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Salaire minimum: une mise en pratique non sans heurt

24 octobre 2018, 02:03

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Salaire minimum: une mise en pratique non sans heurt

Introduit depuis janvier, le salaire minimum fait de nouveau débat. Un «impact assessment» du National Wage Consultative Council est prévu pour bientôt. Quel en est le bilan et quels secteurs sont les plus affectés ? Le point.

«Le salaire minimum est un montant référentiel. C’est un outil de prédilection pour combattre la pauvreté et le seuil applicable à tous les secteurs et industries», déclare Pradeep Dursun, Chief Operating Officer (COO) de Business Mauritius. Mais l’objectif a-t-il pour autant été atteint ? En septembre, le National Remuneration Board (NRB) a émis des recommandations sur le wage relativity. «Des ajustements ont été suggérés et un document déposé au ministère du Travail. Les autorités détermineront si elles les appliqueront», déclare une source du NRB, sans en dire plus. Qu’en est-il réellement dans la pratique ?

Selon Pradeep Dursun, ces recommandations n’ont pas eu besoin d’attendre les conclusions de l’«impact assessment» de la National Wage Consultative Council (NWCC). Un exercice qui devrait être bouclé d’ici quelques semaines. «Douze mois après avoir rédigé le premier rapport sur le salaire minimum, le NWCC doit évaluer l’impact de son introduction. D’ici fin octobre ou novembre, le rapport va tomber et sera transmis au ministre du Travail.»

Que s’est-il passé depuis l’introduction du salaire minimum? D’après le ministère du Travail, officiellement, 120 000 travailleurs à Maurice, dans 21 secteurs, sont concernés. Cela inclut des domaines informels comme l’exportation, le textile, le seafood hub, la boulangerie, la construction, l’agriculture, le service de maison, la manufacture, etc.

«Le secteur manufacturier est en net déclin, notamment suivant l’annonce imminente du libre-échange avec la Chine et l’Inde ; alors que ces deux géants imposent des barrières tarifaires à l’importation pour protéger leur industrie», ajoute Amar Deerpalsing, président de la fédération des petites et moyennes entreprises (PME). Idem pour le sucre qui se heurte à plusieurs contraintes, notamment l’abandon des champs et le manque de main-d’œuvre.

Besoin de transition

Pradeep Dursun affirme que l’application du salaire minimum s’est faite sans trop d’anicroches. «À ce jour, nous n’avons pas noté de licenciements liés à l’incapacité de payer ce salaire. Évidemment, les salaires réels dans les entreprises opérant à l’intérieur de ces industries sont plus élevés, en prenant en considération les compétences, l’expérience, l’ancienneté et la capacité financière des forces du marché.»

Néanmoins, plusieurs aspects doivent être considérés suivant cette application. D’après le COO de Business Mauritius, après la publication du rapport initial du NWCC en 2017, l’État a reconnu la nécessité d’une approche par étapes. Cela, afin d’accorder des facilités durant une période de transition pour les secteurs susceptibles d’avoir des difficultés et, aussi, introduire un «income support» pour les travailleurs au bas de l’échelle.

Ce besoin de transition est une préoccupation d’Amar Deerpalsing. «L’application du salaire minimum aurait pu être faite autrement, pour éviter des difficultés inutiles. Par exemple, les solutions informatiques utilisées par les employeurs pour les paiements demandent à être réactualisées.» Il mentionne notamment des cas de paiement hebdomadaire, ou à la quinzaine, où les grilles antérieures à celles du salaire minimum national ont été appliquées. Une situation qui a causé beaucoup d’inconvénients aux employés comme aux employeurs, précise-t-il.

Reaz Chuttoo, syndicaliste de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP), a noté des tentatives de contourner les règlements en supprimant certaines allocations, notamment concernant la présence et la performance. «Dans le seafood hub, certains travailleurs ont vu l’élimination de Rs 1 000 d’allocation. Dans d’autres cas, des employeurs disent, par exemple, qu’ils achètent des aliments pour leurs domestiques. Donc, avec ces ‘bénéfices’, il y a des tentatives malhonnêtes de maintenir le bas salaire», soutient le syndicaliste.

Enjeux et solutions

Et en dépit des lois, ces pratiques ne sont pas toujours dénoncées, ajoute Reaz Chuttoo. D’une part, plusieurs employés gardent le silence, de peur de perdre leur emploi. D’autre part, il y a ceux qui sont âgés de plus de 60 ans, notamment les agents de sécurité. Comme ils perçoivent aussi leur pension de vieillesse, ils ne peuvent s’élever contre les bas salaires perçus.

Face à ces enjeux, quelles sont les solutions? Ce système nécessite une refonte du mécanisme de fixation des salaires à Maurice, affirme Pradeep Dursun. Pour lui, le fonctionnement des institutions ayant une incidence sur les salaires doit être revu. Il évoque notamment le Pay Research Bureau, le NRB et celles des négociations collectives.

«Le salaire minimum doit être fixé et revu à des intervalles précis, avec des critères objectifs», confie notre interlocuteur. Dans une correspondance aux autorités récemment, la CTSP appelle à une harmonisation de toutes les conditions de travail, en lien avec le salaire minimum.

Plus de 80 entreprises poursuivies

Elles ont été dénoncées pour infraction aux nouveaux règlements. Après l’application du salaire minimum, plus de 80 sociétés ont été poursuivies et sanctionnées par des amendes, affirme le ministère du Travail. Mais la somme payée était en dessous du seuil de Rs 50 000, qui est la pénalité maximale.

Prix du pain: une hausse de 30 sous réclamée

Salaire minimum, hausse des carburants, pénurie de main d’œuvre… Autant de facteurs qui poussent l’Association des boulangeries à réclamer une hausse de 30 sous sur tous les pains. En particulier les réajustements aux «Remunerations Orders», qui doivent s’aligner sur le salaire minimal. Tous les employés doivent toucher Rs 8 500, déplore-t-on. À noter que les prix du pain sont comme suit : le pain rond à Rs 2,60 ; la baguette de 200 grammes à Rs 5,40 ; et la baguette de 400 grammes à Rs 10,80.

Petite piqûre de rappel en chiffres

Rs 8 140. Tel est le salaire minimum national fixé par le gouvernement, le 8 décembre 2017. Pour les employés de la zone franche travaillant à plein-temps, ce montant inclut déjà la compensation. À cela se rajoute une allocation spéciale de la Mauritius Revenue Authority de Rs 860, ce qui ramène le total à Rs 9 000. Quant aux travailleurs hors zone franche à temps plein, le salaire minimum est toujours fixé à Rs 8 140. Une compensation salariale de Rs 360 s’y greffe ainsi qu’une allocation spéciale de Rs 500, ce qui fait que le montant du salaire mensuel est de Rs 9 000. Pour les employés à temps partiel, le montant est calculé selon le nombre d’heures de travail accompli mensuellement.

Les PME dans tout ça ?

À la suite de la nouvelle augmentation salariale, les PME semblent rencontrer diverses difficultés pour payer le salaire minimum ? Selon Amar Deerpalsing, le paiement du salaire minimum pour l’apprenti, qui sera productif à l’entreprise qu’au bout de quelques années, n’est pas donné à toutes les PME, ou même les grosses entreprises. «Il y a un impératif de survie et une rude compétition par rapport aux produits importés des pays asiatiques, sans filet de protection», indique-t-il.

Il craint pour la relève dans ces corps de métier d’autant que la main-d’œuvre s’y raréfie et que paradoxalement, des diplômés au chômage sont employés par ces PME depuis septembre dernier, sous l’Employment Scheme. Cette difficulté à payer le salaire minimum est également soulignée par un spécialiste des PME. «Cela dépend de la rentabilité de la PME en question. Cela peut ne pas être facile pour elle d’ajuster le montant comme ses revenus ne sont pas les mêmes que ceux d’une grosse entreprise.»