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Liseby Elysé: «Je suis très en colère contre les Britanniques»

2 mars 2019, 18:00

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Liseby Elysé: «Je suis très en colère contre les Britanniques»

Émue par l’avis de la Cour internationale de justice et à peine rentrée de La Haye, elle repart en Angleterre. Mais cette fois-ci, Liseby Elysé va rendre visite à ses quatre fils. La Chagossienne et membre de la délégation mauricienne revient sur l’événement et son cri du coeur face aux Britanniques et aux Mauriciens.

Comment avez-vous vécu l’annonce de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ) lundi ?

J’étais à la cour à La Haye. Je pensais que l’issue serait positive. Depuis mon témoignage, en septembre 2018, je sentais que les juges étaient de notre côté. Je savais que nous allions vers une grande victoire. J’avais beaucoup d’espoir.

Vous avez pleuré ?

J’ai pleuré des larmes de joie. J’étais heureuse et satisfaite. Nous avons eu un sacré coup de main de sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind. Ce dernier nous avait d’ailleurs dit de croire en lui…

Mais votre combat dure depuis longtemps, avec toute une équipe derrière, surtout portée par les Chagossiens…

Absolument mais sans lui (NdlR, le Premier ministre), nous ne serions pas arrivés là.

Vous êtes consciente qu’il s’agit là d’une bataille de remportée. La guerre est toujours déclarée.

Effectivement, et nous attendons cela de pied ferme. Nous ne savons pas ce qui nous attend.

Qu’est-ce que cette décision implique pour Maurice ?

Je crois que Maurice est tout aussi heureux que nous de ce dénouement.

Et pour les Chagossiens ?

Parmi les Chagossiens de Maurice, plusieurs sont très contents. Certains nous ont même accueillis à notre arrivée à l’aéroport et nous ont accordé des témoignages touchants. Ma famille à moi est tout aussi contente. J’ai quatre fils et un petit-enfant qui vivent en Angleterre. Je pars d’ailleurs leur rendre visite demain (NdlR, aujourd’hui).

Ceux des Seychelles prennent aussi position. Votre avis ?

Je n’ai rien entendu à ce sujet. Je ne suis pas en contact avec eux.

Après La Haye, vous voilà repartie dans l’avion pour le Royaume-Uni cette fois-ci. Comment financez-vous donc tous ces déplacements ?

Je vais à Manchester pour voir mes quatre fils. Je n’y vais pas souvent. Généralement, c’est eux qui viennent me rendre visite. J’y serai pendant deux mois. Pour le financement, je n’y parviendrai pas seule. J’ai 66 ans, je suis à la retraite. J’ai passé ma vie à travailler «dan lakaz madam». Et j’ai cessé de travailler à 65 ans. Mes enfants résident là-bas depuis l’émission des passeports pour le Royaume-Uni. Plusieurs personnes, des Mauriciens comme des Chagossiens, nous aident avec des contributions, sachant que nous sommes dans le besoin ainsi que les associations. Pendant longtemps, Maurice ignorait tout de la misère qui s’est abattue sur nous.

Racontez-vous donc cela…

On nous a traités comme des gens à mettre à l’écart. Les Mauriciens ont mal agi envers nous. Ils ont vu aujourd’hui que nous avions raison.

On vous sent toujours amère…

Je ne suis pas en colère mais je me souviens de certaines choses. Quand je venais de débarquer à Maurice en 1973, ils disaient que nous n’étions que des «îlois». On nous accusait de plusieurs choses : de manger des humains, de voler toute l’eau. Nous avons bravé le mépris du peuple mauricien. Parfois je ressens encore de l’amertume. Mais il faut pardonner. Puis, le gouvernement nous soutient. Imaginez-vous que nous avons été déportés de notre île sans même savoir où nous allions.

Que ressentez-vous pour les Britanniques ?

Je suis très en colère à leur égard. Ils auraient pu nous donner une pension à vie et une compensation pour nous dédommager pour les préjudices subis. Par conséquent, nous ne les aurions pas traînés en justice. Je suis furieuse.

Allez-vous continuer votre combat maintenant ?

Je n’abandonnerai pas. Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle. Ma volonté est de retourner aux Chagos. J’aime mon pays. Je vais continuer mon combat pour que, plus tard, mes enfants voient où leur mère est née.

Comptez-vous témoigner à nouveau devant les Nations unies ?

S’il le faut, je repartirai et j’apporterai mon témoignage. Je me présenterai devant les Nations unies. Je continuerai mes efforts et suivrai cette affaire jusqu’à ce qu’on obtienne la victoire.

Mais cette victoire ne symbolisera pas le retour de tous les Chagossiens dans l’archipel. Car si les premières générations y aspirent, celles qui sont installées en Angleterre veulent y rester. Que feront vos enfants ?

Je ne peux vous dire ce que feront mes enfants. Je ne sais pas non plus comment le gouvernement mauricien tranchera la question. Mais mon rêve à moi est de revoir la mer, de retrouver ma terre et le lieu où j’avais l’habitude de cultiver mes légumes. Les brèdes, le thym, les bringelles, les patoles : tout était différent. Tout avait une autre saveur. Ici, ça se meurt. C’est ma terre, je regrette d’avoir été déracinée. Je veux revoir mon île, repartir à Peros Banhos. C’est mon plus grand désir. Je veux mourir là où je suis née.

Bio express

<p>Âgée de 66 ans, Liseby Elysé est née aux Chagos. Étudiant jusqu&rsquo;à la troisième, elle s&rsquo;est mariée à l&rsquo;âge de 19 ans dans son île. Un an plus tard, elle arrive à Maurice. Mère de cinq fils, dont un est décédé, et d&rsquo;une fille, Liseby Elysé a aussi trois petits-enfants. Le 3 septembre 2018, elle était membre de la délégation mauricienne à La Haye. Elle avait livré un bouleversant témoignage, qui avait marqué l&rsquo;opinion publique.</p>