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Yuvan Beejadhur: «C’est quoi le rêve mauricien ?»

15 octobre 2017, 18:07

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Yuvan Beejadhur: «C’est quoi le rêve mauricien ?»

Ils s’appellent Yuvan et Ivann, les Dupond et Dupont de l’expatriation. Installés de longue date aux États-Unis, ces deux trentenaires ont décidé de rentrer au pays pour transformer leur blog politique en parti. Itinéraire d’un rapatriement militant, de Washington à Quatre-Bornes.

Commençons par le commencement. Quand et comment êtes-vous arrivé aux États-Unis ?

En 2008, avec la crise financière. À l’époque, je travaillais à Genève pour les Nations unies, comme économiste. Il me manquait quelque chose, une énergie, un melting-pot. Sans trop y croire, j’ai postulé pour un job de conseiller en développement durable à la Banque mondiale. Quand j’ai su que j’étais retenu, j’ai tout de suite appelé ma femme : We’re heading to the Big Apple! J’y ai vécu cinq ans avant de déménager au siège, à Washington D. C. Aujourd’hui, je suis à nouveau dans les cartons. Après neuf ans, j’ai démissionné de la Banque. Je rentre chez moi, à Quatre-Bornes.

Une décision facile ?

Non, difficile, mais devenue évidente. J’ai passé dix-neuf ans à l’étranger. Des années intenses, riches en rencontres, en expériences. Il était temps d’en faire quelque chose pour mon pays. Le moment est propice, les Mauriciens aspirent au changement et je veux apporter ma pierre à l’édifice. Partir était important, revenir est vital.

Vous faisiez quoi à la Banque mondiale ?

Mon poste était axé sur l’économie bleue. Je dirigeais une équipe qui accompagnait des projets dans différents pays. J’ai aussi travaillé au département des initiatives stratégiques, rattaché au CEO de la Banque. Certains m’ont dit ‘think twice’, mais j’ai toujours su qu’un jour je quitterai ma vie américaine. Je suis parti de Quatre-Bornes à 18 ans, j’en ai le double aujourd’hui. Le déclic a été la naissance de mon fils : je veux qu’il vive à l’île Maurice, mais pas celle-là.

Laquelle ?

Je suis souvent rentré pour le travail ou des vacances. À chaque fois, je me suis fait la même réflexion : «Quel gâchis, what a huge waste!» Maurice peut faire tellement plus, tellement mieux. Le laxisme, le clanisme et le népotisme torpillent le progrès. Si ce n’est pas la famille, ce sont les copains, ou les copains des copains, et l’inacceptable devient banal. Je ne veux plus rester les bras croisés, critiquer derrière mon écran. Je veux être dans la bataille. J’ai 37 ans, une seule vie. Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais.

Faire quoi, concrètement ?

M’impliquer dans l’avenir de mon pays, le faire grandir. Maurice n’est pas condamné à végéter dans la médiocrité. On peut penser ce que l’on veut des Américains, mais ce peuple a encore la capacité de rêver ; c’est quoi le rêve mauricien ? Une forme de résignation contamine un peu tout le monde. Une autre île Maurice est possible : moderne, durable, numérique.

«Si ce n’est pas la famille, ce sont les copains, ou les copains des copains, et l’inacceptable devient banal.»

Jeudi 12 octobre, on apprenait donc la naissance du «Nouveau Front Politik».

Je ne suis pas seul dans cette aventure, un ami Mauricien vivant à Washington, qui rentre lui aussi, m’accompagne (NdlR, il s’agit d’Ivann Bibi, le fils d’un avocat). Tout a commencé par une page Facebook créée il y a trois ans, une sorte d’observatoire de la vie politique mauricienne. Rapidement, on s’est retrouvé avec des milliers de followers. Aujourd’hui, ils sont 65 000 à nous suivre. À un moment donné, il faut fédérer tout ça, d’où l’idée d’un retour à Maurice pour transformer ce blog en vraie formation politique.

Un énième parti, est-ce bien raisonnable ?

Il faut arrêter l’hypocrisie : on ne peut pas pleurnicher à longueur de temps sur l’absence de renouvellement de la classe politique et se plaindre d’un trop-plein de «petits» partis. Nous ne ferons pas comme les mouvements traditionnels, très hiérarchiques, où tout part d’en haut. On veut être une boîte à idées autour de thèmes comme l’emploi des jeunes, l’égalité homme-femme, la laïcité, le mauricianisme, l’accountability ou le numérique.

Ça sonne think tank intello-chic.

Surtout pas. Ni think tank, ni club de discussions, ni même une formation politique à vocation électorale… (on coupe)

Pourtant, vous comptez présenter un candidat à la partielle de décembre…

Pour apprendre et tester des idées. Notre ambition n’est pas de concurrencer les partis traditionnels dans la quête du pouvoir, mais de permettre la transformation de celui-ci. Et c’est capital ! Les sangsues qui affaiblissent le pays, ça n’est plus possible. Il y aura bientôt cinquante ans que nous avons accédé à l’Indépendance. Un demi-siècle, c’est long et deux familles ont trusté le sommet du pouvoir. Les Américains ont un mot pour ça, «cronies», que l’on peut traduire par roder bout. Plusieurs députés l’étaient déjà à ma naissance, c’est quand même incroyable.

Lancer un mouvement politique depuis l’étranger, ça laisse perplexe…

Vous trouvez ? L’important c’est de se mobiliser, trouver un espace. Derrière la crasse, l’île Maurice est en train de bouger. Les jeunes ne font plus confiance aux partis traditionnels pour gouverner. Ils veulent quelque chose de mieux, de différent. Les partis mainstream ne sont plus une alternance crédible. Prenez le MMM ou le PTr ; ce sont des partis momifiés. Ils représentent une ancienne façon de faire de la politique, précisément ce que les gens rejettent.

«Les sangsues qui affaiblissent le pays, ça n’est plus possible»

Quels sont vos réseaux, vos soutiens ?

Les amis, la famille, des gens du secteur privé.

Par exemple ?

Je ne donnerai évidemment pas de noms ici.

En fouillant un peu, on trouve des photos de vous en compagnie d’Obama, Clinton, Merkel ou Macron. Ce sont des potes ?

(Sec) Je les ai rencontrés dans le cadre de mon ancien travail. En fouillant mieux, vous auriez trouvé aussi des photos avec de parfaits inconnus.

Ça vous gêne d’évoquer votre carnet d’adresses ?

Non. Je ne m’en cache pas, j’ai toujours été attiré par les destins politiques. Peut- être que ça saute une génération : mon grand-père (NdlR, Aunauth Beejadhur) a été ministre de l’Éducation. Un travailliste, colistier de SSR à Rivière-du-Rempart. Chic type, paraît-il. Je ne l’ai pas connu, j’étais bébé quand il est mort.

Quand un Américain vous demande comment fonctionne Maurice, vous répondez quoi ?

‘We’ve got a big freaking problem, dude!’ (rire). Non, je dis la vérité : mon pays est bourré de talents, mais aussi de crapules. Il ne se passe pas une semaine sans une révélation poisseuse. La police est occupée ailleurs, chez les pilotes, les journalistes, cela renforce le sentiment d’impunité des puissants. C’est quand même un comble pour un régime qui a fait campagne sur le «nettoyage» ! Les gens en viennent à regretter le précédent régime, ça veut tout dire.

Pourquoi le lotus comme logo ?

Parce que cette fleur pousse dans les eaux boueuses.

Vous vous voyez nager dans quelles eaux dans 10 ans ?

Si je vous dis ministre des Finances, ça fait trop ambitieux ?