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Michel Bourgeois: «Les pilotes d'Air Mauritius ont des milliers de jours de congé à prendre»

18 octobre 2017, 20:30

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Michel Bourgeois: «Les pilotes d'Air Mauritius ont des milliers de jours de congé à prendre»

«Un compromis en deux volets», pour sortir de la crise qui prévaut à Air Mauritius. C’est la proposition des deux associations de pilotes au Chief Executive Officer de MK. Commandant de bord long-courrier depuis 17 ans, Michel Bourgeois s’exprime en leur nom.

Dans une lettre ouverte au Chairman d’Air Mauritius, vous avez utilisé trois fois le mot «mépris» pour qualifier l’attitude de la direction à l’égard du personnel navigant. Ces mépris ne valent-ils que des mépris ?

Non. Si j’ai accepté de répondre à vos questions, ce n’est pas pour mettre de l’huile sur le feu, mais pour tenter de dépassionner le débat et trouver des solutions.

«D’une part, réintégrer sans délai les deux pilotes licenciés. D’autre part, suspendre pour six mois les mesures qui sont à l’origine de cette crise.»

Quelle est votre légitimité ?

J’ai été mandaté par les deux associations de pilotes d’Air Mauritius, la Mauritian Air Line Pilots’ Association et l’Airline Employees’ Association. Ce que j’ai à vous dire a été validé par leurs présidents respectifs, les commandants Shehzaan Laulloo et Patrick Hofman.

Êtes-vous optimiste sur la demande de réintégration de Patrick Hofman ?

Je l’espère vivement. Il ne mérite pas ce qui lui arrive. Pour sortir de la crise, j’ai fait une suggestion aux deux associations, qui a été acceptée. Nous voulons donc proposer ici, au Chief Executive Officer, Somas Appavou, un compromis en deux volets.

D’une part, réintégrer sans délai les deux pilotes licenciés. D’autre part, suspendre pour six mois les mesures qui sont à l’origine de cette crise, à savoir les conditions des nouveaux contrats d’emploi et la modification du régime des billets réduits.

Suspendre ne veut pas dire annuler. Le but est de laisser du temps à la commission de médiation, afin qu’elle travaille en toute sérénité. Je tends aussi la main au Premier ministre, afin que le commandant Laulloo et moi-même puissions lui exprimer notre point de vue. Ce serait dommage que M. Pravind Jugnauth tire des conclusions hâtives sans écouter ce que les pilotes ont à lui dire.

Michel Bourgeois, commandant de bord à Air Mauritius.

Le porte-parole du gouvernement a révélé des chiffres mirobolants. Selon Étienne Sinatambou, la rémunération des pilotes va jusqu’à Rs 1,2 million par mois.

(Il tique) Jamais de la vie ! Je mets au défi quiconque de prouver ces montants. Si je me trompe, il faut vite que je sois augmenté ! (Rire)

Restons sérieux : ces chiffres sont totalement faux et pourrissent inutilement le débat. Ceux qui les colportent sont dans le mensonge et la désinformation. Si nous voulons avancer, essayons d’être factuel.

«Le niveau de rémunération des pilotes d’Air Mauritius est dans la moyenne de ce qui se pratique ailleurs.»

Soyez-le : dans quelle fourchette de salaires peut prétendre un pilote d’Air Mauritius ?

Un jeune copilote sur un ATR commence avec un peu moins de Rs 80 000 par mois. Les salaires les plus hauts, pour un commandant de bord long-courrier en fin de carrière, avoisinent les Rs 400 000. Autrement dit, les pilotes mieux payés touchent trois fois moins que ce qui a été dit.

Encore une fois, ne cédons pas à l’émotivité et à la désinformation. Dans le contexte mauricien, je peux comprendre que nos salaires puissent interpeller. Mais le niveau de rémunération des pilotes d’Air Mauritius est dans la moyenne de ce qui se pratique ailleurs.

Nous gagnons moins que dans une compagnie asiatique, par exemple. En Chine, un pilote touche le double. Donc, il est faux de dire que nous sommes surpayés. À partir de là, faire des économies sur les salaires est un calcul risqué. Certes, cela embellira les bilans comptables ; mais à moyen terme, la compagnie aggravera la pénurie de pilotes dont elle souffre déjà.

«En outre, à la difficulté de recruter vont s’ajouter les départs de copilotes mauriciens totalement démotivés.»

Argumentez…

Il y a un prix pour tout. Si Air Mauritius veut acheter un réacteur d’Airbus ou un moteur d’ATR en le payant 25 % moins cher, elle ne le trouvera pas. Ou alors, la qualité sera sacrifiée. C’est pareil pour les pilotes.

Il y a une réalité qui est le prix du marché. En outre, à la difficulté de recruter vont s’ajouter les départs de copilotes mauriciens totalement démotivés. Ils n’auront pas de mal à trouver leur bonheur ailleurs.

Michel Bourgeois, commandant de bord à Air Mauritius, parle au nom de la Mauritian Air Line Pilots’ Association et de l’Airline Employees’ Association.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Air Mauritius est connue pour la qualité de ses instructeurs, ses pilotes sont très demandés. Des compagnies nous déroulent déjà le tapis rouge pour nous débaucher.

Ça, c’est le fond du problème. Mais la manière laisse aussi à désirer. Je m’explique. Nos conditions d’emploi sont régies par un Memorandum of Understanding (MoU) qui doit être renégocié depuis deux ans. Malgré les nombreuses demandes des associations de pilotes, la direction a refusé de s’asseoir autour d’une table.

Le plus grave, c’est qu’en juin dernier, un EVP (NdlR, Executive Vice-President) a pris l’engagement de ne pas toucher aux contrats tant que le nouveau MoU ne sera pas renégocié. Cette promesse a été trahie.

Le management a modifié unilatéralement les contrats, sans annonce préalable ni concertation. Quand on veut modifier les conditions de travail de son personnel, la moindre des choses est de lui en parler, surtout quand on en a fait la promesse ! D’où la révolte des pilotes.

Dans une interview récente, Somas Appavou apporte un démenti et prétend privilégier «le dialogue constructif et durable».

Jusqu’à tout récemment, Air Mauritius a privilégié le silence, qui est l’expression la plus parfaite du mépris. (Il prend une longue inspiration)

Je vais vous dire une chose car il faut remettre les choses dans leur contexte. Le plus choquant dans tout ça, finalement, c’est le timing. La compagnie «casse» ses pilotes au moment même où ils se tuent à la tâche. Nous avons depuis deux ans un grave problème de sous-effectif. Les pilotes d’Air Mauritius ont des milliers de jours de congé à prendre, je dis bien des milliers.

«En raison du sous-effectif, la direction des opérations aériennes nous sollicite en permanence pour voler pendant nos jours de repos hebdomadaires. Cela génère une instabilité chronique de nos programmes de vols, de l’exaspération.»

Comment en est-on arrivé là ?

En raison du sous-effectif, la direction des opérations aériennes nous sollicite en permanence pour voler pendant nos jours de repos hebdomadaires. Cela génère une instabilité chronique de nos programmes de vols, de l’exaspération, de la fatigue. On accepte par conscience professionnelle. Il faut se retrousser les manches, OK, on est là. Pour récolter quoi au final ? Des «coups».

Dans une entreprise normalement gérée, le dévouement des pilotes pour soutenir «leur» compagnie aurait débouché sur des remerciements. Le management semble totalement déconnecté de la réalité.

Cette gestion est suicidaire et incompréhensible. On sous-estime l’importance d’avoir un personnel navigant motivé et fier de sa compagnie.

En quoi est-ce plus important pour un pilote que pour un mécanicien ?

Nous travaillons en contact direct avec les passagers, nous sommes un peu des ambassadeurs d’Air Mauritius et du pays. Imaginerait-on un pays qui «brise» ses ambassadeurs tout en leur demandant de les représenter le mieux possible ?

Ce n’est pas en agissant de la sorte avec les pilotes que les choses vont s’améliorer. Ni en proposant des salaires de misère aux recrues du personnel de cabine. Il serait utile d’y réfléchir. J’invite le board à le faire.

«En juin, un Executive Vice-President a pris l’engagement de ne pas toucher aux contrats tant que le nouveau Memorandum of Understanding ne sera pas renégocié. Cette promesse a été trahie.»

Le comité des «sages» n’est-il pas là pour cela ?

Ce n’est pas en nommant une commission dans la précipitation, sans accord préalable de ses membres, sans agenda ni ordre du jour, et sans calendrier, que l’on avancera.

Si le Premier ministre accepte de vous recevoir, quel sera votre message ?

Je lui demanderais de jouer son rôle d’arbitre afin que les pilotes de ligne de la compagnie nationale soient traités avec le respect et la dignité qu’ils méritent.

Vous rentrez de Chennai, les passagers vous posent-ils des questions ?

Oui, eux aussi veulent comprendre. Je reste dans mon rôle d’ambassadeur. Je veux pouvoir rester fier de «ma» compagnie.