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Immigration au Canada: des pseudos agents à l’affût, plusieurs Mauriciens piégés

10 avril 2018, 20:03

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Immigration au Canada: des pseudos agents à l’affût, plusieurs Mauriciens piégés

Compagnie fictive, assistance et service inexistants : le plan semblait être bien rodé. Derrière la fraude, un couple de Mauriciens actuellement recherché par des autorités policières au Canada. En effet, celui-ci aurait escroqué plusieurs compatriotes, à hauteur de Rs 600 000 chacun, en échange de facilités pour obtenir un permis de résidence dans ce pays. Hélas, les deux suspects ont pris la poudre d’escampette, emportant le magot évalué à des millions de roupies.

À ce stade, les autorités ont comptabilisé une vingtaine de victimes et poursuivent leur enquête. Comme elles, plusieurs Mauriciens se sont retrouvés piégés par des pseudos agents d’immigration. Dylan, 36 ans, et son frère, Jerry, 32 ans, s’en souviennent encore. «Nous avions chacun contracté un emprunt de Rs 500 000. Une connaissance de notre père nous avait mis en contact avec un agent facilitateur pour la Grande-Bretagne. Nous lui faisions confiance», raconte Jerry. L’agent leur promet alors des visas étudiants, suivis de permis de séjour permanents.

L’offre est plus qu’alléchante. Dylan et Jerry lui remettent l’argent en février 2017 pour un départ prévu en juin. Reprenant contact peu de temps après, ils découvrent avec stupeur que l’agent s’est volatilisé. «Nous ne savions plus où chercher. Imaginez le tourment. Nous avions des prêts à rembourser. Et là, tout l’argent était parti en fumée», ajoute-t-il. Et le rêve de partir aussi. Épaulés par leur famille, les deux frères ont dû rembourser leurs dettes et n’ont jamais pu quitter Maurice.

Kevin, 29 ans, en a aussi fait les frais. «Il n’y avait pas d’avenir à Maurice. Je voulais partir pour le Canada. À travers un ami, j’ai connu un agent d’immigration», confie le jeune homme. Informaticien de profession, il entame les démarches pour un permis de travail. Pour cela, il paie 17 000 dollars, plus de Rs 400 000. Peu après, il obtient le document l’autorisant à y travailler, mais comme fermier. Sur place, il devait être assisté et canalisé vers son employeur. «Je suis arrivé au Canada en 2015. Rien n’avait été fait. Je ne connaissais même pas l’employeur. J’ai contacté l’agent, mais il voulait encore plus d’argent», confie-t-il.

Faisant ses démarches seul, il n’arrive pas à décrocher d’emploi. Il entame alors des études pour devenir administrateur de réseau. Soutenu par sa famille, Kevin séjourne toujours au Canada. Il n’a jamais obtenu un poste pour le permis agréé et est présentement en quête d’une fonction rejoignant ses nouvelles qualifications. Il a réclamé un remboursement de l’agent, en vain.

Faux contrat de travail

Tout comme d’autres Mauriciens, Brian, 28 ans, espérait que l’herbe serait plus verte ailleurs. Il a contacté un agent vers la mi-novembre 2013, par le biais d’un ami. La démarche entamée était pour un permis de travail. «Moi, j’étais chauffeur de camion. Le consultant m’a affirmé que j’étais qualifié. Il m’a dit qu’il me chercherait un employeur pour un montant de 14 000 dollars. J’ai dû faire un dépôt de Rs 45 000», relate-t-il.

Vers la fin de novembre 2013, notre interlocuteur déclare que l’agent lui a confirmé que le permis était agréé et qu’il pourrait séjourner au Canada pendant deux ans. «Toute l’assistance me serait procurée dès mon arrivée, et ce jusqu’à l’obtention de mon permis de résidence permanente. On me disait comme la vie était belle là-bas. J’ai contracté des emprunts et mis la maison de mes proches en gage. J’ai fait deux ou trois paiements additionnels jusqu’en avril 2014», explique Brian.

Quittant Maurice en mai 2014, il se rend au Canada où le fils de l’agent devait l’héberger et l’aider pour son installation. Malheureusement, Brian déchante rapidement. Du logement aux déplacements ainsi que la nourriture, tout lui est réclamé. «J’y suis resté pendant un mois. Je contribuais mais ils abusaient et ont épuisé tout mon argent. Et comme je n’arrivais pas à trouver de travail, ils m’ont éjecté», indique-t-il.

De plus, aucune aide n’est effectuée pour son travail. Il rencontre par hasard d’autres Mauriciens qui le guident dans ses démarches. En janvier 2015, il obtient son permis d’opération pour les camions. Un mois plus tard, un employeur le recrute. «Je suis parti comme ça. À Maurice, j’ai travaillé dans des camions à canne, à sucre, mais jamais à aller chercher du bois sur les montagnes dans ce froid glacial. Je n’avais pas les vêtements appropriés. J’ai appris sur le tas. L’agent m’a donné un faux contrat de travail. C’était juste du copier-coller», indique-t-il.

Si sa démarche d’emploi a pu aboutir, Brian mise maintenant sur sa résidence permanente, dont la demande est en cours. Il a réclamé un remboursement de l’agent en 2016. Hélas, il n’en a obtenu que Rs 25 000.

Selon Me Massood Joomratty, spécialisé dans le droit d’immigration au Canada, ces cas de fraude sont récurrents (voir encadré). Qu’est-ce qui poussent les Mauriciens à vouloir immigrer à tout prix ? D’abord, ces derniers estiment ne pas progresser financièrement au pays et sont endettés. «Depuis les 16 dernières années, je vois que les Mauriciens croient fermement que l’herbe est plus verte ailleurs. À l’étranger, ils pensent qu’ils pourront trasé», affirme-t-il.

Une autre raison est pour assurer l’avenir des enfants. Si certains d’entre eux sont qualifiés et peuvent s’inscrire dans des programmes précis comme pour les étudiants, travailleurs qualifiés ou investisseurs, d’autres ne le sont pas, malheureusement. «Elles chercheront des agents qui leur diront qu’elles le sont. Consciemment, ils sont prêts à donner de l’argent. L’agent lui, n’est pas intéressé à œuvrer pour l’immigration de ces gens-là. Il ne s’intéresse qu’à s’en mettre plein les poches», déclare-t-il. Nous avons vainement essayé d’avoir des explications d’autres agents d’immigration pour l’Australie et d’autres pays. 


Me Massood Joomratty: «Une centaine de Mauriciens qui veulent émigrer sont escroqués en un an»

Me Massood Joomratty, avocat spécialisé en loi de l’immigration canadienne.

 

Me Massood Joomratty, avocat spécialisé en loi de l’immigration canadienne, nous parle des Mauriciens qui sont victimes d'agents recruteurs.

Les arnaques à l’immigration sont-elles récurrentes ?

Il y a beaucoup de Mauriciens qui ont tout perdu en remettant de l’argent à de faux agents. Par exemple pour l’Australie, l’Irlande, la France. Pour le Canada, j’ai vécu cela. J’ai vu qu’il y a beaucoup de victimes d’agents sans scrupules. C’est effectivement récurrent. Durant les derniers 12 mois, environ une centaine des Mauriciens qui nous ont contactés ont été escroqués. Donc, soit ils ont remis de l’argent aux agents sans recevoir le moindre permis, ou alors, ils l’ont obtenu. Mais sur place, cela ne correspond pas à ce qui leur avait été promis, au préalable.

Quels sont les critères de non-éligibilité ?

Le gouvernement canadien les a bien définis. Par exemple, si une personne n’a étudié que jusqu’en Form IV, elle ne sera pas qualifiée. Ces temps-ci, même avec la Forme V, on n’est pas éligible. La plupart des agents escroquent les gens, notamment pour les permis de travail. On vous dira : donnez-moi un million de roupies et je vous trouverai un travail au Canada. Après votre expérience de travail, vous pourrez avoir la résidence permanente. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut se qualifier.

Comment distinguer les vrais agents des faux ?

Il y a deux catégories de personnes pouvant représenter un client pour l’immigration au Canada. D’abord, il y a les avocats canadiens. Vous pouvez le vérifier dans le registre​ des avocats ​​auprès du barreau de sa province. Dans mon cas, je suis sur ​membre du Barreau -  la Law Society ​of British Columbia.

Deuxièmement, il y a des consultants d’immigration. Avant, ce n’était pas réglementé. Depuis ​2004, le gouvernement canadien a institué un organisme de régulation, l’Immigration Consultant of Canada Regulatory Council, pour pallier ces fraudes. Tout consultant doit avoir un numéro d’accréditation. Malheureusement, en 2011, l'organisation régulatrice des consultants a été remplacée pour des raisons d'incompétence, entre autres.​

Et pour éviter de se faire piéger ?

Déjà si un agent vous reçoit dans un lieu suspect, comme sous une boutique par exemple, et ne vous émet aucun reçu, fuyez. On vous fera croire que vous êtes éligible alors que vous ne l’êtes pas. Les promesses sont énormes. Et si on arrive à atterrir dans ce pays, il ne nous reste que les yeux pour pleurer dans ces conditions.

Durant les derniers six mois, on a enregistré une trentaine de Mauriciens qui souffrent car ils sont venus avec un permis de travail, sans pour autant en décrocher.  Pourtant, tout permis de travail légal est attaché à un employeur spécifique. Si une personne a été arnaquée, elle peut aller le dénoncer à la police et le rapporter au Regulatory body concerné si l'agent figure sur un registre quelconque​. Il faut poser des questions, demander des preuves et faire vérifier l'authenticité des gens et des documents.

Migration circulaire : qu’est-elle devenue?

<p>Depuis 2007, l&rsquo;International Organisation for Migration (IOM), dont fait partie Maurice, assiste le ministère du Travail pour le recrutement des Mauriciens au Canada. Durant cette période, un premier groupe de 76 Mauriciens ont été placés dans des services de production alimentaire. Un an plus tard, 72 autres ont été employés dans ce secteur. Des soudeurs, mécaniciens, peintres et coiffeurs mauriciens ont également été embauchés par la suite.</p>

<p>À novembre 2014, 489 Mauriciens ont été placés au Canada par les autorités. Depuis 2015, cet accord est revu. En effet, de par les coûts engendrés, le ministère étudie la question de maintenir ou pas cette collaboration. &laquo;<em>Nous attendons les offres du gouvernement canadien. Aussitôt celles-ci acheminées vers l&rsquo;IOM, nous avons alors une séance de travail et publions les avis de recrutement</em>&raquo;, confie un officier.</p>