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Harry Booluck : «Là où il y a du profit, il y a des choses pas normales qui se passent...»

7 avril 2018, 18:00

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Harry Booluck : «Là où il y a du profit, il y a des choses pas normales qui se passent...»

Privatisation, augmentation des tarifs, réservoirs à l’étude : la CWA est en eaux troubles. Les syndicalistes ont protesté contre la hausse du prix de l’eau, récemment. Mais quelles sont les alternatives ? Harry Booluck, ancien directeur de cette instance, analyse la situation.

Pourquoi la privatisation de la CWA provoque-t-elle actuellement une levée de boucliers des syndicalistes et du public ?
Eh bien, la privatisation n’a jamais marché parfaitement en Afrique… ni en Asie d’ailleurs. Avec le secteur privé qui arrive, ce ne sera pas un organisme de charité. La compagnie qui décrochera le contrat travaillera pour maximiser les profits. Et vous savez que là où il y a du profit, il y a des choses pas normales qui se passent. Donc, ce ne sera pas dans l’intérêt du consommateur.

Pourquoi la privatisation n’a-t-elle pas marché dans ces pays ?
Parce que they don’t deliver the goods. Partout où la privatisation a eu lieu, ils ont résilié le contrat avant terme. Est-ce qu’à Maurice ce sera différent ? D’après le track record, cela s’est avéré infructueux. À mon avis, cela ne fonctionnera pas.

En dépit des hausses de tarifs annoncées, plusieurs régions ne sont toujours pas desservies adéquatement. Donc le contribuable devrait payer plus cher pour un service inefficace ?
Je crois que le secteur privé qui arrive a dû voir la balance sheet de la CWA et dire au gouvernement de procéder lui-même à l’augmentation des tarifs, car cela n’inspire pas confiance. Et la décision revient au gouvernement, pas à la CWA. De toute façon, le consommateur est coincé. Il devra payer. Et si on privatise l’instance, ce sera inévitable. De plus, une fourniture 24/7, comme stipulée par le ministre de l’Énergie, n’est pas réaliste. En période de grosses pluies, peut-être. Mais nous avons de grandes périodes de sécheresse. Que va-t-on faire à ce moment-là ? Il faudra alors accepter qu’on rationne l’eau pour deux à trois heures disons.

Quelles sont les alternatives à la hausse des tarifs ?
Il faut chercher d’autres sources comme des nappes souterraines, des forages plus puissants et en profondeur. Il y en a notamment dans le Nord et les basses Plaines-Wilhems. Il faut en trouver aussi dans les régions plus vulnérables. Pour la hausse, on ne peut pas faire de politique dessus, mais voyez le rapport du Pay Research Bureau. Il faut davantage payer les travailleurs car il y a aussi les coûts des matériaux qui augmentent pour le traitement de l’eau.

L’augmentation de l’eau devrait intervenir de temps à autre, par exemple à un intervalle de deux à trois ans. L’État a du mal à faire accepter cette révision des tarifs au public. Aussi, le gouvernement dort dessus. Regardez, la dernière hausse date de 2012, je pense. Il faut trouver un moyen pour que la CWA fournisse un service de qualité à un prix raisonnable.

Les autorités ont lancé un appel d’offres pour une nouvelle étude sur les «dam breaks». Est-ce nécessaire, selon vous ?
Pourquoi réaliser une telle étude ? Il n’y a pas lieu. Parce qu’il n’y a pas de perte d’eau de nos réservoirs. La CWA et la Water Resources Unit (WRU) mesurent régulièrement le volume d’eau entrant et sortant pour s’en assurer.

Pourtant, depuis des années, des fissures sont couramment mentionnées, notamment à Mare-aux-Vacoas.
Effectivement, les gens l’évoquent dans cette zone depuis longtemps. Il y a dix ans, une étude de la WRU a démontré qu’il n’y a aucune perte dans nos réservoirs.

Mais en dix ans, le climat et le développement de Maurice ont changé. D’ailleurs, une autre étude sur la sécurité des barrages, qui n’avait pas démontré d’instabilité majeure, date de 1999. Ces données ne sont-elles pas obsolètes ?
La WRU est responsable des réservoirs. Je pense que même après 20 ans, les données sont toujours fiables. Il n’y a pas de fissure, à proprement dit. Cependant, il y a des pertes naturelles à un pourcentage qui est tolérable. Mais il n’y a pas lieu de faire de nouvelles recherches. Combien d’argent va-ton y injecter ? On pourrait utiliser ces fonds pour d’autres travaux.

Il y a beaucoup de débats autour des barrages. Où en sommes-nous actuellement ?
Les barrages, ça coûte beaucoup. Outre celui de Bagatelle, celui de Rivière-des-Anguilles qui alimenterait les régions de Rivière-Noire et Tamarin, est dans le pipeline. Lorsque j’étais à la CWA, on avait acheté le terrain. C’est pour vous dire depuis quand cela date. Quant à la sécurité, prenons le cas de Mare-aux-Vacoas, par exemple. En temps de pluie, il ne déborde jamais du côté des Plaines-Wilhems. L’excès est dirigé vers l’arrière du réservoir. C’est dû au fait que les Anglais avaient planifié la structure pour l’orientation vers les forêts.

Nous perdons tout de même cette eau. N’y a-t-il pas de nouveaux systèmes de captage à prévoir ?
D’abord, voyons les ressources que nous avons. À Mare-Longue et La Ferme, l’eau est uniquement destinée à l’irrigation. Donc, le consommateur se fie aux réservoirs de Mare-aux-Vacoas, Piton-du-Milieu, la Nicolière et du Midlands Dam. Déjà, celui de Piton-duMilieu est bien trop petit. Il faut l’agrandir. Quant à la Nicolière, il dépend du Midlands Dam. Ce réservoir peut actuellement stocker 66 Mm³ (million de mètres cubes) par jour. Il faudrait qu’il s’étende à 100 Mm³. En revanche, le Midlands Dam est doté d’une capacité de 25 Mm³ pour la phase I. Mais pourquoi personne ne parle de sa phase II ? Car on peut l’augmenter à 40 Mm³. C’est à la WRU de voir cela. Ont-ils un budget pour le faire ? Et pour le Bagatelle Dam, le treatment plant n’est pas prêt. Ce qui affecte déjà l’approvisionnement en eau à Port-Louis Sud et dans les basses Plaines-Wilhems.

«Et la décision revient au gouvernement, pas à la CWA. De toute façon, le consommateur est coincé. Il devra payer.»

Qu’est-ce qui stagne au niveau du Bagatelle Dam ?
Cela fait deux ans déjà. Le problème est lié à toute la paperasserie. Avec cette perte de temps, c’est le consommateur qui paie pour ça.

Ne serait-il pas temps de développer d’autres systèmes de captage ?
La CWA est en train de construire des service reservoirs. Ce sont des ressources qui traitent l’eau à l’état brut pour la consommation. Cependant, il faut avoir un plan à long terme. À la CWA, on parle, après on dort. Il faut prévoir sur la durée, comme pour les 30 à 50 ans qui suivent…

Il n’y a donc pas de stratégie ?
 Il n’y en a pas… ou alors sur papier. Mais dans la pratique, il n’y a rien.

Bio express

<p>Originaire de Quatre-Bornes, Harry Booluck a été enseignant en économie au collège Eden de 1974 à 1996. Maire de la ville des fleurs en 1977 et 1979, il a été député pour Savanne/Rivière-Noire et Deputy Speaker de 1987 à 1991 sous la bannière du Parti travailliste, Parti Mauricien Social Démocrate et le Mouvement Socialiste Militant. De 1996 à 2000, il a été le directeur de la CWA ainsi que de 2006 à 2010. Harry Booluck est présentement à la retraite.</p>