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Jagdish Jassoodanand: «Il ne faut pas que les politiciens s’ingèrent dans le travail de la police»

15 septembre 2018, 16:45

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Jagdish Jassoodanand: «Il ne faut pas que les politiciens s’ingèrent dans le travail de la police»

Dimanche dernier, le caporal Choolun a été victime d’agression par des participants à un rallye illégal. Que se passe-t-il donc avec la police ? Pourquoi n’est-elle plus symbole d’autorité ? Comment y remédier ? Jagdish Jassoodanand, ancien «Deputy Commissioner of Police» au Central Criminal Investigation Department (CCID), explique.

Comment réagissez-vous face à l’agression du caporal Choolun ?
Je suis très triste de constater qu’au sein de la société mauricienne, les jeunes n’ont aujourd’hui plus le moindre respect pour l’uniforme. Ce sont les parents qui en sont responsables…

Les parents ? Et la police alors, pourquoi a-t-elle perdu son autorité ?
Cela est lié à un manque de discipline dans la police. L’exemple vient toujours d’en haut. Il faut mettre les jeunes recrues dans le bain et les discipliner. Le recrutement devrait être plus sévère. Parallèlement, il y a une absence de contact entre le public et les forces de l’ordre. Auparavant, les policiers étaient un peu plus friendly. Ils respectaient le public…

Donc, ce n’est plus le cas désormais ?
En effet… Par exemple, si vous voyez un policier sans sa casquette, mal habillé ou s’il est témoin de délits et ne prend pas les actions nécessaires, évidemment le public perdra confiance en la police. Aujourd’hui, cette image est largement projetée.

Suivant le cas du caporal Choolun, Mario Nobin affirme que la police n’agit qu’en cas de nécessité. Qu’en est-il dans la réalité ?
Regardons la loi avant tout. La police doit user d’un minimum de force tout le temps. Dans le cas du caporal Choolun, c’est bien grave. Les assaillants sont allés jusqu’à abîmer sa maison et sa voiture, se rendant coupables de damaging property by band. Toutefois, sur les lieux, ce policier aurait dû utiliser son intelligence.

Premièrement, en voyant qu’il y avait un rallye d’une quinzaine de personnes, il aurait dû solliciter du renfort. À deux policiers, ils n’auraient jamais pu gérer la situation. Un High-Ranking Officer aurait dû prendre les rênes. Deuxièmement, l’officier a-t-il indiqué aux participants qu’ils effectuaient un rallye dans l’illégalité ? Leur a-t-il donné un warning ? Troisièmement, avait-il sa matraque ? Je n’ai rien vu de tel. Tous les policiers sont armés. Les officiers prennent du temps à intervenir.

Pourquoi ?
Peut-être que cela est dû à un manque de policiers dans les postes de police, ou ils sont pris par d’autres travaux. C’est sans doute un manque de volonté aussi. On se souvient également des policiers agressés par une collégienne à la gare du Nord…

Si la présence policière était renforcée dans des lieux stratégiques comme à la gare du Nord ou celle de Jan Palach, entre autres, cela aurait un effet dissuasif. Avant, les effectifs étaient peu nombreux mais n’étaient pas cantonnés au poste de police. Ils étaient aux aguets dans la rue.

En juillet 2018, la police a été vivement critiquée, en particulier l’Anti-Drug & Smuggling Unit (ADSU), dans le rapport Lam Shang Leen. Quelle serait la solution pour cette instance ?
Il faut un remaniement de l’ADSU. Les barons de la drogue ont pu pénétrer le cercle des membres de l’ADSU. Il y a un manque d’intégrité chez certains officiers. L’argent les fait basculer de l’autre côté. Ils ne peuvent résister à la tentation. Il ne faut pas dissoudre cette unité, mais la remanier en lui donnant plus de moyens en termes de transport, d’équipements, d’armes et de communication. En revanche, d’autres semblent être conscients de leurs responsabilités. Dans ce cas, il ne faut pas que les politiciens s’ingèrent dans le travail de la police.

Et pour le mystère des 16 kilos de drogue disparus, n’est-il pas temps d’instaurer un meilleur contrôle ?
Pour commencer, un haut gradé devrait être présent au moment de la saisie. Il faut bien effectuer la pesée et répertorier le poids correctement avant de demander à l’officier en charge de la saisie ainsi que le haut gradé en question de signer.

Comment s’assurer qu’aucun gramme ne disparaît ?
Vous savez, en Inde, l’officier responsable de la fouille répertorie tout ce qui a été trouvé, en deux copies. Il conserve l’une d’elles alors que l’autre est remise au propriétaire de la maison perquisitionnée. Ce serait une bonne chose d’adopter ce modèle à Maurice. Ainsi, si un des items disparaît, il y a un rapport. Et cela sera fait en toute transparence. Outre d’apposer des scellés, il faut le conserver dans un lieu vraiment sécurisé. Il y a un contrôle, mais cela ne doit pas se faire au petit bonheur. Il faudrait, par exemple, informatiser ce système pour éviter ces anomalies.

Corruption, complicité, inaction, brutalité… La police est critiquée de toutes parts. Comment en est-on arrivé là ?
Il y a un problème avec la police. Dès la formation, on sent un manque de motivation. Il y a des policiers qui se sont enrôlés juste pour avoir un job. Il n’y a pas cette flamme de servir le pays. Les supérieurs doivent motiver ces jeunes. Un vrai commissaire de police doit être un modèle de discipline pour tous les officiers. Les promotions également sont difficiles.

La formation est aussi égratignée. On recrute n’importe qui pour être policier désormais ?
Cette responsabilité incombe à la Disciplined Forces Service Commission. Avant de recruter un policier, il est crucial d’analyser son background, celui de sa famille et ses fréquentations. Cela se fait déjà, mais il n’y a pas d’approfondissement dans l’enquête.

Et en termes de critères de recrutement ?
Il y a un petit changement. Maintenant, on recrute des policiers avec diplômes et certificats. L’accent est mis sur le côté académique. Hélas, ils ne peuvent répondre à la demande du public. Celui-ci a besoin d’une présence policière régulière, donc de jour comme de nuit. Il est vrai que la population a augmenté et qu’il n’y a pas assez de policiers pour les patrouilles sur les artères principales.

Auparavant, les recrues étaient motivées par la mission de servir. Tel n’est plus le cas désormais. D’ailleurs, à l’époque, la formation elle-même était plus rigoureuse, tant sur le plan physique, la parade que pour les examens. Il faut avoir une bonne compétence. Aujourd’hui, oui, on recrute des diplômés. Mais ils ne s’adaptent pas à ce travail.

Récemment, sir Anerood Jugnauth a soutenu qu’il n’y a pas de place pour les brebis galeuses dans la police. Quelle est l’étendue de l’infiltration de ces «brebis» ?

Un petit groupe de brebis galeuses évolue au sein de la police. Cela dit, il faut les surveiller de près. Ils n’ont aucun amour pour ce travail. Ils marchent avec les barons de la drogue. Leur fréquentation au-delà des heures de travail laisse à désirer. Des collègues ont peur de les dénoncer.

Comment redorer le blason de la police ?
Que la formation soit continue. Des examens doivent se tenir sur une base régulière. Si quelqu’un ne s’entraîne pas tous les jours, sa santé se détériorera. Idem pour les policiers. Ils doivent être formés en self-défense. Avant, on procédait à des examens mensuels même si vous étiez en service. Des cours étaient d’ailleurs assurés par des hauts gradés. Aujourd’hui, tout cela est fini. Regardons aussi la véritable compétence d’un policier et donnons-lui ce qu’il mérite en termes de promotion.

 

Bio express

<p style="text-align: justify;">Lorsqu&rsquo;il a intégré la force policière, Jagdish Jassoodanand, aujourd&rsquo;hui âgé de 77 ans, a pris de l&rsquo;emploi au poste de police de Beau-Bassin. L&rsquo;habitant de Curepipe a travaillé dans plusieurs districts et a par la suite été promu sergent. Il a aussi exercé au sein de la <em>Special Mobile Force </em>et du <em>State Security Service. </em>Nommé inspecteur en 1978, Jagdish Jassoodanand a ensuite été <em>&laquo;Detective Inspector&raquo;</em> avant d&rsquo;être promu <em>&laquo;Detective Chief Inspector&raquo;.</em> Ensuite, il a intégré le CCID comme assistant surintendant de police et y a terminé sa carrière comme <em>&laquo;Deputy Commissioner of Police&raquo;.</em></p>