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Mathieu Mandeng: «Les risques que nous prenons à l’étranger doivent convenir à la banque et au régulateur»

17 avril 2019, 10:43

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Mathieu Mandeng: «Les risques que nous prenons à l’étranger doivent convenir à la banque et au régulateur»

Mathieu Mandeng se réjouit des résultats financiers de sa banque qui a doublé ses bénéfices nets en 2018. Une performance tirée entièrement par ses opérations internationales, dont ses activités de trésorerie. Dans l’interview qui suit, il livre ses réflexions sur les risques de prêts transfrontaliers et rappelle les défis auxquels est exposée la juridiction mauricienne.

Vous venez de publier les résultats financiers audités au 31 décembre 2018, quelle lecture en faites-vous ?
La Banque a réalisé une performance exceptionnelle, engrangeant des revenus de USD 69 millions (Rs 2, 4 milliards), en augmentation de 17 %, et un profit net d’impôts de USD 50,9 millions (Rs 1,781 milliard), ce qui représente une hausse de 112 % par rapport à 2017.

Nous opérons une banque de financement et d’investissements à Maurice depuis 17 ans et ce qui explique cette performance, c’est avant tout notre capacité à nous réinventer et à nous adapter, tout en ayant le privilège d’avoir une «Unique Selling Proposition» (USP).

En effet, nous sommes l’unique banque globale, opérant dans 60 pays dans le monde et présente à Maurice ainsi que dans 15 autres pays africains. Nous nous appuyons sur la connaissance locale du marché et l’expertise de notre réseau international pour offrir des solutions à forte valeur ajoutée à nos clients, entreprises et institutions, notamment dans le cas de Maurice.
 
Nous opérons un modèle qui peut être difficilement répliqué, ce qui nous permet d’avoir cette performance financière pour la banque tout en participant à la création de richesse pour la juridiction.

Quels sont les segments d’activités qui ont tiré la croissance de la banque ?
Je peux dire que 90 % de nos activités se font à l’international. Notre premier moteur de croissance est le Regional Treasury Centre (RTC) qui est une solution qui s’adresse à trois cibles de clientèle. À savoir celles qui ont des opérations en Afrique, notamment les entreprises américaines et européennes ; d’autres, asiatiques (indiennes, chinoises, thaïlandaises), et les entreprises internationales africaines pour leurs opérations non domestiques. Cette solution permet aujourd’hui à la Standard Chartered Bank (SCB) de Maurice d’être la deuxième base de liquidités de la banque dans la région dite Afrique Moyen Orient, après les Émirats arabes unis. Je note que c’est un segment d’avenir que nous souhaitons développer davantage en partenariat avec Maurice en tant que centre financier international. En effet, Maurice offre des avantages et des attraits allant de la libre circulation des capitaux, le «ease of doing business», des ressources humaines bilingues et qualifiées ainsi qu’un environnement financier solidement régulé et un système légal fiable.

En tant qu’opérateur, nous offrons une plateforme digitale, qui est le «Liquidity Management», permettant à nos clients d’avoir une vue d’ensemble de leur trésorerie et, par conséquent, un contrôle efficient et une meilleure gestion à partir de la plateforme de Maurice.

À ce jour, ce Regional Treasury Centre gère des liquidités de USD 1,4 milliard.

Notre deuxième service phare est d’accompagner les ‘asset managers’ et nos clients pour leur donner accès aux marchés des titres, des valeurs. Maurice est l’un des quatre «hubs» de Standard Chartered pour cette solution. C’est un service que nous proposons depuis 2011 suivant l’achat de ce service de Barclays Bank Mauritius.

Enfin , il y a l’accès aux marchés des capitaux. Il s’agit pour nous ici d’accompagner les entreprises mauriciennes dans leurs activités internationales.

Les institutions bancaires sont confrontées aujourd’hui aux risques des activités transfrontalières. Comment faites-vous pour éviter que des prêts déboursés aux clients du Segment 2 se terminent en créances douteuses, comme c’est le cas pour certaines banques et pas des moindres ?
À la Standard Chartered, notre force est notre réseau. Nous combinons notre profonde connaissance locale et notre expertise internationale à notre réseau dans 60 pays. C’est aussi l’avantage que nous avons de connaître ces marchés où nous opérons depuis longtemps, plus de 150 ans dans certains cas.

Mais il faut comprendre une chose : nous sommes dans une industrie deprise de risques et il arrive malheureusement que, de temps en temps, ces risques tournent mal. Ce qui est important toutefois c’est que ces risques soient dans le seuil de tolérance de la banque commerciale et de la Banque centrale.

Des risques de créances douteuses auxquels toutes les institutions bancaires sont exposées ?
Tout à fait. D’ailleurs, dans le passé, nous avons aussi été confrontés à ce type de risque avec certains de nos crédits en Inde. Depuis, nous avons restructuré nos opérations et avons pu récupérer une grande partie de ces crédits.

Il faut dire que suivant cette expérience, nous avons réduit notre exposition à certains risques. C’est ainsi que le total de nos actifs, qui étaient en 2015 de l’ordre de USD 3,4 milliards, est passé à USD 2,4 milliards aujourd’hui, alors que nos revenus ont cru significativement du fait de l’augmentation des activités non risquées de la banque.

Ce qui mitige les risques est le fait que nous connaissons bien les marchés dans lesquels nous nous engageons. Et ce à travers nos clients, leurs industries, les dynamiques sectorielles et politiques des pays. Nous avons également une infrastructure de risques, avec une politique de crédit propre à la banque. À ce jour, l’Inde représente 40 % de nos actifs, 25 % sont en Asie, principalement le Vietnam, le Bangladesh, le Sri Lanka et le reste en Afrique, avec une forte masse en Afrique du Sud.

La juridiction mauricienne, entendons par là le centre financier mauricien, est constamment sous pression en raison des risques de blanchiment d’argent. Vous avez dans le passé personnellement siégé à des comités pour donner plus d’épaisseur à notre juridiction. êtes-vous satisfait du rayonnement de notre centre financier ? Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée l’industrie bancaire ?
Je suis satisfait du travail fait par la juridiction et je dois dire que c’est une «ongoing journey». La juridiction mauricienne a fait beaucoup d’efforts pour se débarrasser des accusations d’être un paradis fiscal, avec les mesures concrètes prises, qui ont abouti à faire de Maurice une juridiction «compliant» à l’OCDE.

Comme vous le savez, ESSMLAG (Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group) vient aussi de nous déclarer «en conformité» par rapport aux mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme (la recommandation numéro 10). À mon avis, il est important que toutes les parties prenantes restent vigilantes et maintiennent une discipline par rapport à la conformité aux normes internationales en matière de lutte contre le crime financier. Que je considère comme la condition sine qua non pour préserver l’attractivité de Maurice comme un centre financier international de renom.

Et les autres défis ?
Les autres défis à relever sont, entre autres, la cybercriminalité et les transformations introduites dans notre industrie, l’Artificial Intelligence, les blockchains et la Fintech. Je note cependant que certains de ces défis sont des opportunités de renouvellement de notre industrie, à condition que nous sachions nouer les partenariats et nous servir des technologies pour améliorer l’expérience de nos clients.

à la Standard Chartered, la révolution est en marche. En mars 2018, nous avons lancé la première banque digitale en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. C’est une technologie vous permettant d’ouvrir votre compte et procéder à vos opérations bancaires habituelles sur votre smartphone. Il n’y a plus besoin de vous déplacer dans une agence. Depuis, nous avons répliqué cela au Ghana, en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya pour offrir des services et des produits au plus près des besoins de nos clients, et à moindre coût !

Après l’Inde, les opérateurs du Global Business se tournent aujourd’hui vers l’Afrique pour assurer la pérennité de ce secteur. Quels sont les atouts dont dispose l’Afrique pour permettre à notre offshore de renaître ?
Le Global Business a été un contributeur clé dans le flux de Foreign Direct Investment (FDI) en Inde durant ces 15 dernières années. L’Inde a reçu plus de USD 300 milliards en termes de FDI, dont un tiers est passé par Maurice, contribuant ainsi au développement économique et industriel de l’Inde.

Comme vous le savez, avec les flux financiers viennent aussi les flux invisibles que sont le transfert d’expertise, de technologie, de savoir-faire, de formation, etc. La renégociation du DTAA a offert à Maurice l’opportunité de se renouveler en cherchant à répliquer le même modèle de développement pour l’Afrique.

L’Afrique étant la prochaine frontière de croissance, Maurice développe ainsi un partenariat pour le partage de la prospérité avec le continent. C’est notamment le cas avec la création en 2014 du Mauritius Africa Fund, doté de Rs 500 millions, pour développer les «Special Economic Zones», avec quatre pays pionniers que sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana et Madagascar. Ce faisant, Maurice permet de gérer les risques liés aux problèmes de bonne gouvernance, de l’environnement des affaires, d’infrastructures et d’intégration régionale. De ce fait, Maurice prend ainsi avantage de sa part de développement sur un continent dont la forte croissance est tirée par les trois «C» que sont «commodities», «consumption» et «corridors». Et ce dernier est un levier puissant car nous parlons ici de couloirs émergents, ceux facilitant le commerce et l’investissement venant notamment d’Asie, de la Turquie et du Brésil.

S’agissant notamment du premier corridor, Maurice, par ses accords avec l’Inde, dans le cas du CECPA (Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement), et la Chine, avec le FTA (Free Trade Agreement), a un rôle fondamental à jouer dans la facilitation du commerce et de l’investissement entre l’Asie et l’Afrique. Nous savons bien que Maurice s’est développé en créant des marchés en dehors de son insularité ; comme cela a été le cas avec le marché sucrier, l’industrie textile, le secteur touristique et maintenant les services financiers.

La SCB a agi comme un des coordonnateurs auprès de la MCB qui a obtenu récemment un crédit syndiqué de 800 millions USD pour le financement du commerce international. Quelle a été la démarche de la SCB de participer à cette opération financière ? Quel aura été l’apport du secteur bancaire, dont vous faites partie à travers la SCB, à développer un marché de capitaux ? Comment la SCB se positionne-t-elle pour s’imposer durablement sur le marché des services financiers ?
Durant les cinq dernières années, les banques ont joué un rôle important et actif dans le marché des capitaux en l’ouvrant aux entreprises mauriciennes.

La syndication de la MCB est une transaction que nous avons contribué à structurer. C’est un exemple tangible de ce que nous pouvons faire pour ouvrir le marché des capitaux internationaux à nos clients. La Standard Chartered est coutumière du fait car nous faisons des transactions similaires dans les pays d’Afrique, d’Asie et du monde, et ce dans des secteurs aussi variés que les télécommunications, les infrastructures, les mines, l’énergie et, bien sûr, le secteur financier.

La réussite de cette syndication est une reconnaissance internationale de la signature MCB et de la juridiction de Maurice qui est un des cinq seuls «Investment Grade Countries» en Afrique. Elle dénote aussi l’expertise de la Standard Chartered pour apporter des solutions à forte valeur ajoutée et d’envergure globale.