Publicité

Post-Yerrigadoogate: Maurice doit encourager le journalisme d’investigation

28 septembre 2018, 11:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Post-Yerrigadoogate: Maurice doit encourager le journalisme d’investigation

Comment est tombé Ravi Yerrigadoo, l’enfant chéri du Sun Trust ? Grâce au journalisme d’investigation – un genre encouragé de par le monde afin de garantir le bon fonctionnement de la démocratie et des institutions, mais qui avait été décrié à Maurice ! Preuve s’il le fallait que nous sommes sacrément en retard des tendances mondiales.

Si ici l’on n’est pas encore rompu à ce genre journalistique, l’on peut comprendre, sans pour autant cautionner, que certains confrères complaisants, ou quelques vétérans dépassés, frustrés ou jaloux, ou les deux en même temps, ont essayé de critiquer, par le biais de l’éthique (sans même connaître les dessous et les faits de l’enquête Yerrigadoogate), le travail de fourmi abattu par les trois mousquetaires de la presse locale – Nad Sivaramen, Axcel Chenney et Yasin Denmamode.

On ne peut passer sous silence les inepties entendues sur les ondes et dans certaines colonnes où tout passe, sans recul aucun. Parmi ces inepties locales : le travail du journaliste ne serait pas celui d’enquêter, ou que le journaliste ne doit pas être acteur, mais doit s’asseoir et regarder, en bon spectateur, que le monde s’écroule – et quand la pourriture aurait tout envahi, alors il faut en parler. Ce n’est pas sérieux !

Garant de la démocratie

Le Yerrigadoogate marque un tournant dans la presse mauricienne, si tant qu’on arrive à apprécier le travail pour faire remonter la masse d’informations et de documents contre l’ancien Attorney General. D’ailleurs, après cette enquête, l’express a continué son travail d’exposer les faits dans les cas de Showkutally Soodhun (en évitant le sensationnalisme de la concurrence) et de la présidente de la République (que certains avaient, eux, choisi de décorer !). Il y a eu aussi le rôle ambigu de Choomka, et, plus récemment, l’interdit bancaire d’Anoop Nilamber.

Si le journalisme d’investigation est l’un des garants du bon fonctionnement de la démocratie, son avenir ne peut être assuré en l’absence de journalistes intrépides, intelligents, indépendants et impartiaux. Sans autonomie financière et sans des ressources humaines formées et aguerries, le journalisme d’investigation ne pourra pas subsister face à la com qui veut tout emballer. Afin de cacher les tares, les vices, les manoeuvres.

Le journalisme d’investigation n’est pas une «mission» mais plutôt un sacerdoce. C’est avant tout un choix individuel, né d’une volonté, qui va de pair avec un ensemble de compétences et de la pugnacité, notamment face aux abus du pouvoir.

Au pays du Watergate, le journalisme d’investigation balaie un large éventail de problèmes sociaux, tels que les lacunes du système éducatif ou encore les bas salaires du personnel des grandes chaînes de supermarchés ainsi que les conditions de travail des travailleurs immigrés. Le travail n’est pas toujours glamour : par exemple, des journalistes ont travaillé sous couverture dans une usine pour y dénoncer les mauvaises conditions de travail.

Nous avons d’autre part participé à l’enquête sur les Panama Papers, une énorme fuite d’informations de plus de 11,5 millions de documents financiers et juridiques mentionnant les noms de politiciens, criminels et entreprises fraudeuses à travers le monde ainsi que les lieux où ces derniers cachaient leurs fortunes. Mené par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de Washington, DC (auquel appartient d’ailleurs l’express), cet impressionnant projet mondial a fait la Une des journaux partout dans le monde en 2016 et a remporté le prix Pulitzer. Il a aussi été à la base de nouvelles lois dans certains pays.

Ces fuites ont aussi permis de braquer les projecteurs sur les zones d’ombre et zones grises de notre secteur offshore, où d’aucuns pourraient tenter de blanchir des fonds. Dans cette optique, il est intéressant de suivre les connexions de Jean-Claude Bastos entre les centres financiers du monde et celui de Maurice.

Pièges et mensonges

Sur un plan plus global, la montée en puissance des régimes autoritaires doit contribuer à rendre encore plus incontournable le journalisme d’investigation qui a le mérite de privilégier les faits sur les palabres ou autres Fake News qui inondent la Toile. Le Yerrigadoogate n’était pas une vendetta politique, comme d’aucuns veulent le faire croire. Au moment où le journalisme d’investigation se fait rare, les organisations à but non lucratif se sont révélées être des alternatives possibles aux médias traditionnels, en faisant appel aux techniques journalistiques d’investigation.

Aujourd’hui, beaucoup d’ONG s’attellent à former des journalistes et à financer des conférences et des campagnes. Elles doivent définir des mécanismes pour financer de manière publique, ouverte et compétitive le journalisme d’investigation en tant que bien commun, sans aucune condition. Dans le même élan, il y a lieu de protéger les journalistes d’investigation qui en s’exposant se livrent à la vindicte de ceux qu’ils dénoncent. Si à Maurice on ne va pas jusqu’à tuer ou emprisonner, en revanche, la calomnie, l’utilisation de la police, l’utilisation des fausses charges et de la MBC et d’autres organes complaisants sont des tentatives d’assécher les plumes de nos journalistes d’investigation.

Protégeons-les.

Alicia S.
(ex-journaliste, membre du ICIJ)