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Drogue: quand des membres du barreau font la loi derrière les barreaux

29 janvier 2017, 22:00

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Drogue: quand des membres du barreau font la loi derrière les barreaux

Des avocats demandent à voir deux ou trois détenus en une journée pour finir par en rencontrer une dizaine, voire une vingtaine, le même jour. Il y a quelques semaines, c’était une réalité dans les prisons mauriciennes. Mais, depuis que la Commission d’enquête présidée par l’exjuge Paul Lam Shang Leen a ciblé une liste d’avocats ayant rendu des visites répétées à des détenus, les hommes de loi se font de plus en plus rares dans les prisons. Nous avons tenté de comprendre comment certains membres du barreau ont pu faire la loi dans ce milieu qui n’est pas le leur.

Abus du système par des avocats ou manque de contrôle de la part de l’administration de la prison ? Nous avons posé la question à des sources proches du milieu carcéral. Toutes affirment qu’il fut un temps, pas trop lointain, où les membres du barreau entraient dans les prisons avec une facilité déconcertante.

Mais avant de parler de ce qui se faisait dans la pratique, il faut connaître les procédures établies mais pas toujours respectées. «Il faut savoir que l’administration pénitentiaire dispose d’une liste d’avocats qui peuvent demander à parler à des prisonniers et puis il y a des contrôles que le personnel des prisons doit effectuer sur les visiteurs», explique une des sources interrogées.

En effet, les avocats se rendant à la prison doivent se soumettre à un premier contrôle à l’entrée. Ils donnent leurs noms, montrent leurs pièces d’identité mais doivent également nommer les prisonniers qu’ils vont visiter. «Généralement, les avocats donnent deux noms de détenus mais une fois à l’intérieur, ils rendent visite à un plus grand nombre», ajoute une autre source, habituée à ces pratiques. N’y a-t-il donc aucun contrôle à l’intérieur ? Selon notre interlocuteur, il se pourrait que le personnel des prisons se laisse «intimider» par les hommes de loi.

«Les avocats ont une certaine influence et dans le passé, il est arrivé que le personnel n’ose pas questionner des hommes de loi», avance notre interlocuteur.

Selon nos informations, les pratiques réglementaires veulent que ce soient les prisonniers qui sollicitent des avocats. Les détenus doivent faire une requête officielle auprès du Welfare Officer de la prison et demander que l’avocat fasse le déplacement jusqu’à la prison pour leur rendre visite. «Mais depuis des années, ce sont les avocats qui viennent voir ceux qu’ils présentent comme leurs clients et certains ont déjà passé toute une journée à rendre visite à des prisonniers», précise une source.

Comment vérifier que les détenus sont bien les clients des hommes de loi qui les sollicitent ? Les préposés contactés affirment qu’il n’y avait pas de vérification jusqu’à tout récemment. Depuis, le mot d’ordre est passé pour qu’il y ait un contrôle plus rigoureux.

En effet, le personnel surveillant des prisons peut suivre la visite entre l’avocat et le détenu. En revanche, il ne peut écouter ce qui se dit entre ces deux personnes. Par contre, l’écoute est autorisée quand il s’agit d’une visite entre un détenu et un de ses proches.

«Certains nous ont dit que le business marche mieux lorsqu’ils sont derrière les barreaux. Ils disent que tout se fait là-bas.»

Selon des informations obtenues des milieux proches de la Commission d’enquête sur la drogue, certains avocats seraient soupçonnés d’avoir agi comme «intermédiaires» entre plusieurs trafiquants en rendant visite à ces derniers dans le courant de la même journée ou à quelques jours d’intervalle. Ce qui expliquerait comment les barons de la drogue parviennent à «gérer» leur business derrière les barreaux.

«Certains nous ont dit que le business marche mieux lorsqu’ils sont derrière les barreaux. Ils disent que tout se fait là-bas», soutient une autre source. D’où l’intérêt que portent des membres de la Commission Lam Shang Leen à certains avocats.

D’autres sources se demandent qui sont ceux qui serviront d’intermédiaires une fois que ce maillon représenté par des avocats sera enlevé. «Tous ceux qui sont en contact avec les prisonniers sont susceptibles d’agir comme intermédiaires», poursuit un préposé qui connaît bien l’univers carcéral.

Qui sont ceux qui sont en contact avec les détenus ? «Il y a les gardiens de prison, ceux qui travaillent dans les cantines, ceux qui visitent les prisonniers, à savoir des proches, des religieux, des membres d’Organisations non gouvernementale (ONG). Si l’on veut contrôler le monde carcéral, il faudra avoir l’œil sur tout ce beau monde», estime notre interlocuteur.

Nous avons également contacté un ancien cadre du service pénitentiaire. Il nous parle du rôle que jouent les services de renseignements de la prison. «Une formation avait été assurée par les services de renseignements de la police. Quelques membres du personnel des prisons avaient appris ces techniques et aidaient la police à avoir des renseignements», explique un officier qui a travaillé pendant des années au sein de l’administration des prisons.

Notre source avance que c’est surtout dans les affaires de drogue ou pour les crimes que l’aide de ces membres s’avérait précieuse. Cependant, il fait remarquer que cette pratique ne faisait pas l’unanimité. «L’idée ne plaisait pas à tout le monde, surtout pas aux gardiens de prison mafieux et ceux mêlés à des trafics», dit-il.