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Pem: sa revanche sur la vie

12 avril 2017, 22:16

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Pem: sa revanche sur la vie

La plupart des mauriciens ont dû le croiser au moins une fois dans leur vie, au caudan. Mais qui se cache derrière ce sculpteur ? Pem a bien voulu se dévoiler.

«Mo pa abitié rakont mo lavi… Dégazé ou ékrir avan mo répran tou séki mo’nn dir !» Le ton est moqueur, le bonhomme a le sourire aux lèvres. Lui, c’est Pem, 69 ans. Du moins, c’est sous ce nom que ceux qui le croisent au Caudan, où il expose ses sculptures, le connaissent.

Dites, Monsieur, Pem c’est votre vrai nom ? Il accepte de nous le dire et l’épelle même, histoire d’éviter toute écorchure : P comme Philippe, E comme Edwin et M comme Marie.

Un artiste, un sculpteur, un rigolo, un homme plein de vie et d’histoires. Pem, né le 29 mars 1948, est tout cela. Et bien plus. En regardant ses œuvres de plus près, une citation inscrite sur un morceau de bois nous interpelle. «La hache oublie mais l’arbre n’oublie jamais.» Pourquoi ces mots ? «Mo ti éna dézan kan enn dimounn ti al kit mwa dan couvent Belle-Rose.» Aujourd’hui âgé de 69 ans, il ne connaît toujours pas l’identité de cette personne. «Maser ti rakont mwa ki zot ti ramas mwa lor péron couvent», confie-t-il. Le petit Pem, l’enfant le plus sage du couvent, y passera de nombreuses années. Il y est toujours lorsque le cyclone Carol met le pays à genoux. «Le toit du couvent s’était envolé. Mwa ek bann lézot zanfan nou ti ress lamem ek nou ti gagn somey asizé.»

Et puis un jour…

La vie de Pem bascule lorsqu’il est recueilli par un couple. Celui-ci s’était présenté au couvent, désirant adopter un enfant car il n’en avait pas. Du moins, c’est ce qu’il avait raconté aux religieuses. Pem se met à rêver d’un avenir meilleur. Il déchantera vite.

En découvrant sa nouvelle demeure, à la rue Ambrose, Rose-Hill, il constate que le couple a, en réalité, six enfants. Et que lui y a été emmené pour être l’«enfant à tout faire» de la maison.

«Létan mo’nn ariv kot zot, mo ti éna 6 piés pou nétoyé. Mo ti bizin al kit zanfan lékol, netoy zardin, aprann kwi manzé ek fer lakwizin pou 8 dimounn.» Pem n’est pas payé pour ce travail.

Et bien qu’il fasse la cuisine pour «sa» famille, il n’a pas le droit de manger à table avec eux. «Ti éna enn diri ti apel ‘siamboy’. Bann patron-la ti manz sa, mé mwa mo ti manz diri ration parski mo pa ti gagn drwa manz mem zafer ki zot.»

Un jour, en voyant des restes dans une assiette, il décide d’y goûter. «Misié-la inn trouv mwa.» Furieux, le «patron» s’empare de la gamelle du chien dans laquelle il y avait un peu de nourriture. «Il m’a dit que je devais manger cela parce que j’avais osé manger dans leurs assiettes.»

Mais Pem ne se laisse pas faire et réplique : «Misié, ou pé maltret mwa, ou pé ménas mwa mé ou pa bat mwa. Si ou manz sa manzé lisien-la mwa osi mo pou manzé.» Ce jour-là, le jeune garçon prendra son courage à deux mains et s’enfuira. «Je suis resté deux ans chez eux, sans un bonjour, ni un bonsoir, ni un merci…»

Pem a depuis appris qu’ils se sont établis en Australie. Il souhaiterait les revoir. «Pa pou réprosé, mé pou gété ki zot réaksion fas a sa dimounn ki mo’nn vini la.»

Découverte de port-louis

Il se débrouille en cumulant des petits boulots de jardinier et autres. «Mo ti pé gagn enn goblet dité ek 5 à 10 sou pou ban ti travay mo ti pé fer.» Avec son salaire, il s’achète un pain, 30 sous de beurre et un gobelet de thé pur.

À 14 ans, il découvre Port-Louis. «Je ne suis jamais allé à l’école. Je ne savais même pas qu’il y avait neuf districts à Maurice. Fodé mo’nn vinn Porlwi premié fwa pou mo konn sa.» Ce jour-là, il voit des «carrousel» pour la première fois.

Il est fasciné par le Champ-de-Mars et les journées de courses hippiques. «Ti éna marsan baja, marsan gato pima… Enn gro dipin frir ti 5 sou et ou ti bizin trap ar dé lamé pou manzé. Mé aster, si ou trap enn gato pima li kapav sap dan lamin tonbé telma li tipti.»

Ce qui l’a le plus marqué lors de ses nombreuses journées au Champs-de-Mars sont les «matinées». «Dan dimans ti éna trwa spektak : enn ti 9-er pou bann zanfan, lot ti 13-er, ek 20-er pou gran dimounn. Trwa fim ek ou ti pay zis 50 sou.»

À 18 ans, Pem rencontre sa mère biologique pour la première fois. C’est un dénommé Harold Johnson qui l’aidera à la retrouver. À l’époque, ce dernier avait la responsabilité des enfants du couvent. Pem se rend dans une rue à Sainte-Croix. «Monn atan anba enn pié tamarin dépi 9-er ziska 17-er parski misié-la ti dir mwa ki mo mama ress la ek kan mo trouv li sorti mo al koz ar li.»

Sauf que… huit femmes sortent de la maison. Il ne sait pas laquelle est sa mère et n’ose pas s’approcher. Il finira toutefois par lui parler grâce à Harold Johnson. «Je n’ai jamais demandé à ma mère pourquoi elle m’avait abandonné», lance-t-il les larmes aux yeux.

Pem s’installe chez sa mère. Les semaines passent et il trouve du travail à la municipalité de Port-Louis comme arpenteur. Un jour, en rentrant, sa mère lui demande Re 1. Il répond qu’il n’a pas cette somme. Pensant qu’il ne voulait pas lui donner d’argent, elle se rend à la municipalité et dira aux responsables que son fils a volé des outils appartenant aux Anglais. En fait, précise Pem, il n’avait fait que les emmener chez lui.

Il se fait rétrograder et devient laboureur. Métier qu’il exercera jusqu’à sa retraite. «Sa lépok-la mo pa ti koné si kan ou pran enn kitsoz ki pa pou ou, ou kav fermé. Mo pa ti konn lir, mo pa ti instruit.»

Ainsi, trahi par sa mère, il quitte le domicile de cette dernière. Il n’aura passé qu’environ huit mois à ses côtés. «Si ou diman mwa kot mo mama été zordi mo pa koné.»

La sculpture

Pem travaille comme laboureur durant la journée. Et le soir, à l’hôtel. Un jour, il prend une racine d’eucalyptus et la sculpte. Un homme lui fait alors une proposition d’achat pour son œuvre. «Rs 25 li ti propoz mwa. Le Monsieur m’avait dit que j’avais fait une sculpture de Nelson Mandela. Mais moi je ne savais pas qui c’était. Je n’avais jamais vu une photo de lui.» C’est à partir de ce moment qu’il décide de travailler le bois jusqu’à devenir l’artiste que l’on connaît.

Une question nous trotte dans la tête : Pem n’éprouve-t-il pas de la rancune envers sa mère ou ce couple qui le traitait en domestique ? «Mo péna enn karacter western mwa. Mo pa gard dan léker!»

Aujourd’hui retraité et ayant une famille, de l’amour et la joie de vivre, «mo kass mo poz ek skilté lespri pozé».

Il «kidnappe» sa bien-aimée

<p><em>&laquo;C&rsquo;est à la rue Moka, où elle habitait, que j&rsquo;ai vu pour la première fois celle qui deviendra mon épouse et la mère de mes deux enfants.&raquo;</em> Pem y passe plusieurs fois, et au fil des bonjours et des conversations qui se font de plus en plus longues, l&rsquo;amour s&rsquo;installe. Il décide alors d&rsquo;envoyer un <em>&laquo;panié démann&raquo;</em>, coutume de l&rsquo;époque pour obtenir la main de sa bien-aimée.</p>

<p>Il ne recevra aucune réponse. Et deux semaines après, Pem se rend chez les parents de la jeune femme. Devant la situation, il décide alors de la <em>&laquo;kidnapper&raquo;</em>, sans avoir obtenu le consentement de la famille.</p>


Une publication de Bonzour!