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Iqbal Sookhroo: «L’université devra surveiller ses dettes plus consciencieusement»

19 janvier 2019, 15:58

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Iqbal Sookhroo: «L’université devra surveiller ses dettes plus consciencieusement»

L’abolition des frais de scolarité à l’université fait sourciller. Quelles sont les implications ? Comment l’université de Maurice (UoM), qui accueille le plus grand nombre d’étudiants, s’y prendra, compte tenu de ses dettes ? Iqbal Sookhroo, ancien membre du conseil d’administration, fait le point sur les enjeux de la gratuité. Le gouvernement devra davantage financer l’UoM.

La mesure annoncée de gratuité des cours universitaires fait débat. Votre avis ?

C’est une louable initiative du gouvernement. Investir dans l’éducation et nos jeunes est un pas vers le succès. Cependant, on dirait qu’on a mis la charrue avant les boeufs. Cette décision a été prise sans consultation au préalable. Dans le passé, il y avait la stratégie «Enn gradué par lakaz». Avec l’introduction de l’enseignement supérieur gratuit, il y aura plus de diplômés par famille.

Soyons objectifs. À l’UoM, cela fait un moment qu’on se penche sur des moyens pour faire cadrer les cours offerts au marché de l’emploi. A-t-on réussi ? Si on regarde le nombre de diplômés produits par l’établissement et le taux de chômage, la conclusion est évidente. Soit nous formons des individus surqualifiés pour des postes inférieurs ou alors nous gonflons les chiffres du chômage.

«Il n’existe aucune autre solution que de promouvoir les cours les plus demandés.»

Pourra-t-on accommoder tous ces étudiants ?

Les étudiants se plaignent toujours des facilités existantes à l’UoM. D’ailleurs, le rapport de l’audit est équivoque. Il mentionne notamment que le déficit financier persistant entrave le maintien et la mise à jour des infrastructures physiques et technologiques, tout comme le niveau du personnel dédié à la provision d’un enseignement supérieur de qualité. Il est clair que l’UoM a déjà atteint son point de saturation.

Donc, il n’y a pas de places ?

Avec 9 000 étudiants, nous fonctionnons à pleine capacité. Serait-ce judicieux d’augmenter le nombre d’inscriptions à l’université sans investir dans des salles de classes additionnelles, des laboratoires, des bibliothèques entre autres nouveaux équipements ? La mesure de gratuité sera fructueuse si le gouvernement procure des fonds additionnels pour consolider les infrastructures existantes. Par exemple, le stationnement cause aussi des problèmes. Il n’y a aucune disponibilité à l’Engineering Tower.

Outre l’investissement, quelles seront les implications pratiques de cette mesure ?

Le gouvernement aura à soutenir complètement l’UoM. Le budget annuel est de Rs 1 milliard. Celui-ci est financé à 70 % par l’État. Pour le reste, l’établissement génère Rs 200 millions des étudiants chaque année. À travers les locations de l’auditorium, la consultation, la vente de produits de la ferme, nous pouvons réunir environ Rs 100 millions. Mais avec la gratuité, nous n’aurons plus ces Rs 200 millions. L’État devra s’en charger.

Parallèlement, il faut penser en termes de ressources humaines. À l’UoM, les cours sont dispensés en face à face. Or, à l’Open University of Mauritius, la majorité des formations sont en ligne. Par conséquent, le recrutement de chargés de cours à temps plein et à temps partiel sera requis, à moins que le mode d’enseignement ne change.

Comment l’UoM pourra financer ces cours gratuits puisque les pertes s’accumulent ?

Depuis des années, nous avons assisté à des coupures drastiques dans les subsides du gouvernement. Cela a eu un impact sur les facilités et les ressources humaines…

Mais selon les chiffres du Budget 2018-2019, les subsides seront à la hausse…

Définitivement. Mais il faudra trouver Rs 200 millions de plus en appliquant la gratuité. De plus, sur le budget à Rs 1 milliard, 70 % concerne les salaires des employés et 30 % constituent les dépenses. Avec l’affluence des inscriptions, il y aura plus de dépenses. Cela aura un effet domino.

Revenons aux pertes…

Ceci ne peut être rectifié qu’à travers un financement tenant compte de tout déficit et fourni par le gouvernement. L’UoM a déboursé un montant considérable pour l’acquisition du bâtiment The CORE à la succursale d’Ébène, qui s’autofinance lui-même. C’était un emprunt de Rs 200 millions. Cependant, avec l’enseignement supérieur gratuit, cela ne sera plus possible. En fait, avec l’acquisition du bâtiment, la branche d’Ébène est devenue autonome financièrement, avec des cours payants. Mais la gratuité ne permettra plus de générer ces revenus.

De plus, il y avait un accord avec EON Reality pour une location de quatre ans à raison de Rs 425 000 par mois. Les responsables n’en ont payé qu’une partie. La dette de cette instance est de 15 millions, voire plus. Le pire, c’est qu’il n’y a même pas de contrat entre l’université et cette société. Lors du dernier conseil d’administration, la firme a informé qu’elle quitterait le bâtiment. Donc, on se retrouve avec une colossale ardoise impayée.

Pourquoi l’institution estelle endettée ?

Il y a un laisser-aller de la part de la haute direction. Un exemple est la saga EON Reality Mauritius, avec une dette de 15 millions pour le loyer et sans contrat à ce jour. L’UoM devra surveiller ses dettes de manière plus consciencieuse. En plus de cela, l’institution s’aventure dans des projets à haut risque financier, par exemple une collaboration avec l’université de l’Arizona.

Pourtant, l’établissement reçoit plus de subsides de l’Etat comparés aux autres universités. Et les pertes s’accumulent ?

L’UoM est la première et seule institution qui procure une éducation gratuite, exception faite des frais généraux. Le coût des programmes varie de Rs 60 000 à Rs 100 000. Inversement, d’autres établissements offrent tous des formations payantes. N’oublions pas, non plus, que l’université accueille 9 000 étudiants comparés aux autres institutions publiques.

Y aurait-il trop de dépenses superflues ? Qu’en est-il de ce fameux auditorium à Ébène ?

En ce qui concerne les dépenses, l’UoM a institué des mesures d’efficacité qui seront sûrement bénéfiques à long terme. Cependant, j’aurai tendance à convenir que ces démarches ne devraient pas concerner uniquement le personnel non-universitaire mais également le niveau de la direction. Il est inacceptable que la direction compromette les privilèges du personnel d’une part mais qu’elle ne puisse pas recouvrer ses dettes. Car dès qu’il y a un souci financier, on supprime les promotions, les recrutements et les heures supplémentaires, alors que les abus perdurent au sein du management.

L’exemple vient d’en haut. Est-il normal que le contrat de nettoyage d’une entreprise privée soit prolongé de 15 mois ? Par exemple, après un appel d’offres, tout fournisseur assure un service pour une durée déterminée, par exemple pour deux à trois ans. Mais dans ce cas précis, le contrat a expiré puis a été renouvelé automatiquement. Ce n’est sûrement pas la meilleure pratique de gestion. Pour revenir à l’auditorium, nous devons envisager une bonne stratégie de marketing.

Du coup, on parle de suppression de cours. Est-ce bien à l’agenda ?

Avec les ressources limitées dont nous disposons, il n’existe aucune autre solution que de promouvoir les cours les plus demandés.