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Douanes: le profiling est-il discriminatoire ou politisé ?

8 septembre 2017, 20:29

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Douanes: le profiling est-il discriminatoire ou politisé ?

L’histoire est en apparence banale. C’est celle d’une famille mauricienne qui reçoit deux colis provenant de l’Europe. Ils contiennent des effets personnels d’une dame, pieusement décédée en Angleterre l’an dernier, qui sont destinés à sa sœur vivant dans les Plaines-Wilhems. Celle-ci a un casier judiciaire vierge. Les colis arrivent le 5 août dernier par le MSC Ivana.

Le transitaire appelle la récipiendaire pour que les colis lui soient livrés. Les proches de celle-ci commencent alors à rassembler les pièces justificatives. Mais entre-temps, la situation se complique. Le 23 août, une lettre de la Mauritius Revenue Authority, émanant du département Customs Anti-Narcotics Section (CANS), réclame qu’on bloque les deux conteneurs, et ordonne que ceux-ci soient ouverts en la présence des officiers antidrogue, du ou des récipiendaires et du Customs Clerk qui facilite le dédouanement. Cette décision de bloquer les conteneurs intervient 18 jours après l’arrivée des colis – ce qui, déjà, est un non-sens – car s’il y avait effectivement de la drogue, comme soupçonné par les officiers de la CANS, les deux conteneurs auraient quitté l’entrepôt sans tarder, bien avant l’émission de la lettre de la CANS…

Cet exercice de controlled delivery a été effectué hier dans un sombre entrepôt à Baie-du-Tombeau. L’auteur de ces lignes y était présent. L’ouverture des deux colis a été faite de manière peu professionnelle. Les effets personnels sont éparpillés et jetés sur des palettes tachées de suie, sans considération aucune, sous les protestations du Customs Clerk. «Pourquoi faites-vous cela, pourquoi ne pas utiliser les scanners dernier cri et les technologies ultra-modernes

À cela, les officiers de la CANS arguent que ces procédures de scanning sont trop longues et que c’est mieux de fouiller à la main, ainsi. Interrogé, l’un d’eux insiste : «C’est ainsi que nous faisons pour tous les colis. C’est notre travail.»

Or, tel n’est pas le cas. Dans une interview accordée à l’express en avril 2017, le directeur des douanes, Vivekanand Ramburun, avouait qu’il est «impossible de contrôler un trafic de 300 000 à 400 000 conteneurs par an». C’est pourquoi, expliquait-il, il a choisi de mettre sur pied la CANS, qui s’appuie sur des renseignements (ce qui ne se faisait pas avant 2016).

Ces renseignements s’appuient, entre autres, sur du profiling ou profilage, soit «une technique policière qui consiste à dresser le profil psychologique d’un criminel récidiviste inconnu», selon Le Petit Robert. Le mot et la méthode sont américains. Cette technique repose sur l’apparence et les mouvements du passager – lorsqu’il s’agit des aéroports (quand les passagers viennent récupérer leurs valises).

Par exemple, si le passager a l’air nerveux, reste trop longtemps aux toilettes, il devient alors suspect. Sauf que souvent, c’est fait par des agents sans aucune notion de psychologie – d’où les accusations de traitements discriminatoires ou de racisme, aux States et en Europe.

Mais qu’en est-il à Maurice, pour des colis qui arrivent par bateau ? «Nous sommes encore à des années-lumière de ce qui se passe dans les pays développés. C’est pourquoi, d’ailleurs, la drogue entre facilement à Maurice, et c’est ce qui explique la rivalité entre ADSU et douaniers», confie notre source.

Nous avons constaté que le profiling chez nous se fait surtout par les noms. Par exemple, si un nom ressemble à Peroomal, ses colis seront systématiquement fouilles. Aussi, d’autres forces occultes jouent également. Les adversaires du gouvernement sont, apprenons-nous, livrés à un système différent – le scanning n’est pas utilisé, tout est fait à la main. Ce qui comporte d’autres risques (par exemple de tampering, comme nous avons été témoins hier…

Si à la douane, ils sont nombreux à saluer des mesures pour combattre le trafic de drogue, par exemple l’installation de scanners sophistiqués, la création de la K9 Unit et le recrutement d’officiers de douane et de renseignements, beaucoup insistent que ces mesures ne sont guère suffisantes. Il existe entre l’arrivée des colis et le réveil des officiers antidrogue un trop long laps de temps.

Le directeur des douanes est conscient que la clé pour lutter contre le trafic de drogue est l’intelligence : «Pour avoir des informations du public, des marchands et des courtiers maritimes, il doit y avoir une confiance.» Ce que nous avons vu hier et les agissements des officiers de la CANS n’inspirent guère confiance.

Il n’y a eu aucun travail d’intelligence mais une tentative de nuire. De tels actes nous rappellent surtout la «mafia institutionnalisée» que dénonçait Bert Cunningham, avec une sacrée arrogance de surcroît…