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Noren Seeburn: «Entre boire et conduire, il y a un équilibre à chercher...»

29 septembre 2018, 18:00

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Noren Seeburn: «Entre boire et conduire, il y a un équilibre à chercher...»

Le lundi 1er octobre entreront en vigueur les dispositions de la «Road Traffic (Amendment) Act» de 2018. Cette législation prévoit une batterie de mesures pour sévir contre les usagers de la route susceptibles de mettre la vie des autres en danger. Le point avec l’ex-magistrat Noren Seeburn.

Qu’est-ce qui vous gêne dans la règle «boire ou conduire» ?
Je suis en parfait accord avec les dirigeants du pays, qui ont à cœur d’éliminer tous les facteurs susceptibles de provoquer les accidents de la route. Cependant, l’imposition aux automobilistes d’un seuil de consommation de moins d’un verre de boisson alcoolisée est, à mon avis, une solution radicale inutilement liberticide.

Une mesure qui se veut protectrice envers les citoyens mérite-t-elle un tel qualificatif ?
Ce n’est pas deux ou trois verres de boissons alcoolisées qui peuvent constituer un facteur d’accident mais bien la consommation du verre de trop, soit une quantité supplémentaire bien en dessus de la capacité d’un individu à bien gérer l’impact de l’alcool sur son corps. Il y a trois raisons qui justifieraient la remise en cause de cette mesure.

La consommation raisonnée et raisonnable de boissons alcoolisées est entrée dans nos mœurs. Elle contribue à accroître la joie de vivre de milliers de nos concitoyens. Une bonne partie des quelque 500 000 à 600 000 automobilistes vont devoir s’imposer une retenue du simple fait que, par la suite, ils vont devoir conduire.

Ensuite , des milliers d’opérateurs économiques, dont les restaurateurs, vont subir de plein fouet l’impact de cette mesure. Sa mise en opération va enfin permettre à une partie seulement des automobilistes d’éviter cette privation alors que les autres, ceux qui ne disposent pas de moyens, devront en subir sa rigueur de plein fouet.

Boire et conduire semblent compatibles, à vos yeux. Comment cela peut-il être possible ?
Ma posture repose sur le fait que le fond du problème n’a rien à voir avec les deux ou trois verres de boissons alcoolisées qu’on sanctionne mais avec le verre d’alcool consommé de trop. C’est-à-dire celui consommé lorsqu’un individu a déjà atteint la limite de sa résistance aux effets de l’alcool.

C’est ce verre excédentaire qui crée le risque d’accident, pas le premier verre ou ceux pris lorsque l’individu est dans sa limite. C’est là tout le problème de la loi qui arrive : elle sanctionne juste après le premier verre alors que l’individu est peut-être confortablement dans sa limite et sa conduite est sans risque.

Y a-t-il une alternative ?
Elle consisterait à amender la législation pour que les automobilistes susceptibles de boire et de conduire puissent se prémunir d’un certificat de résistance à l’alcool délivré par une autorité médicale licenciée par l’État. Ce document indiquera, par exemple, la quantité de boissons alcoolisées au-delà de laquelle sa conduite commencera à générer les risques réels et potentiels pour la sécurité routière.

Pour certains, cela pourrait être 20 mg. Pour d’autres 50 mg ou 80 mg, etc., avec quand même un plafond de 100 mg, calculé d’après les tests médicaux qui auront été faits sur l’individu, consistant à le faire boire et conduire sous observation médicale.

La sanction devra intervenir seulement lorsqu’il aura dépassé sa limite car c’est là, et là seulement, qu’il aura créé des risques d’accidents. À ce moment-là, le sanctionner serait raisonnable et justifié. Au moins là il y aurait une base scientifique à la mesure.

Le recours à un conducteur extérieur n’est-il pas un facteur qui joue en faveur des partisans de la règle «boire ou conduire» ?
Une telle possibilité ne fera pas disparaître l’inégalité de traitement dont les automobilistes pourront être l’objet. Seules les personnes disposant de moyens requis pourront se payer le service d’un conducteur externe. Qu’adviendrait-il alors de ces milliers d’automobilistes qui ne pourront pas se payer le service d’un taxi et dont le seul plaisir consiste à prendre leur famille en voiture pour aller assister aux mariages, anniversaires, entre autres ?

«Entre boire et conduire, il y a un équilibre à chercher, un dosage scientifique à établir…»

N’est-ce pas, de votre part, une incitation à adopter une attitude de laisser faire face à l’alcoolisme ?
Loin de moi l’idée d’encourager la consommation de boissons alcoolisées. Tout le monde sait que les Mauriciens ont une joie de vivre. Lorsqu’on organise une fête, on s’impose soi-même une limitation. C’est d’ailleurs pourquoi durant toutes ces années, à Maurice, on n’a jamais eu de boom dans le nombre d’accidents dû à l’alcool au volant.

La résistance aux effets de l’alcool se manifeste à des degrés différents, d’un individu à l’autre. Certains peuvent tomber dans l’ivresse avec un verre. Et d’autres, avec quatre verres, ne sont pas ivres. On n’est pas égal devant l’alcool. C’est pourquoi une loi qui vient mettre tout le monde à la même enseigne crée une situation d’injustice. Entre boire et conduire, il y a un équilibre à chercher, un dosage scientifique à établir et non un choix arbitraire à faire.

Qui peut venir nous expliquer cette limitation à 20 mg seulement, qui doit s’appliquer de façon uniforme à tout le monde ? La formule actuelle est sujette à beaucoup d’interrogations dont la réponse n’est pas évidente. La privation de liberté des automobilistes à consommer des boissons alcoolisées constitue-t-elle une garantie qu’il n’y aura plus d’accidents à Maurice ?

Y a-t-il eu un rapport d’experts qui a confirmé qu’avec deux ou trois verres, on fait des accidents et qu’avec moins d’un verre on n’en fait pas ? Y a-t-il eu une étude qui a établi une relation directe entre la consommation de plus d’un verre d’alcool et la prévalence d’accidents ?

Êtes-vous d’avis que le législateur est allé un peu trop vite en besogne ?
Un travail scientifique de grande envergure aurait dû avoir été engagé avec pour objectif d’identifier les vraies causes des accidents avant de prendre des mesures aussi radicales touchant des milliers de nos citoyens dans leur vie, leur joie de vivre. Au lieu d’une étude d’experts pour déterminer la relation entre la consommation de plus d’un verre et les accidents, on est entré dans la facilité de l’amalgame donnant à croire qu’alcool égale accident. Et que pour combattre la multiplication des accidents, il suffit de cibler le deuxième ou troisième verre d’alcool chez l’automobiliste susceptible de prendre le volant.

On culpabilise ceux qui prennent plus d’un verre comme s’ils étaient les seuls responsables des accidents de la route. Il n’est un secret pour personne que les causes d’accidents sont multiples. L’ivresse au volant en est certes une. Il y en a d’autres. Ce sont notamment la défectuosité de l’état des routes et l’état mécanique des véhicules ou encore la faute de la victime qui est décédée pour avoir traversé la route sans avoir pris les précautions préalables, ou ayant été sous l’influence de l’alcool elle-même.

Pour ma part, je pense qu’il faut voir du côté de ces nouveaux véhicules qui viennent augmenter notre flotte chaque année. Ils expliqueraient le mieux le nombre croissant d’accidents sur nos routes.