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Grégory Mahé : L’homme qui revient de loin

15 décembre 2018, 17:10

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Grégory Mahé : L’homme qui revient de loin

Le nom Grégory Mahé ne dira rien aux non-initiés. Les accros du sport, eux, sauront que c’est l’ancien champion de rugby qui s’est relevé d’une rupture d’anévrisme, reprenant le rugby avant d’embrasser une carrière de kiné. Il exerce maintenant chez nous.

C’est au pôle médical du SPARC de Cascavelle et au club Riverland de Tamarin que cet ancien rugbyman de haut niveau, qui a connu ses heures de gloire en France, consulte. Il s’est spécialisé en kinésithérapie générale et sportive, de même qu’en thérapie manuelle (ostéopathe) et en acupuncture. Il est aussi préparateur physique et diplômé en pilates. «J’essaie de trouver les outils adaptables aux différentes pathologies pour soigner les gens au mieux», déclare ce sympathique trentenaire au fort accent chantant des natifs du sud de la France.

Il est originaire de Tarbes, non loin de la ville de Lourdes. Ses parents sont commerçants. Très tôt, Grégory Mahé montre des dispositions pour le sport et se voit dans la peau d’un professionnel de tennis. Mais à l’époque, le tennis n’est pas aussi populaire qu’aujourd’hui. Ses copains se lançant dans le rugby, il les rejoint d’abord pour faire la fête, «la fameuse troisième mi-temps comme on dit», souligne-t-il en riant. Sauf qu’il se prend vite au jeu et excelle en ce sport.

Il quitte Tarbes à 17 ans dans l’optique de faire une carrière en tant que professionnel de rugby. Son rêve devient réalité car il parvient à être sélectionné pour jouer en équipe de France junior avant d’être remarqué par le Stade Toulousain qui est le club de rugby le plus titré en France. Il s’entraîne quatre heures par jour. Il joue en professionnel vers l’âge de 19-20 ans. Son poste est celui de demi-mêlée et son rôle est d’épauler le capitaine en gérant l’équipe d’un point de vue tactique et stratégique.

L’équipe décroche le titre de champion d’Europe en 2003. Il côtoie les meilleurs joueurs comme Frédéric Michalak, Vincent Clerc et Fabien Pelous. Au bout de trois ans, il quitte ce club pour aller jouer avec celui du Stade Français. En 2004, ce club obtient le titre de Champion de France. Outre une maîtrise parfaite de la technicité du jeu, dit Grégory Mahé, l’amitié et la complicité qui cimentent les rugbymen les font l’emporter.

«Si tu n’aimes pas tes coéquipiers, tu n’as pas envie de prendre des coups pour eux.» Grégory Mahé a l’occasion de jouer contre Johnny Wilkinson, rugbyman anglais qui a obtenu le titre de Meilleur joueur au monde, mais aussi avec le célèbre rugbyman disparu Jonah Lomu, qui a contribué au sacre de l’équipe nationale néozélandaise des All Blacks.

Grégory Mahé devient la coqueluche des Français. Les médias le sollicitent pour des interviews radio et télé ; les supporteurs réclament des autographes de lui. Ce n’est pas pour autant qu’il prend la grosse tête. «Nous venons du Sud et nous sommes ancrés dans la terre. Ma famille m’aurait vite remis sur le droit chemin si j’avais pris la grosse tête.»

Impacts plus violents

Il dit avoir été régulièrement suivi au niveau médical, pour des tests antidopage que de dépistage du VIH car le rugby est un sport de contact souvent violent et les rugbymen saignent beaucoup lors des matchs. Il est dépisté aussi à travers des bilans sanguins pour déceler d’éventuelles carences en vitamines. Pendant 13 ans, Grégory Mahé tourne dans les clubs de première division. Il note l’évolution physique des joueurs. «Les mecs devenaient plus grands, plus costauds et étaient plus rapides. En cinq à dix ans, j’ai vu des gars débarquer avec 10 à 15 kilos de plus que d’habitude, ce qui donne des impacts plus forts et violents.» Au cours de sa carrière, il a connu des blessures. Il a le nez cassé à plusieurs reprises. Il a dû se prêter à trois chirurgies, deux pour la paupière désinsérée et la dernière pour l’épaule et la clavicule déboîtées. «Lorsqu’on est rugbyman, on vit avec une certaine souffrance et on prend des coups partout.»

En 2011, il évolue dans le club de Carcassonne et termine la saison. Il retape une maison qu’il vient d’acheter à Narbonne. Après une journée passée à travailler au soleil, il se douche et sent comme une explosion au crâne. Il doit se retenir pour ne pas tomber. «C’était comme si l’on m’avait administré un coup de massue sur la tête.» Sa vue se trouble. Il perd son sens de l’orientation, si bien qu’il se cogne à tous les meubles et son visage commence à se déformer. Grégory Mahé n’en fait pas cas. Il avoue avoir fait tout ce qu’il n’aurait pas dû faire. «C’était comme si j’avais pris une cuite express. Je me suis dit qu’il fallait que je m’allonge et que ça passerait.» Sauf que son état s’aggrave.

À 7 heures le matin, sa copine, qui est morte d’inquiétude, le conduit aux urgences de l’hôpital le plus proche où les tests révèlent qu’il a fait une rupture d’anévrisme causée par une malformation congénitale d’artère. Il est immédiatement transféré à l’hôpital de Montpellier. L’équipe pluridisciplinaire à son chevet tente t’enrayer l’hémorragie, en vain. Le neurochirurgien lui avoue que son pronostic vital est engagé et qu’il prendra le risque de l’opérer. Grégory Mahé, qui n’est pas stupide, sait qu’il risque la mort ou la vie dans un état végétatif. Il dit adieu à ses parents et à sa copine avant d’aller au bloc opératoire.

Le neurochirurgien le trépane, fait une fenêtre dans le crâne avant de ponctionner le sang, suturer l’artère, replacer le morceau de crâne retiré et colmater avec tous les copeaux d’os. Comme l’intervention est lourde, il est placé en coma artificiel pendant quelques jours. Il est si agité, surtout lorsqu’il entend la voix de ses proches, qu’on est obligé de lui mettre de force une camisole. Il reste hospitalisé 15 jours et lorsqu’il reprend ses esprits, il a perdu la mémoire immédiate et a l’impression de porter une œillère du côté gauche, signe de la compression du nerf optique par le sang.

Rééducation

Si les soins sont excellents, l’accompagnement à la convalescence est «zéro». Il sait seulement qu’il n’a pas droit à l’alcool, ni à la conduite, encore moins à la cigarette et ne doit faire aucun effort physique. «C’était très dur», confie-t-il. Il reste inactif pendant plusieurs mois. Heureusement que son mental est fort. Il décide après plusieurs couacs, comme s’être perdu dans le supermarché qu’il fréquente habituellement, de faire son propre programme de rééducation, comprenant footing et d’autres exercices d’amélioration de la motricité et de la coordination.

Son objectif est d’arriver à se débarrasser de toutes les séquelles de l’accident vasculaire cérébral (AVC) qui frappe un Français toutes les quatre minutes et de recommencer à faire du rugby en professionnel. Et Grégory Mahé va s’y employer. Au bout de huit mois, il contacte le neurologue de la ligue, son neurochirurgien, les grandes instances du rugby français et demande l’autorisation de recommencer à jouer en professionnel.

«Je voulais recommencer à jouer et mettre un terme à ma carrière quand je l’avais décidé.» Le président du club de Carcassonne lui propose de signer pour deux ans. Lui, il préfère une saison. Lors de son premier entraînement, il porte un casque et identifie le coéquipier le plus costaud pour lui faire un placage, afin de voir s’il est en mesure de reprendre le rugby. «J’étais sonné après ça, comme si je louchais. Mais j’ai vite repris mes esprits et c’était parfait après. C’était le feu vert personnel que j’attendais.»

Il s’en tient à une saison car Grégory Mahé ne veut pas rater le virage de sa reconversion professionnelle. Il choisit d’être kinésithérapeute parce que c’est un métier qui allie le partage, les soins et surtout le contact humain. Des amis l’incitent à écrire sa biographie. Il le fait. Celle-ci s’intitule Mon match contre l’AVC et lui vaut de participer à plusieurs émissions de télévision sur les chaînes de télé et radio françaises.

Il fait ses études de kiné dans une école de Limoges et, en parallèle, joue au rugby en semi-professionnel. Une fois diplômé, il intègre un cabinet de kiné à Anglet, ville à côté de Biarritz. C’est dans cette station balnéaire qu’il rencontre l’amour de sa vie, la Mauricienne Vanessa Bax, fille de Luc Bax, qu’il a épousée depuis et qui lui a donné un fils, Rafaël, âgé d’un an. C’est à travers son homologue et ami Philippe Journade, installé à Maurice depuis dix ans, que lui et Vanessa vont déposer leurs valises à Maurice voilà un an.

En France, il est parrain de France AVC, qui sensibilise la population à la détection précoce des symptômes de l’AVC. Il songe à ouvrir une antenne ici. Grégory Mahé, qui adore Maurice et les Mauriciens pour leur accueil et leur sens de la famille, court derrière deux autres rêves. Il veut faire de la plongée sous-marine et intégrer la formation d’Air Mauritius pour devenir pilote de ligne. S’il a pu se relever d’une rupture d’anévrisme, qui sait où sa motivation peut le mener…