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Vishal Singh Balluck, enseignant: «On humilie parfois les profs»

20 janvier 2019, 16:10

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Vishal Singh Balluck, enseignant: «On humilie parfois les profs»

De jeunes profs qui sont «surveillés», indiscipline des élèves, drogues synthétiques : comment l’enseignant vit-il avec cela ? Nous en avons interrogé un et non des moindres. Celui qui n’hésite pas à faire le pitre sur Facebook, Vishal Singh Balluck, enseignant au secondaire, redevient sérieux le temps d’un entretien.  

Comment s’est déroulée la rentrée des classes ?
J’ai reçu un beau cadeau pour cette rentrée. Je viens d’être transféré dans un autre collège. J’ai quand même apprécié l’administration du collège qui a été très humaine.

Qu’est-ce que cela implique d’être un enseignant aujourd’hui ?
L'objectif de base est le même que celui d'antan : instruire, éduquer, former le citoyen de demain. C'est la forme qui a changé. Par exemple, nos méthodes doivent être réinventées à tout bout de champ car la jeunesse d'aujourd'hui ne se contente plus des méthodes traditionnelles et pourquoi le devrait-elle d’ailleurs ? Aujourd’hui, elle a accès à toutes sortes de facilités. Cependant, il faudrait évidemment qu'elle les utilise à bon escient

L’indiscipline dans tout ça ?
Au lieu d'utiliser les smartphones et les tablettes pour enrichir leurs connaissances, les jeunes préfèrent perdre leur temps à regarder tout ce qu'il ne faut pas. Il y a tant de choses négatives diffusées sur la Toile. Beaucoup de jeunes, malheureusement, s’identifient à des «idoles» infâmes. Il faut aussi qu'ils soient capables de choisir des amis qui en valent la peine.

Avant, il y avait le rotin bazar. Quelle méthode marche le mieux aujourd’hui ?
Le châtiment corporel n'a plus sa place de nos jours. Il faut se mettre dans la peau de l'apprenant et comprendre ce qui se passe dans sa tête pour ensuite avoir une conversation saine avec lui. Beaucoup de jeunes n'ont pas les repères idéaux. Si, même après une conversation et des conseils, l'élève récidive, il faut absolument que le psychologue intervienne.

La nouvelle réforme éducative a été très critiquée. Et du point de vue des profs, qu’en est-il ?
Avec le Nine-Year Schooling, le système actuel tente de prendre tous les apprenants à bord. A mon avis, cela est bien calculé. J’ai l’impression que cela marche sur le plan intégratif. Moi j’ai vu des enfants de «l’extended stream»  intégrer le «main stream». Il est trop tôt pour en mesurer l’impact mais je crois qu’on est sur la bonne voie. D’ailleurs, pourquoi devrions-nous sacrifier les «late developers» et les «slow learners» à cause d'un système éducatif devenu obsolète ? Le nouveau système tente d'offrir les mêmes chances à tous.

Dans la pratique, l’octroi des collèges après le PSAC fait sourciller, alors que les demandes de transferts et les parents mécontents sont nombreux. Que faut-il changer ?
Bien qu’une place dans un collège  de la zone soit allouée à un enfant, il faudrait calculer la distance. Un enfant, même un enseignant, déjà fatigué par le trajet, ne pourra jamais donner le maximum de lui-même.

Récemment, des informations ont circulé sur des jeunes enseignants enfermés dans une bibliothèque scolaire…
Je ne connais pas le nom de l’établissement mais cela doit être des directives données par l’administration. Je le suppose car j'ai connu de telles administrations dans certains collèges privés. Tout indique que les jeunes profs ont été invités à rester à la bibliothèque pendant leur temps libre. Ils n’étaient pas enfermés mais sous surveillance, en quelque sorte…

Est-ce là une «invitation» normale ?
C’est pour les dissuader de se rendre au «staff room», pour éviter que les «anciens» profs ne leur lave pas le cerveau !

Ah ?
Vous savez dans certains collèges privés, il y a plein de palabres, des injustices, des humiliations. Maintenant, je peux mesurer la différence entre les établissements privés et ceux de l’Etat car j’ai passé 14 ans dans le premier secteur.

Et vous laissez faire ?
Les syndicats sont désarmés face au pouvoir de certains managers. Que peuvent faire les profs ? Ils ont peur de perdre leur travail.

Quelles sont les autres difficultés que bravent les enseignants ?
Dans plusieurs établissements du privé, les professeurs sont souvent blâmés pour la mauvaise performance des élèves. Du coup, on doit participer à des réunions du personnel où on les humilie. On classe même les enseignants par rang selon leur performance. L’administration scolaire, c’est comme un régime militaire. Tout est matière à irritation, remarques et humiliations, même l’apparence.

L’an dernier, plusieurs cas de violence des parents à l’égard des enseignants ont été dénoncés. Pourquoi en venir aux mains ?
C'est un fait déplorable. Mais que faire ? Tout le monde a le sang chaud de nos jours. Cependant, il faut que les parents prennent conscience que le personnel de l'école oeuvre pour le bien de l'enfant. Ce n'est pas parce que votre enfant a été réprimandé que vous êtes censé vous venger. Si le parent n’est pas parvenu à inculquer les valeurs telles que le respect et la discipline - étant lui-même trop permissif ou violent - il est évident que nous devrons prendre les choses en main. Mais je conseillerais aux professeurs, qui tendent à être violents, d'apprendre à se maîtriser ou de chercher une autre vocation. L'éducation est l'élément le plus vital qui puisse exister, donc qu'on le fasse comme il se doit.

Du coup, vous balancez vos coups (de gueule) sur les réseaux sociaux à profusion…
Absolument ! Mais c’est pour l'humour avant tout ! Je me considère comme un humoriste virtuel, bien que je sois assez timide dans la vraie vie. Plus sérieusement, cela me permet d’être en contact 24/7 avec ce qui se passe autour de moi, pour exprimer mon désaccord ou pourquoi pas mon accord quant à certains sujets. Je m’y exprime également pour lancer certains débats et trouver des solutions. La société actuelle veut que l'on soit connecté; et les profs font partie de la société.

A l’inverse, la plupart d’entre eux restent souvent muselés. Pourquoi «aboyez-vous» dans ce cas ?
Moi, aboyeur ? Je ne m'offusquerai pas car je connais les diverses significations de ce mot. C’est sûr que j'ai tendance à dire des «choses» assez ou même trop franchement sur les réseaux sociaux. Etre prof ne veut pas dire se taire et subir. Bien au contraire, si nous, profs, encourageons nos élèves à s'exprimer clairement, nous ne pouvons nous permettre d'être hypocrites envers nous-mêmes, n'est-ce pas ? Cela doit changer. Notre travail est déjà très compliqué et cela s'accentue d'année en année. Les profs de certains collèges privés doivent se faire entendre. Se taire et subir, pendant combien de temps ? Si un prof se sent mal à l'aise et piétiné dans son lieu de travail, c'est sûr qu'il sera dégoûté. Cela aura des conséquences néfastes sur l'apprentissage de l'élève.

L’infiltration de la drogue synthétique dans les collèges ne cesse de croître. Comment en est-on arrivé là ?
Le gros problème avec la drogue synthétique, c'est sa disponibilité. Les parents donnent de l'argent de poche aux enfants mais se demandent-ils ce qu'ils en font ? J'espère que ce fléau sera bientôt de l'histoire ancienne. Ce combat exige que tout le monde mette la main à la pâte. Il faut immédiatement alerter les parents et les autorités si on constate qu'un enfant vient à l'école dans un état second.

L’université gratuite sera-t-elle vraiment un plus pour les enfants que vous formez ?
Généralement, 50 % des étudiants qui complètent le HSC vont chercher du travail. L’autre moitié se tourne vers les études supérieures. Je crois que cela allègera le fardeau des parents qui peinent à financer les études de leurs enfants. Que demander de mieux que des études supérieures gratuites? Notre seule ressource est la ressource humaine. Alors, si elle est bien instruite, elle sera plus apte à assurer son avenir et celui du pays. Cependant, faut-il encore qu'on apprenne à respecter ce qui est «gratuit». Mais la question que je me pose est : est-ce que tout ce monde-là, une fois formé, trouvera du travail ? A mon avis, les universités feront de la place mais une fois le programme complété, que va-t-il se passer ? Je suis confiant que le gouvernement pourra créer de l’emploi.