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Compensation salariale: est-il temps de changer de mécanisme ?

12 décembre 2018, 22:30

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Compensation salariale: est-il temps de changer de mécanisme ?

Chaque année, décembre est marqué par les négociations relatives à la compensation salariale. Négociations qui suscitent toujours la polémique, patronat et syndicats n’étant jamais d’accord sur le montant. Le mécanisme des tripartites doit-il être revu ? Débat.

Qu’est-ce que les tripartites ?

Il s’agit d’un mécanisme de négociation salariale qui réunit à la même table le secteur privé, les syndicats des secteurs public et privé et le gouvernement. L’objectif : compenser la baisse du pouvoir d’achat des employés, surtout dans un contexte où le taux d’inflation dépasse les 5 %. L’exercice se fait en général chaque année, au mois de décembre. Le patronat émet ses propositions et les syndicats les leurs. S’il n’y a pas consensus sur le montant de la compensation, le gouvernement tranche et impose un montant, comme cela a été le cas le jeudi 6 décembre. Le nouveau montant de la compensation salariale entre par la suite en vigueur au début de l’année suivante.

Le quantumde la compensation salariale n’a cessé d’augmenter ces trois dernières années, bien que le montant lui-même soit chaque année jugé trop bas par les syndicats. En 2015 le montant imposé était de Rs 150. Léger changement de politique en 2017, puisque ceux touchant jusqu’à Rs 15 000/mois ont eu droit à une compensation de Rs 200 et ceux gagnant un maximum de Rs 50 000 se sont vu octroyer une hausse de Rs 125. En début d’année, le quantum accordé était de Rs 360, hausse qui coïncidait avec l’entrée en vigueur du salaire minimal.

Ce qui fâche avec le système actuel

Remuneration Orders, collective bargaining, salaire minimal, négociations tripartites… autant de mécanismes relatifs à la politique des salaires qui existent actuellement à Maurice. Une situation qui, selon Kevin Ramkaloan, le CEO de Business Mauritius, devrait changer pour faire place à un système plus efficient. Intervenant dans le cadre des dernières tripartites, Bruno Dubarry, CEO de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), a fait ressortir que le mécanisme des tripartites se déroule une fois l’an et ce dans un temps restreint. De plus, ces négociations ne tiennent pas compte d’autres mesures relatives à la politique salariale déjà en application, comme l’introduction du salaire minimal.

«Il faudrait impérativement multiplier les rencontres tout au long de l’année», soutient le CEO de l’AMM et ce dans l’optique de suivre l’évolution économique du pays au cours de l’année. D’ajouter que le dernier Budget a été plutôt axé sur le social et sur des mesures pour aider les moins aisés alors que le taux d’inflation demeure sous la barre des 5 % depuis. «À présent, l’on décide d’imposer une compensation salariale à tous les employés indistinctement, applicable à tous les types de salaires» observe Bruno Dubarry. De se demander quel est l’objectif économique d’une telle mesure dans une telle conjoncture. Le CEO de l’AMM rappelle dans la foulée qu’une hausse salariale n’est pas synonyme de sécurité d’emploi.

Amar Deerpalsing, président de la fédération des PME, n’a, lui, jamais caché sa désapprobation quant au mécanisme de compensation salariale existant. Pour lui, cette méthode met toutes les entreprises dans le même panier alors que tous les secteurs ne sont pas sur un pied d’égalité en matière de paiement. «Alors que certains secteurs, comme celui des services, paient déjà plus que le salaire minimal tout en ayant la capacité de payer la compensation salariale, tel n’est pas le cas des PME des secteurs manufacturier et agricole, qui sont en difficulté.»

Au niveau de la Mauritius Export Association, l’on rappelle que l’industrie exportatrice se remet lentement des perturbations sur ses principaux marchés. «Après trois années de contraction, le secteur devrait afficher une croissance d’environ 2 % cette année», explique Beas Cheekhooree, président de la MEXA. L’industrie exportatrice n’est pas pour autant sortie d’affaire, puisque les perturbations sur nos principaux marchés perdurent, notamment avec le Brexit au Royaume-Uni ainsi que les remous sur le marché européen.

Syndicats : Les tripartites, fruit de la «lutte des travailleurs»

Pour Rashid Imrith, président d’All Employees Confederation, les négociations tripartites relatives à la compensation salariale doivent être plus inclusives. «Nous sommes en faveur d’un élargissement du mandat du comité tripartite. Par exemple, en 2017, les négociations présidées par le Premier ministre ont été menées en incluant le National Economic and Social Council et le comité tripartite. Cela avait réuni plusieurs acteurs comme les syndicats, les représentants du secteur privé, entre autres», explique Rashid Imrith. De dire qu’il souhaiterait que les associations de consommateurs soient aussi incluses dans les négociations. S’agissant du fait que les tripartites soient un instrument politique, notre interlocuteur souligne que le rôle du gouvernement est important lors de ces négociations : «Son rôle est de s’assurer que le niveau de vie des citoyens progresse». D’ajouter que si seules les propositions du secteur privé avaient été entendues, les retraités, par exemple, n’auraient reçu aucune compensation. Il est donc important que le gouvernement soit là pour trancher.

Atma Shanto, négociateur au sein de la Fédération des Travailleurs Unis (FTU), rappelle pour sa part que les négociations tripartites sont le résultat de plusieurs années de lutte des travailleurs. En ce qui concerne la multitude d’institutions existantes qui traitent de la politique salariale, il soutient qu’il ne faut en aucun cas faire l’amalgame. «Que ce soit le National Remuneration Board, le collective bargaining, le comité tripartite ou encore la negative income tax et le salaire minimum, chacun a ses propres objectifs. Or, le mouvement des employeurs fait toujours l’amalgame pour faire croire que les employés ont trop de facilités, ce qui est totalement faux» souligne-t-il.

Il ne faut pas oublier, poursuit Atma Shanto, «qu’aucune étude n’a été faite pour connaître les écarts de salaires entre les différents niveaux de la hiérarchie au sein des entreprises, en tenant compte du salaire du top management et celui de l’employé au plus bas de la hiérarchie. Ce n’est qu’à travers un tel exercice qu’on y verra plus clair. Or, les entreprises ne rendent pas publics les salaires», soutient le négociateur de la FTU.

Ce que propose le secteur privé

Inclure un salaire minimal across the board dans l’Employment Rights Act, faire de sorte que les 30 Remuneration orders ne définissent que les conditions de travail pour chaque secteur, promouvoir le collective bargaining et utiliser le National Wage Consultative Council pour indexer le quantum de la compensation salariale chaque année en tenant compte du salaire minimal et la capacité de paiement dans chaque secteur avec un plafond à ne pas dépasser. Telles sont les propositions formulées par Business Mauritius à la fois au gouvernement et aux syndicats, explique Kevin Ramkaloan.

«Impact assessment» du salaire minimal

«Nous avons également proposé que chaque augmentation salariale soit suivie d’un ‘impact assessment‘ que ce soit sur l’emploi, la productivité, la croissance ou encore la capacité d’investir», ajoute le CEO de Business Mauritius. L’organisation travaille pour sa part sur un ‘impact assessment’ du salaire minimal sur les entreprises depuis son introduction. Rapport qui devrait paraître début 2019.

François de Grivel, chef d’entreprise et un habitué des échanges et des réflexions autour de l’octroi d’une compensation salariale, souhaite un élargissement du cadre de la réflexion qui précède le calcul du quantum de compensation à être accordée sur les salaires. «C’est un exercice complexe.» Il indique qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre le secteur public et le secteur privé. Si le secteur public dispose du Pay Research Bureau (PRB), le secteur privé doit tenir compte de plusieurs éléments pour arriver au quantum de compensation à être payé. Parmi ces éléments il y a la productivité, le taux d’inflation, ou encore la faculté du dirigeant d’une entreprise à faire provision pour des dépenses ou des coûts additionnels.

«Ce n’est qu’à la fin du mois de janvier que la compensation doit être payée.» Ce qui donne suffisamment de temps aux entreprises qui le peuvent d’intégrer les effets de cette compensation dans leur budget pour janvier. François de Grivel soutient toutefois que la difficulté à honorer ces obligations par rapport au paiement d’une compensation salariale se pose aux petites entreprises dont la performance ne leur permettrait pas d’en supporter l’impact. Parmi les options qui restent à celui qui préalablement n’a pas été en mesure de faire provision pour une telle augmentation, figure la possibilité d’absorber l’impact de cette compensation en puisant des bénéfices réalisés. Il y a également l’option d’un prêt bancaire. Une option pas toujours réalisable, précise François de Grivel, si le préposé ne peut offrir les garanties requises par une banque. À terme, une réduction du personnel peut être envisagée mais il souligne la contradiction d’une telle option dans le même souffle. «Le propre d’une entreprise, c’est de créer des emplois mais pas des chômeurs.»

L’épineuse question de la productivité

La productivité demeure un aspect qui exaspère plus d’un. Que ce soit les exportateurs, les entreprises manufacturières centrées sur le marché local ou encore les PME, tous déplorent que la compensation salariale ne requiert pas une hausse de la productivité en contrepartie. Un bref coup d’œil aux données de Statistics Mauritius donne déjà le ton. Alors que la compensation salariale n’a cessé de grimper ces dix dernières années, la productivité de la main-d’œuvre demeure pour sa part quasi stagnante, voire en baisse. En témoigne le tableau ci-dessous.

 Pour le CEO de Business Mauritius, il faut analyser l’aspect de la productivité en tenant compte de l’économie locale dans son ensemble et l’ambition de Maurice à devenir un pays à haut revenu. «Le coût salarial unitaire (unit labour cost) n’a cessé d’augmenter» concède Kevin Ramkaloan alors que la productivité ne suit pas. Mais pour notre interlocuteur, il faudrait surtout améliorer la productivité multifactorielle (multifactor productivity), qui englobe à la fois la productivité de la main-d’œuvre et celle de la technologie, entre autres. Le faible investissement dans la technologie et la modernisation de certains segments du secteur manufacturier, par exemple, explique pourquoi ces derniers sont lourdement affectés par les hausses salariales, ces entreprises étant toujours très dépendantes de la main-d’œuvre.

Éviter les amalgames

Pour Atma Shanto, il ne faudrait pas mélanger productivité et compensation salariale. «La compensation salariale est une chose, et la productivité en est une autre. Le but de la compensation salariale est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des employés. Rappelons que la majorité des prix sont libéralisés. Les prix des légumes, par exemple, subissent des hausses à chaque intempérie. Cela impacte grandement les ménages», explique-t-il.