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Vijay Makhan: «Est-on en train de militariser Agaléga ?»

29 octobre 2018, 16:05

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Vijay Makhan: «Est-on en train de militariser Agaléga ?»

Constructions d’infrastructures sans permis EIA sous financement indien, évocation d’une base militaire, déportation avortée d’Arnaud Poulay… Le sort d’Agaléga ne cesse d’attirer l’attention. Pour Vijay Makhan, un besoin de transparence est vital pour clarifier les doutes et savoir «ce qui se trame sur l’île». Le point.

L’Inde n’aura pas besoin de permis d’Environment Impact Assessment (EIA) pour la construction d’une jetée à Agaléga. Votre avis sur cette décision ?
Vous savez, si nous avons recours à des EIA pour toute sorte de projets, je ne vois pas pourquoi celui d’Agaléga, qui est d’envergure de surcroît, en serait dispensé. 

D’ailleurs, Etienne Sinatambou mentionne que la nécessité d’un EIA ne se pose pas puisqu’il s’agit d’un projet de gouvernement à gouvernement…
Si c’est de gouvernement à gouvernement, au contraire, l’État mauricien se doit d’être transparent. Il a le mandat de diriger le pays dans la transparence absolue. Et il est évident que l’exemple devrait venir d’en haut.

Services de santé décriés, pseudo déportation d’Arnaud Poulay, développement d’infrastructures qui cacheraient d’autres objectifs. Tout va donc mal à Agaléga ?
Je ne le crois pas. Néanmoins, je dirai que les yeux sont braqués sur l’île car la population mauricienne est plus avertie ces temps-ci. Si la question des Chagos était sur le tapis maintenant, cela aurait été différent…

Différent comment ?
Les Britanniques n’auraient pas eu l’occasion de nous duper comme ils l’ont fait ainsi que les Américains.

Maurice a-t-elle conclu trop vite cet accord avec le gouvernement indien?
Vous savez, je n’ai rien vu en termes de communication officielle sur le moindre accord signé avec le gouvernement indien au sujet d’Agaléga. Le gouvernement mauricien fait fausse route en privant la population d’informations. Pourtant, et je l’affirme : il est question de notre souveraineté. Il est crucial de savoir ce qui se trame sur cette île. 

D’autant que ce sont les médias internationaux qui ont éveillé l’opinion publique sur la question… 
Il faut qu’on soit honnête. Cette question a été soulevée depuis des années. Pendant le dernier régime, il était question d’Agaléga. Le gouvernement d’alors était tout aussi avare et faisait l’économie d’informations. Paradoxalement, les dirigeants actuels le font encore plus. Je ne sais pas ce qu’ils ont signé, comment et ce qu’ils feront au juste. Le manque de transparence du gouvernement mauricien induit le public à faire beaucoup de spéculations, parfois des plus farfelues. Soyons clairs : nous ne nous alignons pas contre le développement. Toutefois, cela ne doit pas se faire au détriment d’intérêts vitaux. 

Qu’est-ce qui attirent les Indiens à Agaléga ?
Je pense tout d’abord à la sécurité maritime. L’Inde, tout comme la Chine, dépend de ces voies pour les exportations et importations. Évidemment, ces Etats veulent agir en toute sécurité. Parallèlement, il faut donc prévenir les risques du terrorisme. Deuxièmement, les ressources comptent également. L’Inde investit dans la recherche, ce qui est une bonne chose puisque Maurice n’en a pas les moyens. 

Pour le Metro Express et bien d’autres projets, l’Inde nous aide généreusement, voire trop à votre avis ?
N’allons pas trouver toute sorte de fantôme. L’Inde et Maurice jouissent d’une relation extrêmement privilégiée qui date depuis des années. Auparavant, c’était davantage un lien culturel. Au fil des ans, cela a évolué dans le domaine économique, commercial, stratégique, géopolitique. L’Inde avait une présence diplomatique physique dans le pays bien avant notre accession à l’indépendance. D’ailleurs, le lien s’est tissé au vu de la population composée majoritairement de personnes originaires de la Grande péninsule. L’aide est légitime. Bien sûr, l’Inde a ses propres intérêts. Comme on dit, il n’y a pas de «free lunch». «There is no permanent friendship, there is permanent interest.» 

Est-ce donc une tentative délibérée de céder Agaléga à la convoitise des Indiens ?
Voyons la situation de manière plus globale. Ce n’est pas juste une question d’Inde, Maurice et Agalega ou encore les îles éparses. Cela est à la fois d’ordre géopolitique, voire géostratégique pour cette sous-région. À côté, nous avons la Chine qui a des frontières kilométriques. Chacun essaie de se positionner. Maurice a toujours prôné une politique d’amitié avec tout le monde. Nous n’avons pas d’ennemi et n’avons pas d’ailleurs les moyens d’en avoir. 

Pour revenir à la Chine, nous observons que ce pays accentue sa présence dans la sous-région. Les Chinois investissent énormément dans les infrastructures. Il va de soi que l’Inde fasse ce qu’elle estime nécessaire pour garantir sa sécurité. Pour se faire, la Grande Péninsule se base sur les amitiés tissées depuis longtemps. Et Maurice est sans doute l’amie la plus sincère. 

Est-ce pour mieux se positionner face à la Russie également ?
La Russie et l’Inde ont été des amies, des partenaires depuis l’ère de l’Union soviétique. Certes, c’était des alliés objectifs. Pour revenir à votre question, d’après moi, la Russie a d’autres chats à fouetter actuellement. La sous-région est devenue un peu le terrain de chasse ou de concession entre l’Inde et la Chine. Les États-Unis sont tout aussi présents et ont un intérêt notamment avec la base située à Diego. 

Nous ne devons surtout pas effrayer les gens. Je le dis haut et fort : cette perception résulte d’une communication mal faite. D’ailleurs, j’ai vu dans la presse que le Premier ministre mauricien a dévoilé des informations au Financial Times sur le projet d’Agaléga, avec des chiffres à l’appui. Cela est aberrant. Aux médias locaux, le Premier ministre ne dit rien ? J’estime que c’est dommage car les gens doivent savoir. Que se passe-t-il donc? Est-on en train de militariser Agaléga ? C’est un joyau, au même titre que toutes nos îles d’ailleurs, qui ne doit pas être militarisé. 

Justement, une base militaire s’y installera-t-elle?
Franchement, je ne sais pas ce qui se trame. Y aura-t-il une base ou pas ? Nous avons clairement vu ce qui s’est passé entre les Seychelles et l’Inde. Cela a été mis au frigo suivant un lever de boucliers au Parlement. Au moins là-bas, il y a une communication qui passe. A Maurice, personne ne sait ce qu’il en est. S’il y aura une présence militaire quelconque, que le peuple en soit averti pour qu’il puisse en juger. 

Allons-nous vers un Chagos n°2 ?
On va trop vite en besogne. Je vous le disais : la population est plus avertie, comparée aux années 60, notamment grâce aux communications plus rapides. Toutefois, les autorités ne doivent pas se cacher derrière une opacité et faire les choses en catimini. Regardez ce qui se passe pour le financement. Suivant la question de mon collègue, Adil Ameer-Meeah, la ministre ne semblait pas être au courant. A l’inverse, le Premier ministre est allé dire aux journalistes du Financial Times que le projet sera entièrement financé par l’Inde. C’est choquant car ainsi vous n’aurez pas de voix au chapitre. Agalega, c’est notre territoire. Nous avons le droit d’être au courant de tout développement et d’y participer. Et bien que nous n’ayons pas d’argent et que nous ayons à nous fier aux aides étrangères, nous devons également être partie prenante de ce projet. 

En 2017, Pravind Jugnauth et Paul Bérenger disaient qu’il ne fallait pas s’alarmer pour Agalega. Aujourd’hui, plusieurs incohérences surviennent dans les discours politiques avec des postulats contradictoires entre membres des mêmes camps. Pourquoi ?
Je ne sais pas pour Pravind Jugnauth. Mais dans le cas de Paul Bérenger, cette déclaration émane d’une rencontre avec les représentants du gouvernement indien. Et si ces derniers lui ont dit cela, Paul Bérenger n’a aucune raison d’en douter. D’ailleurs, il n’y va pas par quatre chemins. Quant aux incohérences actuelles, le cas de la ministre susmentionnée n’est pas isolé. On voit quelqu’un dire quelque chose et l’autre aligner un avis complètement opposé. En fait, nous ne voyons aucune coordination. Hélas, nous avons voulu ce gouvernement et nous l’avons eu. Il faut l’assumer. 

Après l’émission de la lettre de déportation d’Arnaud Poulay, voilà que l’État a changé d’avis. Pourquoi cette tergiversation ?
Je ne comprends pas cela. D’où est sorti ce terme «déportation»? Cela veut dire que vous sortez quelqu’un de chez lui. Mais vous l’envoyez où dans ce cas? Mais enfin, on est chez nous à Agaléga. 

Revenons à la santé, parent pauvre d’Agaléga. Comment se fait-il que les habitants n’aient pas d’accès aux soins ?
Récemment, la ministre a promis des centres de santé, ce qui est une bonne chose. Cependant, cela aurait dû être fait avant. J’ai été choqué de voir que même pour les accouchements, les femmes doivent venir à Maurice au bon vouloir du Dornier. Dans quel siècle vit-on ? On se targue d’être un Welfare State. Cette situation illustre-t-elle un Welfare State? Ce n’est pas correct. Il faut un minimum de service et ne pas délaisser un secteur aussi vital que la santé. Il nous faut être plus vigilant pour Agaléga et ne pas donner l’impression de créer des situations risquant de nous mettre en porte-à-faux. Il faut être transparent.