibre dans la balance commerciale.

«Il est primordial d’avoir une politique qui aide à booster la production locale…»

Un déficit commercial de Rs 11,4 milliards en mai, représente-t-il une tendance négative ?
Le déficit commercial au mois de mai 2019 a effectivement augmenté par rapport à 2018. Cela est surtout dû à une hausse de Rs 1,2 milliard dans l’importation des carburants. Cependant, il serait plus pertinent de procéder à une analyse du déficit commercial sur une plus longue période. Sur le premier trimestre de 2019, le déficit commercial a augmenté d’environ Rs 5 milliards avec, entre autres, une hausse des importations liée notamment au projet du Metro Express.

Il y a aussi une augmentation des importations de produits alimentaires et de produits finis, tels que les équipements de machinerie électronique et les médicaments, ce qui résulte en une hausse nette de l’importation de Rs 7 milliards sur le trimestre. Notre exportation pour le premier trimestre de l’année a, quant à elle, augmenté de Rs 1,5 milliard, dont une hausse de notre exportation de sucre et de thon, qui compense une baisse dans celle des articles textiles.

La note d’importation augmente plus vite que les recettes d’exportation, peut-on atténuer cette tendance ? 
Il y a deux axes qui pourraient définir une stratégie. Le premier est la substitution à l’importation. Il faut aider et accompagner les entreprises locales à produire plus pour diminuer notre note à l’import. La production alimentaire est un secteur où nous devons devenir plus autosuffisants localement. Idem pour les produits pétroliers. Nous avons une note d’importation annuelle de plus de Rs 30 milliards. Maurice peut la réduire en augmentant notre pourcentage d’énergie renouvelable. Différentes études démontrent que Maurice peut devenir 100 % autosuffisant en énergies renouvelables. Cela nécessite un plan national ambitieux sur la durée, mais il est à notre portée.

Le deuxième axe serait de booster nos exportations de produits manufacturiers. Il est crucial d’avoir, en premier lieu, une véritable stratégie à l’export en se concentrant sur des produits niches que Maurice peut exporter, non seulement les secteurs traditionnels comme le textile, le sucre et le thon, mais aussi des produits comme le rhum, la peinture, les produits alimentaires et des nouveautés telles que les medical devices et la bijouterie.

Comment la hausse de 3,3 % des dépenses de consommation impacte-t-elle sur la note globale d’importation ?
Sur les produits finis, une hausse de la consommation aura certainement un impact direct sur la note à l’importation, mais les producteurs locaux bénéficient aussi d’une augmentation des dépenses de consommation. Il faut cependant regarder cette dernière en termes macroéconomiques. La consommation des ménages et du gouvernement représente plus de 85 % de notre PIB et, d’après notre modèle macroéconomique, un point de pourcentage d’augmentation de la consommation résulte en 0,56 % d’augmentation du taux de croissance. Cela veut dire que l’effet multiplicateur sur l’industrie, le transport, les finances, le commerce, entre autres, est significatif. Il découle que l’augmentation des dépenses de consommation est le résultat d’un pouvoir d’achat plus élevé des ménages à Maurice.

Que faudrait-il faire pour booster nos exportations ? 
C’est un des défis du pays. Pour booster nos exportations, il nous faut, en premier lieu, un socle industriel solide. Il est très difficile pour un pays d’avoir une industrie exportatrice sans une industrie locale solide. On doit aussi être compétitif au niveau de la logistique ; le port et l’aéroport. Il faut diminuer le coût de doing business, mais il faut aussi augmenter notre capacité logistique ; le développement du port et de l’aéroport est primordial. On doit aussi attirer davantage de lignes maritimes et de compagnies d’aviation vers le pays. Pour pouvoir exporter plus, il faut également qu’on travaille au rehaussement des standards et normes de nos pro- duits afin de nous conformer aux normes européennes et américaines, par exemple. Notre stratégie à l’export doit aussi se focaliser sur ce qu’on appelle l’outsourced manufacturing, qui a été l’une de nos forces dans différents sous-secteurs de la production. La production à Maurice pour l’export vers le continent africain, par exemple, peut devenir attrayante pour des multinationales avec un régime fiscal incitatif et un cadre juridique adapté.

Nous dépensons des milliards en importation de produits alimentaires. Peut-on mieux faire dans ce secteur ? 
Il est certain qu’on peut mieux faire. Maurice a besoin d’un taux minimum d’autosuffisance alimentaire. Nous avons importé environ Rs 9,5 milliards en produits alimentaires rien que pour le premier trimestre de cette année. Peut-on augmenter la production et la part de marché local sur les fruits et légumes, les viandes et le poisson ? C’est une stratégie qui doit être mise en place afin de créer un écosystème incitatif pour produire plus de produits alimentaires locaux. Cela pourrait également concerner la production bio, tout en s’assurant que nos produits soient de qualité.

Importer davantage des pays africains pourrait-il réduire notre note ? 
Cela dépend de ce qu’on importe. Si c’est pour réduire nos importations du monde en faveur de l’Afrique et en diminuer ainsi le coût, il est possible qu’on puisse réduire notre note à l’import. En 2018, 86 % de nos importations venaient d’autres pays que l’Afrique. Cependant, il faut faire attention à l’effet d’importer plus des pays africains par rapport à notre production locale. Si on substitue des produits fabriqués localement par des produits importés d’Afrique, cela augmentera notre note d’importation. Notre stratégie africaine à l’import doit donc être axée sur une substitution de l’import mondiale en faveur de l’Afrique sur des produits plus compétitifs sur le continent.

La MCCI favorise la croissance par la consommation. Or, nous importons près de 80 % des produits que nous consommons, avec un impact négatif sur la balance commerciale. Comment trouver un équilibre ? Il est faux de dire que la MCCI favorise une croissance par la consommation. En effet, nous pensons, au vu du contexte économique mondial qui prévaut, qu’il est primordial de dynamiser la croissance avec des mesures qui aident à booster la demande, c’est-à-dire la consommation et l’investissement. Cette recommandation est également reprise par le Fonds monétaire international (FMI) dans son dernier rapport sur l’économie. Celui-ci parle d’une «demande globale défaillante» et incite les pays à adopter des mesures fiscales et monétaires pour dynamiser la demande. Cela inclut une politique incitative pour augmenter la consommation des ménages avec une augmentation du pouvoir d’achat.

Il est vrai qu’on importe près de 80 % de nos produits consommés. Cela résulte d’une politique que Maurice a adoptée depuis de nombreuses années, à savoir la libre circulation des biens avec des droits de douane à zéro pourcent pour la plupart de nos produits et la libre concurrence. Cependant, nous pensons que Maurice devrait équilibrer cette politique en incitant la production locale et l’esprit de Buy Mauritian.

Nous le disons depuis de nombreuses années : Maurice est en train de subir une désindustrialisation prématurée. Il est primordial d’avoir une politique qui aide à booster la production locale ; il faut redéfinir une stratégie industrielle à moyen terme. Nous sommes déjà en consultation avec les principaux acteurs des secteurs public et privé, ainsi que les institutions internationales afin de travailler ensemble pour créer ce plan industriel qui non seulement doit favoriser la substitution à l’import des produits où Maurice a un avantage compétitif et où il y a une importance stratégique en termes de sécurité alimentaire, par exemple, mais aussi dynamiser notre compétitivité à l’export à travers l’innovation et les nouvelles technologies.

C’est ainsi que Maurice peut retrouver un équilibre dans sa balance commerciale. Nous n’atteindrons certes pas une balance commerciale positive dans les prochaines années, mais l’objectif est de diminuer ce déficit.

Y a-t-il suffisamment d’investissement dans la production locale ? 
L’investissement dans la production locale atteint depuis quelques années entre Rs 4 milliards et Rs 4,5 milliards, ce qui représente environ 4,5 % du total de l’investissement dans le pays. Dans les années 1980 à 2000, ce chiffre se situait autour de 15 à 30 % de l’ensemble de nos investissements. Alors qu’il y a eu une diversification de notre économie et ainsi des investissements, ce taux de 4,5 % est relativement bas. Afin de pouvoir redynamiser le secteur manufacturier, il nous faut un taux d’investissement d’au moins 10 % de notre investissement total dans ce secteur.