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Harrikrishna Anenden: Écrire avec la lumière en restant dans l’ombre

11 août 2018, 19:00

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Harrikrishna Anenden: Écrire avec la lumière en restant dans l’ombre

L’on parle surtout d’Ananda Devi et moins de son époux. Pourtant ce dernier a reçu de nombreuses distinctions pour ses films. Rencontre avec cet homme qui tient à être derrière les projecteurs.

Le cinéaste mauricien Harrikrishna Anenden était à Maurice la semaine dernière pour tourner à nouveau quelques scènes du Voile de Draupadi. En termes de notoriété, ses films ont obtenu plus de distinctions que les livres de son épouse, l’écrivaine Ananda Devi. Or, c’est surtout elle dont on parle. C’est que l’homme aime rester dans l’ombre.

Harrikrishna Anenden, plus connu comme Kessava, se raconte avec simplicité et détachement, évoquant, par exemple, son film médical le plus primé à l’international, The Legacy of Buruli, de la même manière que s’il parlait de météo. Ce septuagénaire est originaire du Ward IV à Port-Louis. Son père était vendeur de fruits et sa mère, une brave femme au foyer, élevant leurs trois enfants. Chez les Anenden, on n’est pas riche mais on ne manque de rien.

Depuis l’enfance, Harrikrishna Anenden est fasciné par l’image. À dix ans, il économise son argent de poche et s’achète son premier appareil photo, un Agfa Click, à Rs 25 chez Mimosa. Lorsqu’il entre au secondaire au collège Trinity, il intègre le club de photographie. Comme il fréquente régulièrement le studio Mimosa, Jean-Pierre Lan Yee Chew, le propriétaire, lui offre un emploi de photographe lorsqu’il termine sa Form VI. Harrikrishna Anenden devient alors le photographe attitré du studio, faisant des photos de mariages et travaille même pour le compte du ministère de l’Information lorsqu’un dignitaire est de passage. Lorsque le studio Mimosa veut maîtriser la photo en couleurs, c’est lui qui est envoyé à Nairobi pour suivre le cours à cet effet.

La photographie lui plaît tellement qu’il veut se spécialiser dans le domaine en Grande- Bretagne. Avec ses économies, il se paie des études menant à un Bachelor of Science en photographie auprès de la Regent Polytechnic, qui est l’école par excellence pour ce type de formation professionnelle. Ce qui l’intéresse le plus, c’est la photographie médicale. Il obtient alors une bourse de l’Institute of Cancer Research.

Quand il apprend que le poste de responsable de l’audiovisuel est vacant à l’université de Maurice, il postule et l’obtient. Mais qui dit audiovisuel, dit non seulement la maîtrise de l’image mais aussi du son. Conscient de sa lacune, il économise pour aller suivre des études de cinéma auprès de l’université de Londres. En parallèle à cette formation, il s’inscrit à un autre cours en technique du cinéma auprès de la London Film School.

Contraste

C’est au cours du mariage d’Anil Gayan qu’il connaît bien et de Soorya Nirsimloo qu’il croise pour la première fois Ananda Devi, jeune soeur de la mariée. Il fait les photos du mariage et est même invité à la fête lorsqu’Ananda Devi est lauréate. Et quand cette dernière va étudier en Grande-Bretagne, Soorya Gayan demande à Harrikrishna Anenden de jeter un oeil sur sa jeune soeur. «Je l’ai bien regardée», dit-il en riant.

Ils sont d’abord amis et lorsqu’elle publie son premier livre, Solstices, il l’achète et le lit «pour pouvoir mieux en discuter avec elle». Il est séduit par l’écriture d’Ananda Devi et par le contraste entre la jeune femme, qui est posée et calme, et «la violence et le côté obscur de son écriture quoiqu’empreinte de poésie. J’ai trouvé ça fascinant.» Il réalise qu’ils ont des points communs et qu’Ananda Devi écrit avec les mots et lui avec la lumière.

Après un bref passage au studio Mimosa et au Mauritius College of the Air, où il réalise le documentaire L’argile et la flamme qui obtient le grand prix de l’ACCT en 1981, aujourd’hui l’Organisation internationale de la Francophonie e, le premier film mauricien internationalement primé, il obtient le poste de responsable de l’audiovisuel pour l’Afrique auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Lui et Ananda Devi se marient en 1981, et l’année suivante, il devient père d’Ashwin, 36 ans, qui est aujourd’hui médecin exerçant à Londres. Leur fils cadet, Sharvan, né en 1984, est devenu réalisateur après des études de graphisme et de cinéma à Londres.

À cette époque, Harrikrishna Anenden est basé au Congo-Brazzaville mais voyage beaucoup pour réaliser des films et des documentaires médicaux. Et lorsque l’OMS l’envoie à Genève, toute la famille l’y suit. Il continue à réaliser des films médicaux jusqu’à ce qu’il se retire de l’OMS en 2006.

À ce jour, il a réalisé plus d’une soixantaine de films médicaux dont The legacy of Buruli, qui traite de l’ulcère de Buruli, maladie causée par un microbe. Ce film fait grand bruit et obtient cinq à six distinctions européennes et même le Freddie’s Award américain considéré comme l’Oscar pour les films médicaux.

Si son désir initial est de reprendre la photo à la retraite, «il y a toujours une Lady Macbeth quelque part pour donner des ordres», rigole-t-il. C’est ainsi que commence sa collaboration d’adaptation au grand écran de certains romans de son épouse. Il produit et réalise coup sur coup La Cathédrale, projeté à une dizaine de festivals et qui a reçu le prix du public à La Réunion et au Cambodge et pour lequel il dira qu’il lui est plus important de «séduire le public qui est la cible qu’un jury», et Les Enfants de Troumaron, réalisé avec son fils Sharvan et tiré du roman Eve de ses Décombres d’Ananda Devi. Ce film a été primé à plusieurs reprises.

Ce que Harrikrishna Anenden aime pardessus tout, c’est produire un cinéma de vérité. «Je n’aime pas les fictions. J’aime montrer les réalités que beaucoup de gens ne voient pas au quotidien. Il faut leur ouvrir les yeux.» Il a aussi braqué sa caméra sur les tisserands de saris indiens qui sont exploités et ça a donné le documentaire intitulé Saris sans fin. L’an dernier, il a tourné Le Voile de Draupadi, autre adaptation de l’oeuvre de sa femme et qui traite du rapport d’une femme mauricienne moderne avec les diktats religieux. S’il espère pouvoir présenter Le Voile de Draupadi l’an prochain, il se réjouit d’abord de la sortie prochaine de la comédie réalisée par Sharvan, qu’il a vue et appréciée.

Il ne faut pas croire qu’Harrikrishna Anenden ne soit abonné qu’aux adaptations des romans de son épouse. «J’ai l’intention de faire un film étrange à partir d’une de mes propres expériences, un rêve qui se passe en Thaïlande et que l’on pourrait qualifier de rêve surréaliste !» Malgré son brillant palmarès, cela ne le dérange pas qu’on parle surtout de sa femme. Il ne considère pas qu’elle lui fasse de l’ombre. «Je suis heureux pour elle. De toutes les façons, pour faire des films, il faut rester dans l’ombre. Le réalisateur doit toujours être derrière les projecteurs, pas devant...»