Publicité

Dealer de drogue synthétique à 16 ans: «Si zénes anvi konsomé, kot mo problem?»

7 octobre 2018, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Dealer de drogue synthétique à 16 ans: «Si zénes anvi konsomé, kot mo problem?»

Pas moins de 1 000 enfants ont été admis à l’hôpital l’année dernière à cause de la drogue synthétique. Déclaration du ministre de la Santé, Anwar Husnoo, vendredi 5 octobre. Et cette année encore, il semble que le phénomène «bat dan latet» ait pris de l’ampleur. Tour d’horizon de la situation, aussi black que le Mamba.

Ado dealer : Zion the lion

Il a 16 ans. Et il deale. Pourtant, Zion vient d’un milieu aisé. Vendre de la drogue, c’est en quelque sorte son passe-temps, une façon pour lui de se sentir important. Malgré son air de bel péto, il transpire l’immaturité et… l’innocence. Dans sa façon de s’exprimer, de se tenir. Avec sa coupe à la Zayn Malik, ce collégien, qui fréquente un établissement sis dans le centre du pays, n’a rien d’un parrain italien. Avec sa blouse d’école ouverte, laissant apparaître son T-shirt griffé, il fait plutôt penser à un rappeur en mal de reconnaissance.

Avant de nous raconter son histoire, il s’assure à maintes reprises qu’il ne pourra être identifié. «Mo’nn dir met Zion-la ein, pa met mo vré non…» Il déballe son sac à dos. Il a commencé à consommer de la drogue quand il avait 13 ans, à dealer quand il en avait 15. Ses proches, dit-il, ne sont pas étrangers à l’univers de la poudre...

Parmi ses clients à lui : ses camarades de classe, lui-même étant en Grade 11 (Form V). Mais également des «petits» qui sont en Grade 9 ou des plus grands qui s’apprêtent à passer les examens du HSC. «Éna bann kouzin ek kamwad ki al liniversité ki pran marsandiz ek mwa.»

Au fil du temps, Zion s’est fait un nom. N’a-t-il pas peur ? Non, lâchet- il fièrement, tout en se vantant. Il se sent protégé par ses proches, dit-il, et ne craint presque rien. «Bizin zis fer bien atansion ek koné ar ki sann-la pé pran ek pé vandé.»

Comment se passe la transaction ? Dès que l’importateur réceptionne la «marchandise», il la passe ou la revend aux jokeys, qui distribuent la drogue aux dealers, comme lui. Dans son cas, le jockey est un ami qu’il connaît bien, ou alors un cousin. «Zafer bizin res dan fami» afin que personne ne vende la mèche. Luimême n’a jamais rencontré ou vu l’importateur en question.

Zion se voit comme «jeune entrepreneur », un businessman. Et il a le sens des affaires. Alors que d’autres écoulent la camelote pour dipin diber (voir liste des prix), lui, revend un gramme de synthé à Rs 1 500. Il avoue gaiement être un arnaqueur, qui n’hésite pas à plumer élèves et collégiens. «Mo vann synthé pli ser ar bann ki pa konn pri mas (NdlR, entre Rs 1 000 et Rs 3 000 le gramme). Sirtou bann tipti ki éna enn ta kas la…»

Ses plans pour l’avenir ? Continuer sur sa lancée. Étendre son réseau, se faire de l’argent facile et continuer à se payer à peu près tout ce qu’il veut. Sans se faire attraper. Des scrupules, il n’en a point. «Si zénes anvi konsomé, kot mo problem ? Si zot pa pran ar mwa, zot pou pran ek enn lot non ?»

 

Combien ça coûte

<p style="text-align: justify;"><strong>Cannabis : </strong>entre Rs 1 000 &ndash; Rs 3 000 le gramme</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>Synthétique : </strong>Rs 150 la dose (dépendant du type de drogue vendue)</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>LSD : </strong>Rs 700 à Rs 2 000 le &laquo;carton&raquo;</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>Brown : </strong>Rs 400 la dose d&rsquo;un demi-quart</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>Héroïne : </strong>Rs 400 la dose d&rsquo;un demi-quart</p>

<p style="text-align: justify;"><strong>Cocaïne : </strong>Rs 800 la dose d&rsquo;un demi-quart</p>

 

Témoignages fumants

«Tou koumans ek sigaret sa.» Aveux de quelques élèves que nous avons approchés à la gare du Nord, mercredi après-midi, après les heures de classe. Eux-mêmes consomment-ils du synthé ? Qu’en est-il de leurs camarades ? Les sourires gênés des uns se mêlent au franc-parler des autres. «Wi éna mé nou pa finn trouv zot. Zot rakonté ki nissa gagné ar sa.»

La quête de nouvelles sensations fortes, l’envie de faire comme les autres pour être intégrés aux groupes, voilà ce qui pousse certains collégiens à se jeter sur le synthé. Malgré les dangers, malgré les mises en garde. «Zot bizin sey zafer pli for parski ek sigaret népli gagn nanyé. Apré éna rod montré zot kara.»

Petit tour à la gare de Rose-Hill, cette fois. L’endroit est plus calme, période d’examens oblige. Pour parler à des «connaisseurs», il faut se diriger vers le simé later qui se situe à l’arrière du stade, indiquent des «guides» en uniformes.

Nous sortons des sentiers battus, sniffons de la poussière qu’engendrent les travaux du Metro. Parmi les nombreux collégiens que nous interpellons, rares sont ceux qui acceptent de parler. Bonjour les clichés : dents en platine et tatouages sautent aux yeux. D’autres arborent l’air du premier de la classe. Une jeune fille se contentera d’un sourire plein de sous-entendus. «Péna synthé isi, parfwa zot vann brown, mé nou pa konsomm sa bann zafer-la nou.» Que font-ils alors sur ce terrain vague ? «Nounn vinn fim sigaret.»

À Quatre-Bornes, nous croisons trois élèves du collège du Saint-Esprit, fabrique de lauréats où le synthé s’est également fait une place au soleil. Tout comme le recteur (voir plus loin), les collégiens acceptent de se livrer. Oui, la drogue synthétique est un véritable problème dans leur collège. L’un d’eux nous parle de son meilleur ami… «Je ne savais même pas qu’il en prenait, j’ai reçu comme un coup de massue sur la tête quand il a été hospitalisé à cause de cette drogue. Il était très mal en point et il aurait pu mourir…»

À la gare, d’autres collégiens, cigarettes à la main, ne se souciant guère du regard accusateur ou attristé des passants, soulignent, eux, qu’ils préfèrent le cannabis. «Mas-la lot zafer mem sa. Synthé non madam, éna malad ladan. Nou finn trouvé ki éna kamarad finn mor ek sa. Nou palé…»

Espoir vs tir kanet dan zwé

Lindsay Thomas, recteur du collège du Saint-Esprit, est un des rares, si ce n’est le seul, qui ose en parler ouvertement. Dans son collège, on ne fabrique pas que des lauréats. Ce mal qu’est la drogue synthétique se faufile insidieusement dans les cartables des élèves. Au grand dam des adultes, presque impuissants. «Il est même difficile d’identifier clairement ce type de substance. C’est tellement volatil que même les ONG et nos profs ne savent à quoi s’en tenir.»

Il est bien conscient du fait que l’adolescence est synonyme d’expérimentation. «Il y a aussi une forte influence des amis, le peer pressure. Et puis, si un enfant ne présente pas ses amis à ses parents, il y a un grave problème. Les parents doivent, en général, se méfier», alerte Lindsay Thomas, qui y voit là un signe annonciateur. «Un enfant peut refuser une fois de toucher à cela, mais pas systématiquement, sinon il se fait exclure du groupe.»

De toute façon, souligne le recteur, «nous sommes une école, pas un tribunal… nous ne sommes pas un hôpital psychiatrique non plus», lâche-t-il sur ton ferme. La stigmatisation, les accusations, très peu pour lui. Il se dit pour l’accompagnement de l’enfant, pour la création d’une «connexion». Il faut faire en sorte que l’enfant prenne lui-même conscience du problème et que les travailleurs sociaux fassent le suivi. «Nous n’avons jamais référé un cas à la police.»

Un jeune qui se drogue impunément et peut-être dans l’enceinte de l’école ne mérite-t-il pas au moins qu’on lui tire les oreilles ? «Nous infligeons une punition, comme des travaux communautaires durant les vacances. Nous prônons les valeurs et la discipline, mais le plus important c’est que l’enfant s’en sorte.»

Lindsay Thomas dit vouloir participer à une formation afin de pouvoir reconnaître un enfant en détresse et pouvoir l’accompagner. Pour lui, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Et il croit en la jeunesse mauricienne. «Il y a une prise de conscience chez certains élèves. Certains sont déjà venus dans mon bureau pour se dénoncer.»

Un ancien recteur d’un collège d’État, qui a pris sa retraite après 24 ans de carrière, avoue qu’il en a vu de toutes les couleurs. Pour lui, la situation est alarmante. Et les star schools n’y échappent pas.

«Quand il s’agit d’histoires de drogue, au collège en particulier, les parents et les médias blâment la direction, sakenn tir zot kanet dan  zwé. Certains parents font semblant de ne rien savoir pour protéger leurs enfants. Ils ont démissionné de leurs responsabilités.»

Des récits, il en a plein le tiroir mais deux cas l’ont particulièrement marqué, à tel point qu’il y repense souvent. Le premier concerne un élève qui a été pris en flagrant délit, avec de la drogue entre les mains. En tant que recteur, il dit avoir fait son devoir et a appelé la police et les parents. Cependant, rien n’a été fait et l’ado s’en est sorti indemne, sans même une petite punition.

Dans le deuxième cas, il s’agit d’un collégien, retrouvé alors qu’il gisait inconscient dans l’enceinte de son établissement si respecté. Il a alors transporté celui-ci, dans sa voiture, à l’hôpital le plus proche avant de prévenir les parents. «Comme c’était le fils d’une personnalité connue, la police n’a rien fait et les médecins ont tu l’affaire…»

Lui-même avait les mains liées, admet l’ancien recteur. «Quand on voulait prendre des sanctions ou renvoyer les élèves qui avaient le nez fourré dans la drogue, afin qu’ils n’influencent pas les autres, nous n’avions pas le soutien du ministère. Nous avions affaire à des parents ‘influents’ parfois. Ceux qui ont des liens avec des policiers, des avocats, des hommes de pouvoir… Alors, il fallait se taire et fermer les yeux…»

Par ailleurs, ni les recteurs ni les profs n’ont l’expertise ou la connaissance requises pour identifier les drogues synthétiques et encore moins administrer des soins appropriés. La section school management, elle, ne fait qu’accumuler les rapports. «Aksion zero. Il faut qu’il y ait une cellule spéciale avec des personnes formées pour tacler la drogue synthétique. Il faut mettre en œuvre les recommandations du rapport Lam Shang Leen, pour les collèges notamment, et former du personnel.»

Soondress Sawmynaden: «Beaucoup plus répandue dans les collèges d’État»

Soondress Sawmynaden, président de l’association des recteurs.

Le synthé fait-il des ravages dans nos écoles?
Pas encore, mais le problème est là. Surtout dans les collèges d’État. Bien souvent, nous n’arrivons pas à détecter le problème à temps. Fodé ou trouvé ki enn zanfan inn tom sek lerla… La ousi nou soupsoné ki sé ladrog syntétik mé nanyé pa kapav afirm sa. Ce que je peux vous dire, pour le moment, c’est que personne n’est à l’abri de ce fléau.

Que fait la direction en cas de soupçon?
Le cas doit être référé à l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU). Et si nous avons des pièces à conviction, c’est encore mieux. L’ADSU peut procéder à une analyse pour savoir de quoi il s’agit. Puis, nous faisons appel aux parents. Ils doivent être mis au courant de la situation, même si ce n’est pas toujours évident. En plus, nous tenons à apporter un suivi psychologique à l’enfant.

A-t-on un plan d’action pour endiguer le problème?
Il y a des campagnes de sensibilisation. Le plus important maintenant, c’est que nous avons pris conscience de ce qui se passe, du problème dans son ensemble. Nous travaillons de pair avec des ONG pour limiter les dégâts.