Publicité

Mina Jhowry : «Nous devons cesser de considérer les catastrophes comme “naturelles”»

5 juin 2019, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Mina Jhowry : «Nous devons cesser de considérer les catastrophes comme “naturelles”»

Mina Jhowry, vous êtes née en Suède, de parents mauriciens. Racontez-nous votre parcours.
Oui, mon père est né en 1941 à Montagne-Longue, à Maurice. Il a commencé sa carrière comme professeur de mathématiques au collège Trinity. Au milieu de la vingtaine, il s’est retrouvé face à deux choix : faire ce qu’on attendait de lui, c’est-à-dire se marier et avoir des enfants, ou entreprendre son propre voyage. Comme mon père était un explorateur avec plein de questions, il a choisi de quitter l’île pour l’Europe. Après quelques années en Grande-Bretagne, il s’est rendu en Suède, où il a rencontré ma mère, qui est Suédoise, et a poursuivi ses études en mathématiques et en physique.

Plus tard, il a obtenu son doctorat en plasma physics avec l’axe de recherche de solutions futures aux crises énergétiques dans ce monde. Maurice a toujours été dans sa tête, et au cours de son travail, il était passionné par le développement durable de l’île. Il a initié différents types de projets, tant éducatifs qu’environnementaux. Mais, à plusieurs reprises, il a été déçu que le profit à court terme semble plus important que le bien-être de l’île, ainsi que de celui des générations futures. Cela l’a rendu très triste.

Alors que mon père se concentrait sur les sciences naturelles, j’ai opté pour les sciences sociales et politiques. J’ai travaillé avec des entreprises de développement international, principalement des organisations non gouvernementales, depuis plus de 15 ans. J’ai appris à aimer Maurice et ma famille aussi. Je me sens très liée aux paysages et à l’histoire de l’île. Quand j’y pense, je trouve assez étonnant la façon dont un petit garçon a voyagé de l’Inde à Maurice en 1856. Et me voilà avec ma famille et mes deux enfants qui aiment la cuisine indienne qui veulent apprendre à parler créole !

Le Dr Jagdish Jhowry, votre père, qui est décédé récemment, était un observateur averti de Maurice, et fervent défenseur de la science et de l’environnement… C’est lui qui vous a inspirée ?
Il est vrai que mon père a été une source d’inspiration. Il devient de plus en plus évident que l’environnement, la politique et les droits de l’homme ne peuvent être séparés les uns des autres. À travers mon travail, j’ai pu voir comment les conflits et le «développement non durable» sous forme d’incitations extractives, la dégradation de l’environnement et les effets du changement climatique forcent les gens à abandonner les modes de vie traditionnels et même à migrer. Nous avions l’habitude de discuter de ces choses.

«Every human must have a notion of science making him/her discover the hidden truth of nature», a dit le Dr Jagdish Jhowry. Pourquoi cette phrase est importante pour nous tous ?
Je n’ose pas faire d’interprétation, c’est quelque chose que mon père dirait.

Vous venez de participer, à Genève, au sommet de l’ONU sur la réduction des risques liés aux catastrophes naturelles. Que retenez-vous de cette importante rencontre ?
Beaucoup de choses. J’ai beaucoup appris de gens de toutes les régions du monde sur la façon dont ils cherchent à renforcer la résilience aux catastrophes et aux risques climatiques. Mais par-dessus tout, nous devons cesser de considérer les catastrophes comme «naturelles». Voyez les impacts que nous commençons à avoir du changement climatique : des pluies irrégulières, davantage d’inondations, de graves sécheresses et une intensité accrue des cyclones, pour n’en citer que quelques-uns. C’est de fabrication humaine. Nous devons également reconnaître que les catastrophes frappent les gens très différemment.

Selon l’endroit où vous vivez, votre âge ou si vous êtes un homme ou une femme, votre vulnérabilité aux risques de catastrophes semble très différente. Nous devons nous demander pourquoi c’est le cas. Les catastrophes sont, dans une large mesure, le résultat de risques non gérés et de choix politiques. Lorsque nous comprenons cela, nous voyons que les catastrophes sont en fait des manifestations d’inégalité d’accès au pouvoir et aux droits. Certaines personnes seront plus à risque que d’autres. Cette dimension fait défaut dans les discussions, y compris dans la plate-forme mondiale pour la réduction des risques de catastrophe.

Quels enseignements pour un petit pays comme Maurice face au changement climatique ?
Il y a beaucoup d’expérience dans la gestion des catastrophes à Maurice. Les cyclones font partie de l’ADN des Mauriciens. Personnellement, je trouve très excitant de suivre le chemin des cyclones depuis la Suède. Mais je me demande aussi dans quelle mesure l’île résiste vraiment aux impacts auxquels nous devons nous attendre. On dit maintenant que l’inattendu est la nouvelle norme, et nous devons nous y préparer. Il faut s’attendre à de nouveaux «Idais» qui ont récemment frappé l’Afrique de l’Est.

«Nous voyons que les catastrophes sont en fait des manifestations d’inégalité d’accès au pouvoir et aux droits.»

Plusieurs rapports pointent du doigt l’état insalubre de Maurice et de ses plages, ainsi que la surconstruction sur le littoral. Le dossier «environnement» est important en Suède. Que pouvons-nous apprendre de vos compatriotes ?
J’ai été vraiment surprise de voir, la dernière fois que j’y suis allée, comment les hôtels sont construits si près du bord de mer. Pendant combien de temps vont-ils rester là, compte tenu de l’érosion côtière et des cyclones qui vont frapper les côtes… C’est aussi assez déprimant de voir à quel point les grands hôtels s’emparent des longues étendues de plage. Je ne comprends pas cela.

Oui, l’environnement est un sujet assez important en Suède. Notre gouvernement investit dans le climate fund et disaster risk reduction. C’est tout simplement la bonne chose à faire. Et il serait décent que davantage de pays, en particulier ceux qui sont les plus responsables des émissions de CO2 , paient leur juste part aux habitants du Bangladesh et des petits États insulaires qui doivent en subir les conséquences. Je pense aussi que les Suédois sont de plus en plus conscients du fait que leur style de vie avec des vacances à l’étranger et des week-ends dans les villes n’est pas durable. La «honte climatique» est devenue une nouvelle façon d’expliquer pourquoi, par exemple, les vols intérieurs diminuent. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir.

Le changement climatique et l’environnement doivent-ils aller de pair en termes de politique gouvernementale ?
Oui.

Et l’Afrique, qui a le moins contribué au réchauffement climatique, est-ce normal que le continent paie aujourd’hui les frais des économies développées comme les États-Unis ou la Chine ?
Si vous demandez s’il est juste qu’un continent comme l’Afrique paie la part des émissions de CO2 causées par les États-Unis et la Chine, la réponse est non. C’est très injuste et c’est triste de voir que les politiciens des pays riches ne peuvent pas être plus ambitieux.

Il y a une tentative d’ouvrir l’espace aérien en Afrique, est-ce une bonne chose en termes de «carbon footprint» ?
Ouvrir des allées pour plus de vols n’est bien sûr pas une bonne idée si vous prenez la menace climatique au sérieux. J’aimerais que les pays d’Afrique puissent éviter de répéter les mêmes erreurs que celles commises par les «pays développés». En Europe, nous devons à présent envisager les liaisons ferroviaires à grande vitesse comme une alternative à l’avion. Ce serait une bonne chose si l’Afrique pouvait prendre ce genre d’initiative ! Faites un saut dans le temps et offrez aux gens un voyage en train très moderne le long du Nil… C’est l’avenir des voyages, je crois.