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Suicide: à l’amour à la mort

19 mars 2019, 21:20

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Suicide: à l’amour à la mort

Elle était jeune, elle était belle. Elle semblait avoir tout pour elle, mais elle a mis fin à ses jours. Sur Facebook, l’indignation était à son comble durant la semaine écoulé, alors qu’un élan de solidarité qu’on avait rarement vu jusqu’ici s’est formé autour de sa famille. Le suicide est bel et bien un mal réel, comme l’affirment ceux qui l’ont côtoyé. Et qui se demandent pourquoi, comment et si...

À la place des fiançailles, des funérailles. Une famille déchirée, des proches inconsolables. Sur Facebook : des condamnations, des jugements. Suicide, le mot est lâché. Et, certains doivent vivre avec chaque jour, après le décès d’un proche ou après avoir vu eux-mêmes la mort de près.

Elle porte un T-shirt noir, les cheveux relevés. Mira a 23 ans, elle arbore un magnifique sourire. Qui cache de la tristesse. Dylan, son demi-frère, s’est donné la mort en 2012. Il avait 26 ans.

«C’était un allié, mon protecteur, mon clown... » Dylan vivait à quelques pas de chez elle. Même s’ils venaient de familles reconstituées, cela ne les a jamais empêchés d’être proches. «C’était le fils de mon beau-père. Nous n’avions pas le même sang qui coulait dans nos veines, certes, mais il m’a tout le temps considérée comme sa sœur et vice versa.» Mira a la voix nouée. Son sourire s’est évaporé, a cédé la place aux larmes. Elle prend une pause. Elle n’a pas oublié ce qui s’est passé jour-là...

Quelques jours avant que Dylan ne «s’en aille», Mira avait eu un accident. Clouée à son fauteuil roulant, Dylan était celui qui lui redonnait la pêche. En ce jour fatidique, ils avaient passé leur journée ensemble. Dylan avait emmené Mira faire un tour sur le terrain de foot de leur localité. Elle se rappelle encore de leurs derniers fous rires, de ces instants de joie, elle ignorait à ce moment-là qu’ils seraient les derniers.

«En rentrant, j’avais un mauvais pressentiment. Je sentais que cela avait un rapport avec lui. Je l’appelais mais il ne décrochait pas.» Ce qui n’était pas de son habitude. Clouée au lit, ce n’est que plus tard dans la soirée que Mira apprendra que son demi-frère s’était disputé avec des proches. Ce dernier ne tarda pas à lui envoyer un texto. «Il m’a envoyé des messages bizarres que je ne comprenais pas à ce moment précis. Il débordait d’émotions mais à aucun moment il ne m’a expliqué ce qui se passait.» Son dernier message, c’était celui-ci : «Mo pou touzour la, pa per, mo kontan twa mo ser...»

Après ce texto, Dylan ne répondait plus. Le lendemain matin, Mira la boule au ventre, elle demande à son beau-père d’aller voir celui-ci. Alors qu’il tardait à revenir, elle y est allée aussi, avec son fauteuil. «Les autres membres de la famille étaient tous en larmes devant la porte. Je ne comprenais pas...»Dans la chambre de Dylan, elle découvre l’horreur. Il s’était pendu, sa tête penchait d’un côté et ses dreads lui recouvraient le visage. Mira a senti son monde s’écrouler.

Sept ans après, elle vit toujours avec les séquelles de cette disparition. Le T-shirt noir qu’elle porte est le sien car elle savait qu’elle parlerait de lui. La douleur se mêle à la culpabilité. Des questions tourbillonnent dans sa tête. Pourquoi n’a-t-elle rien vu venir ? Comment ? Et si... «Et si j’avais insisté pour comprendre ce qui lui arrivait ? Si je n’étais pas dans cette chaise ?Il serait peut-être toujours là.»

Mira est persuadée que son frère veille toujours sur elle. Elle dit sentir sa présence dans les moments où elle en a besoin. Son souvenir l’aide, sa mémoire la soutient. «Il me manque énor-mément... Ça me fait mal très mal.»

Hillary, elle, a 22 ans et elle respire la joie de vivre. Difficile de croire qu’elle a essayé de mettre fin à ses jours. Elle avait 13 ans... À l’âge où on commence à rêver, elle voyait tout en noir. Elle se mutilait, s’isolait et écoutait de la musique trash. «Je me sentais seule. Je pensais que personne ne m’aimait», avoue-t-elle en détournant le regard.

Dans sa petite tête d’adolescente, les questions s’entrechoquaient, les émotions aussi. Ni ses proches, ni ses amis ne pouvaient comprendre ce mal-être. Elle avait du mal à trouver sa place, se sentait différente des autres.

«La solitude me faisait trop mal»

Un jour, dans les toilettes, au collège, elle s’est ouvert les veines. «Je voulais en finir. La solitude me faisait trop mal.» Ce sont ses camarades de classe qui l’ont trouvée à temps. «Je ne me rappelle pas exactement de ce qui s’était passé après que je l’ai fait. Cependant, je peux vous dire qu’une semaine après, je me suis rendu compte que je me trompais sur l’importance que j’avais dans la vie des autres...»

Après sa tentative de suicide, ses profs, ses camarades et sa famille l’ont aidée à reprendre du poil de la bête. Aujourd’hui, c’est une jeune femme épanouie, qui dévore la vie chaque jour, malgré les hauts et les bas.

Les cicatrices sur ces bras sont toujours visibles, l’entaille résultant de sa tentative de suicide également. Autant de signes qui montrent qu’elle a un passé. Le futur, lui, s’annonce plutôt pas mal...

José Emilien: «Ce sont bien souvent que le haut de l’iceberg d’une situation qui pourrissait lentement »

José Emilien, président de l’association Befrienders.

 

Befrienders, c’est quoi ?
Befrienders a été officiellement enregistrée le 13 novembre 1995 et fêtera donc ses 24 ans d’existence cette année. Elle a été fondée dans le but de contrecarrer le nombre grandissant de suicides, car à cette époque, il n’existait aucun organisme pour s’occuper de ces personnes à risque.

Est-ce que cela a porté ses fruits ? Le taux de suicide a-t-il baissé ?
Je dirai que le taux de suicide s’est stabilisé ces dernières années, selon les cas rapportés et publiés par la police : 66 en 2016, 84 en 2017 et 51 à août 2018. La situation a été ‘contenue’ si l’on compare la centaine de cas recensée les années précédentes. (...)

Qui sont les plus vulnérables, les hommes ou les femmes ?
Généralement, d’après les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé, ce sont les femmes qui font le plus de tentatives mais ce sont les hommes qui parviennent à leurs fins.

Quelles sont les raisons les plus courantes qui poussent les gens à vouloir se suicider ?
Le manque de résilience, l’incapacité à résister aux chocs émotionnels. Il y a aussi le manque de repères vis-à-vis des problèmes rencontrés et le mal-être. L’absence de dialogue, de soutien, le manque de communication, d’écoute, dans cette vie où tout va à cent à l’heure. (...) Cela entraîne la dépression et souvent, face à une situation, la seule solution demeure le suicide, l’envie d’en finir. Les causes les plus immédiates sont les histoires d’amour malheureuses, le bullying, les problèmes de couples etc. Mais il ne s’agit là que du sommet de l’iceberg alors que la situation pourrissait lentement.

Recevez-vous beaucoup d’appels ?
En moyenne 140 à 150 appels par mois. Nous recevons aussi de plus en plus de demandes pour des «face to face sessions» dans nos bureaux, pour des séances d’écoute et d’accompagnement.