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Viken Vadeevaloo: «La culture du dialogue et de partenariat n’existe pas dans les ministères»

24 août 2017, 10:31

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Viken Vadeevaloo: «La culture du dialogue et de partenariat n’existe pas dans les ministères»

Fort de son expérience de plus de 15 ans dans le travail social, le directeur du réseau d’éducation non formelle, ANFEN, dit sa déception du manque de concertation entre les autorités et les organisations non-gouvernementales (ONG). 

Quelle est l’origine d’ANFEN? 
ANFEN est le sigle de l’Adolescent Non Formal Education Network. Le réseau à été lancé en l'an 2000 au départ du Fonds des nations unies pour l'enfance (UNICEF) de Maurice. Il s’agissait de regrouper les initiatives d'éducation non-formelle afin de constituer un ensemble pour traiter la question de l'échec scolaire en adoptant une approche nationale.

Et quelle est la mission précise de ce réseau ?  
ANFEN regroupe des centres engagés dans l'éducation non formelle. Sa mission est d'offrir aux jeunes, hors du circuit scolaire traditionnel, des services  tels que des formations pédagogiques, un accompagnement psychosocial et des activités sportives. ANFEN s’adapte aux besoins des jeunes bénéficiaires. Dix-sept de nos 18 centres affiliés se trouvent à différents points de Maurice et le 18e est implanté à Rodrigues. 

Quel est le bilan des activités du réseau depuis sa création ? 
Le bilan est positif. Environ 5 000 jeunes bénéficient d’un soutien. L'année dernière, nous avons effectué une étude d'impact et des besoins. En ce moment, nous travaillons à la définition d'un plan d'action afin d'inclure dans nos programmes les besoins exprimés par nos jeunes. Ils souhaitent développer leurs talents avant de rejoindre le monde du travail. Nous élaborerons un programme d'employabilité et d'encouragement à l’entrepreneuriat afin de donner à ces jeunes des moyens leur permettant d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.  

En quoi le travail d’ANFEN est-il différent des services offerts par les écoles publiques et privées ? 
Nous adoptons une pédagogie inclusive avec seulement une douzaine d'étudiants par classe. Bien que nos éducateurs ne soient pas aussi qualifiés que ceux du secteur public, ils ont bénéficié d’une formation à l’interne. Ce qui les aide à faire progresser nos apprenants. D'ailleurs, dans le rapport de l‘étude d'impact, les jeunes affirment que l'approche de nos éducateurs les ont marqués. Ils font la différence avec leur expérience dans le cursus académique. Notre force, c'est notre volonté de nous adapter continuellement à la réalité de nos bénéficiaires. L'autre différence est le peu de moyens dont nous disposons pour mener à bien notre mission.

Quelle est votre opinion de la réforme du système scolaire mauricien ? 
Il était tant de revoir le système scolaire mauricien. Cette réforme est, sans doute, basée sur un constat  que le système existant est trop élitiste, occultant le développement de l'enfant et manquant de considération pour les groupes vulnérables. C’est ce constat qui a conduit à la création d’ANFEN. Notre action vise à aider les étudiants en difficulté sur le plan académique et psychosocial. Nous serons heureux de pouvoir collaborer avec le ministère de l'Éducation pour mieux nous adapter à son programme. 

Vous semblez dire que les autorités n’avaient pas fait ce constat … 
Les décideurs n'ont pas suffisamment consulté les partenaires du secteur éducatif non formel. À Maurice, la culture du dialogue et de partenariat n’existe pas dans les ministères. La réforme aurait été initiée depuis longtemps, si tous les partenaires de l’éducation avaient été consultés. 

Donc, maintenant que la Nine-Year Schooling est mise en œuvre, ces problèmes seront résolus…
Nous avons des appréhensions quant à l'approche qui sera adoptée pour travailler avec les jeunes en situation de détresse émotionnelle. Il n'y a pas assez de psychologues dans nos écoles. C'est scandaleux de voir la fréquence des visites thérapeutiques. Il faut un psychologue à temps plein par école. 

Quelles sont les autres propositions d’ANFEN ? 
On devrait faire un effort pour adapter le programme afin d’aider les moins chanceux. Tous les enseignants doivent être formés pour accompagner les enfants dans leur développement personnel. Il faudrait surtout que leur emploi du temps leur permette de le faire.

ANFEN est une ONG. Comment cela se passe-t-il pour votre financement ?  
Ce n'est pas évident en ce moment. Les ONG ont dû attendre longtemps avant que la situation ne soit débloquée. Entre-temps, les bénéficiaires ont été pénalisés. Plusieurs de nos centres sont dans le rouge. Nous avons fait cinq demandes de financement et une seule a été agréée. Auparavant, nous pouvions démarcher d'autres bailleurs, tout en bénéficiant du fond de Corporate Social Responsibility (CSR). Aujourd'hui, nous sommes bloqués par un système administratif. Je suis inquiet parce que, si demain, 75 % de fonds sont gérés par le comité national de CSR et que les compagnies privées financent plusieurs petites initiatives communautaires, il n’y aura pas de fonds pour des services en cours. 

Comment les ONG vont-ils s’en sortir dans ces circonstances ? 
Chaque ONG devrait proposer et défendre des projets, mais aussi demander que ses frais de fonctionnement soient considérés. Il faut aussi garantir les financements sur une période d’au moins deux ans. Les projets doivent faire l’objet d’une «due dilligence» de la part des bailleurs. L'État a de bons projets mais devrait-on en discuter pour s’assurer que les initiatives soient durables. 

Plusieurs cas d’inconduite de la part d’adolescents ont été rapportés récemment. Vos commentaires.
La génération d'aujourd'hui à besoin d'aide et d'encadrement. L'école devrait mettre l'accent sur le développement de l'enfant avant de penser au programme d’études. Un enfant bien dans sa peau, même s’il est pauvre, peut réussir sa vie et dans la vie. Les maux peuvent être traités. C’est pourquoi le psychosocial est important. L'humain fonctionne avec de l'amour et une perspective d’épanouissement. C'est à ce prix que les jeunes parviendront à résister aux fléaux et à adopter des conduites correctes. 

La prolifération de la drogue ne vous inquiète pas ? 
Il y a trop de problèmes liés à la drogue. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à succomber à la tentation. Certes, nous ne pouvons pas jeter la pierre si facilement à la famille, à l'école où à l'État. Toutefois, ce n'est pas une raison pour ne pas avoir un plan national d’encadrement des jeunes. 

Selon vous, l’action des autorités auprès des jeunes laisse à désirer? 
Les centres de jeunesse sont connus pour être des endroits où l’on joue aux dominos et au carrom. Il faudrait que le développement communautaire soit mené conjointement avec les activités d’un centre de jeunesse et que davantage de moyens financiers soient mis à la disposition de ces centres. 

Quels sont les axes de travail prioritaires pour répondre aux attentes de la jeunesse ?
Perspectives d'emploi et formation à l’entrepreneuriat. Un jeune a besoin d'être accompagné dans la réalisation de ses rêves. Chez ANFEN, nous sommes sensibles à l’attente des jeunes. Nous sommes heureux de pouvoir nous remettre en question à la lumière de ce que nos jeunes disent.

Bio express

<p>Détenteur d&rsquo;une licence en sciences politiques, Viken Vadeevaloo, 33 ans, est le Manager d&#39;ANFEN depuis 2014. Il est impliqué dans le travail social depuis 15 ans. Viken a commencé son engagement comme enseignant volontaire dans le cadre du programme <em>&laquo;L&rsquo;école complémentaire&raquo; </em>dans sa localité, &nbsp;Barkly, région périphérique de Beau-Bassin. Il a également fait une incursion dans le dialogue interreligieux avec le Conseil des religions avant de s&rsquo;occuper du programme de développement communautaire de Caritas île Maurice de 2010 à 2014.&nbsp;<br />
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