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Les Mauritius Leaks choquent le monde

23 juillet 2019, 10:25

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Les Mauritius Leaks choquent le monde

Après les Panama Papers, les Offshore Leaks et les Paradise Papers, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié aujourd’hui, mardi 23 juillet à 8 heures (heure de Maurice) les Mauritius Leaks. 200 000 documents, e-mails, contrats, bandes-son confidentiels qui émanent d’une Management Company dirigée par trois Mauriciens, à Ébène. Depuis des mois, «l’express», partenaire du projet, et 40 journalistes du monde entier consultent ces documents. Verdict : Maurice – soi-disant une «clean jurisdiction» – s’attire les foudres de plusieurs pays.

Une enquête de 40 journalistes dans 18 pays

Will Fitzgibbon, responsable du projet, montrant la clé USB contenant les 200 000 documents qui vont constituer les Mauritius Leaks.

C’est l’histoire d’une clé USB envoyée anonymement à l’ICIJ. Elle contient plus de 200 000 documents du bureau mauricien de la société Conyers Dill & Pearman (CDP), que le Consortium baptise Mauritius Leaks. Cette société, fondée aux Bermudes en 1928, se vante d’être la toute première compagnie offshore de l’histoire. En 2017, trois Mauriciens, employés de CDP, rachètent la branche mauricienne et la rebaptisent Venture Corporate Services (VCS).

Sameer Tegally, Ashvan Luckraz et Sonia Xavier sont en passe de devenir aujourd’hui les avocats d’affaires mauriciens les plus connus du monde. VCS et Conyers Dill & Pearman ne seront sans doute pas aux Mauritius Leaks ce que Mossack Fonseca aura été pour les Panama Papers, révélés eux aussi avec éclat par l’ICIJ en 2016. Les documents ne démontrent pas des pratiques illégales, comme dans le cas des Panama Papers, mais ils suffisent pour démontrer le modus operandi traditionnel – et légal – des Management Companies mauriciennes pour aider leurs clients à fuir les taxes élevées dans leurs pays d’opération. Tout en garant leurs fonds à Maurice, où les sociétés offshores ne sont taxées qu’à hauteur de 3 % maximum.

Ces révélations choquent le monde, mais particulièrement les pays afri- cains avec qui Maurice a signé des traités de non-double imposition. «Maurice est en train de nous priver d’impôts essentiels. Avec cet argent, nous aurions pu construire des écoles ou des routes», regrette un responsable fiscal ougandais, cité par l’ICIJ. Aux quatre coins de l’Afrique, c’est le même refrain. «Maurice n’est pas un gateway (portail) de l’investissement vers l’Afrique, mais une getaway car (voiture de fuite) pour les corporations peu scrupuleuses qui ne veulent pas assumer leurs responsabilités fiscales», explique Alvin Mosioma, directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale Tax Justice Network Africa.

Ces derniers mois, 40 journalistes de 18 pays, dont ceux de l’express, ont fouillé cette masse de documentation. Nous avons trouvé des astuces et des conseils fiscaux, les uns plus créatifs que les autres. Voici quelques-uns des articles qui sortiront dans le monde entier aujourd’hui.

 

Botswana : même le gouvernement s’y prête

<p style="text-align: justify;"><em>&laquo;Did the Botswana government aid and abet tax avoidance?&raquo;,</em> écrit, ce matin, le journaliste botswanais d&rsquo;investigation Ntibinyane Ntibinyane, du INK Centre for Investigative Journalism. Les documents, qu&rsquo;il a trouvés dans les Mauritius Leaks,démontrent que le gouvernement de son pays a payé une très grande compagnie mondiale de mapping (NdlR, aménagement du territoire) à Maurice pour des services procurés au Botswana. Le bénéficiaire : le leader mondial du mapping, la compagnie américaine Esri, qui brasse plus d&rsquo;un milliard de dollars. Esri n&rsquo;a qu&rsquo;une boîte aux lettres à Maurice. Dans la base de données des Mauritius Leaks, le journaliste a découvert des relevés bancaires du compte d&rsquo;Esri Southern Africa à HSBC Mauritius. En quelques mois, Esri Southern Africa a été payée près d&rsquo;un million de dollars américains. Le journaliste d&rsquo;investigation a voulu comprendre la logique auprès du fisc botswanais et du ministère botswanais de l&rsquo;aménage- ment du territoire. <em>&laquo;Ne voyez-vous pas que c&rsquo;est une compagnie sud-africaine, qui a mené des activités payées par le gouvernement botswanais au Botswana. Et pourtant, c&rsquo;est à Maurice que le gouvernement va les payer ?&raquo;</em> Ni le fisc, ni le ministère ne lui a répondu.</p>

<p style="text-align: justify;">&nbsp;Par contre, la compagnie Esri Southern Africa a démenti ne détenir qu&rsquo;une boîte aux lettres à Maurice. Sauf que, sur une bande-son d&rsquo;une réunion du board d&rsquo;Esri dans les locaux de Conyers Dill &amp; Pearman et présidée par un des Mauriciens qui dirige la management company, on entend la voix d&rsquo;un des directeurs d&rsquo;Esri qui déclare explicitement : <em>&laquo;There is no business in Mauritius (&hellip;) Zero business. Just a consolidation.&raquo; </em>L&rsquo;enquête du journaliste botswanais dans les Mauritius Leaks dément aussi l&rsquo;affirmation d&rsquo;Esri (USA) qu&rsquo;Esri Southern Africa &ndash; qui a décroché le contrat au Botswana &ndash; est entièrement indépendante de la maison mère. Les documents démontrent que les bénéficiaires ultimes sont les fondateurs de la compagnie américaine.</p>

 

Les hôtels du milliardaire américain

C’est sans doute l’histoire la plus astucieuse des Mauritius Leaks. En 2012, le philanthrope américain Craig Cogut et sa société d’investissement Pegasus Capital Advisors créent une compagnie dans l’offshore mauricien : Sustainable Luxury Mauritius Ltd (SLM). Pegasus vaut à lui seul, selon l’ICIJ, des milliards de dollars. Pegasus avait auparavant acheté Six Senses, une chaîne d’hôtels et de spas extrêmement luxueuse, avec 30 sites d’opération sur quatre continents. Les hôtels Six Senses sont fréquentés par des stars hollywoodiennes. Le séjour dans les villas, sur des îles privées des Seychelles, peut, par exemple, coûter 15 000 dollars la nuit. La marque dit se soucier des employés et des communautés locales.

Sauf que l’enquête de l’ICIJ démontre que Craig Cogut et Pegasus ont trouvé une formule ingénieuse pour que les revenus quittent les territoires d’opération sans être taxés. Sustainable Luxury Mauritius – détenu par Cogut lui-même – en fait loue la marque Six Senses aux hôtels du groupe. L’argent peut donc légalement quitter les territoires d’opération. Et si le pays dispose d’un traité de non-double imposition avec Maurice, SLM paie une taxe minime à Maurice. Invitée à commenter cette trouvaille, Linda Ambrosie, chercheuse à l’université de Calgary, dans l’Alberta, au Canada, déclare à l’ICIJ que SLM n’a rien de sustainable. «Sustainable is first and foremost a tax issue», dit-elle. Ni Pegasus, ni Cogut n’ont répondu aux sollicitations de l’ICIJ.

 
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L’Ouganda se fâche avec la star Bob Geldof

«Un État qui arrive à taxer correctement arrive à être cohérent, arrive à payer ses policiers, ses cours de justice», disait Bob Geldof dans une interview en 2013. Mais la star mondiale s’attire aujourd’hui les foudres de l’Ouganda pour des raisons fiscales. L’histoire d’amour entre Geldof et l’Ouganda, et même avec l’Afrique en général, risque aujourd’hui de prendre un sale coup. Les Mauritius Leaks révèlent qu’il est l’ultime bénéficiaire d’une compagnie incorporée dans l’offshore mauricien, 8 Africa Management, qui détient une licence de la FSC et devient ainsi une compagnie bénéficiaire d’imposition fiscale à 3 %, voire moins, à Maurice. Geldof aurait ainsi dépensé des milliers de dollars pour des conseils fiscaux de Conyers Dill & Pearman. Son objectif, selon les documents consultés, est de payer moins de taxe en Afrique. Les documents ne démontrent pas que la star mondiale a suivi ces conseils, mais, comme l’explique le journaliste ougandais, «l’intention de fuir le fisc ougandais» est incontestable.

 Grand philanthrope qui a réuni les plus grandes stars mondiales comme Paul McCartney, David Bowie, Black Sabbath, Judas Priest, Sting, Elton John, Tina Turner, Les Rolling Stones, Dire Straits, George Michael, mais surtout Queen et son leader, Freddie Mercury, lors de concerts de charité pour recueillir des fonds pour l’Afrique (Live 8, Band Aid Concert), Bob Geldof est aimé dans le monde entier, particulièrement en Ouganda, où il milite contre la misère. Il investit même dans le pays pour, dit-il, «produire des résultats environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance, pour créer des market-leading African companies». Il crée alors la compagnie 8-miles, en référence à la distance physique la plus courte entre l’Afrique et l’Europe. Il investit dans un vignoble en Éthiopie, une banque en Ouganda, une compagnie qui transforme des résines pour la laque en Égypte et, même une qui est le gros producteur de volaille en Ouganda. En 2017, 8-miles, selon les documents officiels, aurait généré 150 millions de dollars. 8-miles assure payer les taxes où il le faut. Le fonds mauricien n’est alimenté que quand il y a ventes de compagnies. «Les accords de non-double imposition, c’est entre les gouvernements. Nous en bénéficions, mais ce n’est pas nous qui les créons.»

L’e-mail explicite de Gérard Sanspeur

Les Mauritius Leaks contiennent des dizaines de milliers d’e-mails. L’un d’entre eux peut paraître anecdotique, mais il démontre la volonté d’opacité. Il est signé Gérard Sanspeur, le 21 octobre 2013. L’actuel Senior Adviser de Pravind Jugnauth et Chairman de Landscope est à l’époque le président de l’association des Management Companies. Il écrit à tous les membres : «Dear all, there is a TV crew in town on a special TV enquiry about ‘defiscalisation’. Please be very careful. It is better not to meet them and be very careful with mystery shoppers.»

Les explications des uns et des autres

Nous n’avons plus rien à voir avec Conyers Dill & Pearman, nous ont répondu Sameer Tegally, Ashvan Luckraz et Sonia Xavier, les directeurs de Venture Corporate Services. Pourtant, sur l’enseigne à l’entrée de leur bureau situé dans l’immeuble de Nexteracom, à Ébène, le nom Conyers Dill & Pearman est toujours inscrit.

En visite à Maurice en juin, Will Fitzgibbon, journaliste d’investigation et responsable du projet Mauritius Leaks, a vainement tenté de rencontrer Sudhir Sesungkur, le ministre des Services financiers. Mais le ministre a quand même répondu aux questions de l’ICIJ, par e-mail. «Ce que raconte votre enquête est dépassé. Nous avons amélioré notre offshore pour le rendre plus imperméable face aux compagnies coquilles. La Banque mondiale, le FMI et l’OCDE reconnaissent nos efforts.»

Quant aux trois Mauriciens à la tête de Venture Corporate Services (VCS), ils n’ont pas répondu aux questions de l’ICIJ. Joint au téléphone le mois dernier, l’un d’eux nous a déclaré que Venture Corporate Services n’a plus rien à voir avec Conyers Dill & Pearman (CDP) et c’est CDP, aux Bermudes, qui va nous répondre. Nous nous sommes principalement intéressés au rachat de CDP par VCS pour savoir si la Mauritius Revenue Authority (MRA) a bien touché ce qui lui était dû lors de cette opération. Mais là encore, VCS n’a pas répondu.

Par contre, les documents démontrent que Mazars (l’ancienne société de Sudhir Sesungkur) avait conseillé VCS sur les moyens de payer moins de taxe pour cette opération et ne pas éveiller l’attention de la MRA. Les documents ne disent pas si ces conseils ont été suivis. Dans un e-mail à l’ICIJ, Mazars a refusé de commenter ce conseil formulé à VCS.

De son côté, dans les dernières minutes du bouclage des articles dans le monde, CDP (Bermudes) a répondu à l’ICIJ. «Conyers adhère strictement aux lois de toutes les juridictions. Nos conseils ne dépassent jamais les cadres légaux en vigueur. Nous ne pouvons commenter les communications confidentielles entre nos clients et nous, encore plus quand elles ont été obtenues illégalement.»