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Margaret Legentil, la «Madame Tourte» de Cité Florida

29 octobre 2017, 23:32

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Margaret Legentil, la «Madame Tourte» de Cité Florida

À Cité Florida, Baie-du-Tombeau, où cette Rodriguaise de 36 ans vit, on l’appelle «Madame Tourte». Désignation qui ne dérange point Margaret Legentil. Après tout, c’est grâce aux tourtes qu’elle écoule à Port-Louis et à sa périphérie, que ses deux enfants et elle peuvent vivre. Histoire d’une femme vaillante.

Les apparences sont trompeuses. À la regarder déambuler dans les rues de Baie-du-Tombeau, vêtue d’un joli denim noir et d’un body du même ton sur lequel elle a enfilé une fine chemise blanche, les rallonges grises tressées à ses cheveux naturels lui donnant un style certain, on n’imagine pas que Margaret Legentil se relève à peine d’une anémie severe. Ce qui l’a empêchée de confectionner autant de tourtes qu’elle en a l’habitude et qui a fait accumuler ses factures.

«Mo éna touzour lamann pou payé lor faktir. Mo pé pey li tigit tigit. Si mo pa ti malad, mo ti pou rési débat. Mo éna kouraz extra. Dimounn dir mo extra débrouyar é mo krwar zot éna rézon.» Cela fait 22 ans que Margaret Legentil vit à Maurice. Elle est originaire de Rodrigues, plus précisément de Montagne Le Sable.

Ils sont dix enfants. Son père est fonctionnaire et comme tous les Rodriguais, sa mère Vinolia plante des haricots, du maïs, de la betterave, des carottes, des pistaches et élève boeufs, moutons, cabris, poules et canards. Margaret est la septième enfant. Les Legentil ne roulent pas sur l’or mais ils mangent à leur faim et les parents se serrent la ceinture quand il le faut pour habiller les enfants.

Margaret est scolarisée à l’école primaire de Mangues. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas l’école mais elle a du mal à suivre certaines matières au programme d’études et n’a personne pour l’encadrer. «Sakenn ti éna so loki-pasion é mo pa ti éna personn pou fer enn swivi lékol ar mwa», dit- elle à regret. Par conséquent, elle doit refaire sa StandardVI et rate l’examen de fin d’études à deux reprises.

Elle aide ses parents dans le carreau et regarde avec attention sa mère Vinolia confectionner des tourtes à la confiture d’ananas, papaye et coco frais que les Rodriguais commandent et achètent. Lorsque tombent ses résultats de fin de cycle primaire, ses parents la grondent «parski zot inn estimé ki mo pa finn met mo lespri dan aprann. Mé li pa vré».

Une de ses soeurs étant couturière, Margaret prend le prêt-à-porter confectionné par celle-ci et fait du porte-à-porte pour le vendre. Ce qu’elle en perçoit n’est pas énorme mais c’est «zis séki bizin pou asté linz ek soulié kan bizin». Son père remarque qu’elle tourne en rond et comme elle a une soeur qui vit et travaille dans une usine de confection à Roche-Bois à Maurice, elle y est envoyée pour lui prêter main-forte. Elle n’a, à l’époque, que 14 ans. C’était il y a 22 ans.

Sa soeur et elle vivent et travaillent ensemble. Ayant un sens poussé de la famille, elles font régulièrement des colis qu’elles envoient à Rodrigues pour alléger le budget de leur père. La mort du propriétaire de l’usine de confection les oblige à trouver un autre emploi et à déménager de Batterie-Cassée pour aller à Pailles.

Margaret Legentil trouve de l’emploi comme aide et repasseuse chez une connaissance qui tient un atelier de couture. Comme ce sont des compatriotes, ils acceptent qu’elle regagne Rodrigues pour un an et la reprennent à son retour à Maurice. «Monn répran mo travay dan latélié. Mo ti seryé. Mo latet ti lor mo zépol. Sé zis dan lédikasion ki mo pa finn tro met latet.»

Margaret Legentil, qui est hébergée par son employeur et qui a sympathisé avec la fille de celui-ci, qui a son âge, fait les frais de la jalousie de l’épouse de ce dernier. Bien que n’ayant rien à se reprocher, elle préfère déménager pour avoir la paix d’esprit. À partir de là, elle va faire plusieurs boulots : employée de maison, helper dans une poissonnerie, employée dans la section d’emballage d’une usine puis dans le département de contrôle de qualité.

C’est à 28 ans que Margaret rencontre l’homme dont elle va tomber amoureuse et qu’elle va épouser. Elle accepte de faire ériger à ses frais une petite maison sur le terrain des parents de ce dernier à la périphérie de Port-Louis. Elle vit sur un petit nuage rose, d’autant plus qu’elle est enceinte juste après leur mariage. Elle donne naissance à un enfant aujourd’hui âgé de sept ans et à un autre âgé de quatre ans.

Pour s’occuper, elle se met à confectionner des tourtes comme elle a vu faire sa mère et qu’elle va placer auprès de petits commerces à Port-Louis et à sa périphérie. Son mari s’achète un scooter pour faciliter ses livraisons. À l’époque, elle réussit à écouler 200 petites tourtes par semaine. Ce qui lui permet de contribuer environ Rs 2 000 au budget familial hebdomadaire.

«Mo kool mwa mé bizin viv bien ar mwa parski mo viv bien ar dimounn. En tant qu’humain, enn dimounn bizin koné ler li pé fer so kamarad ditor.»

C’est avec tristesse qu’elle voit progressivement son conjoint changer d’attitude envers elle. Elle a beau tenter de lui faire voir son point de vue, mais rien n’y fait. Un fossé s’installe entre eux au point où la vie commune n’est plus possible. Elle le quitte il y a un an et demi et prend ses enfants avec elle. «Mo kool mwa mé bizin viv bien ar mwa parski mo viv bien ar dimounn. En tant qu’humain, enn dimounn bizin koné ler li pé fer so kamarad ditor. Sak soz éna so limit.»

«Mo viv par tourtes, mo pey lakaz par tourtes, mo manz par tourtes. Samem mo biznes, mo travay. Mo arivé viv ar sa.»

Elle trouve d’abord une maison à louer à Petit-Raffray mais le montant de location est chaud, soit Rs 6 000. De plus, elle n’est pas sécurisée. Étant désormais une femme seule avec deux enfants, elle préfère chercher une autre maison et en trouve une qu’elle loue pour la moitié du montant précité, à Cité Florida.

Et pour pouvoir joindre les deux bouts, elle se remet à ses fourneaux et prépare ses tourtes avec les mêmes ingrédients et les place dans les mêmes petits commerces. Sauf que pour éviter des frais de transport supplémentaires, elle a sucré les haltes à Cité-La-Cure et Bell-Village. «Mo viv par tourtes, mo pey lakaz par tourtes, mo manz par tourtes. Samem mo biznes, mo travay. Mo arivé viv ar sa.»

L’anémie sévère qu’elle a développée et qui l’a mise au tapis pendant quelques mois a contre-carré ses projets. «Pé gagn impé difikilté pou pey faktir é mo éna inpé lamann lor la. Kas ki mo ex-misié doné pou fri ek séréal zanfan pa sifi. Mé mo trasé.»

Une tuile n’arrivant jamais seule, son hachoir est en panne, de même que son gros four. Elle est obligée de râper ses fruits à la main et d’utiliser un plus petit four qui lui demande quatre à cinq fournées au lieu des habituelles deux.

«Mo met lamour dan tou séki mo fer. Zordi mo sagrin mo pa finn met latet pou aprann sirtou anglé ki mo bien kontan. Mo pou fer tou pou rési. Mo anvi mo dé zanfan arivé.»

Voulant développer une petite entreprise, elle a frappé la porte de la Small and Medium Enterprise Development Authority. Elle a reçu pour seule réponse qu’elle devait avoir un local convenable pour pouvoir démarrer son activité. «Kouma mo pou kapav fer sa ? Mo péna kapital, mo péna mwayen pou ranbours li déswit pou lé moman», soupire-t-elle.

«Mo met lamour dan tou séki mo fer. Zordi mo sagrin mo pa finn met latet pou aprann sirtou anglé ki mo bien kontan. Mo pou fer tou pou rési. Mo anvi mo dé zanfan arivé.»

Malgré tous ces obstacles, Margaret Legentil refuse de lâcher prise. «Mo met lamour dan tou séki mo fer. Zordi mo sagrin mo pa finn met latet pou aprann sirtou anglé ki mo bien kontan. Mo pou fer tou pou rési. Mo anvi mo dé zanfan arivé. Mo anvi zot fini zot lékol ek fer zot lavénir. Mem si zot papa la, mo anvi la pou zot osi. Mo pou kontinié lité, priyé ek partaz mo problem ar dimounn parski sé ler ou kozé ki dimounn ed ou. Mo pou kontinié al de lavan parski ler monn met enn zafer dan mo latet mo pou fer li.»