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Roshi Bhadain : «J’ai sous-estimé la force de frappe des mafieux»

27 août 2016, 22:00

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Roshi Bhadain : «J’ai sous-estimé la force de frappe des mafieux»

 

Dans cette interview à bâtons rompus qui s’est terminée au milieu de la nuit, à son bureau, le ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance tourne la page Heritage City. On s’attendait à rencontrer un bagarreur, mais Roshi Bhadain reste philosophe.

Cette interview a lieu dans la nuit du jeudi 25 août à votre bureau. Vous êtes toujours en poste. Comment avez-vous fait pour ne pas démissionner ?

J’ai été élu par le peuple pour travailler dans l’intérêt de tous les citoyens mauriciens, surtout des jeunes. C’est ce que j’ai fait pendant 20 mois au sein du gouvernement. Nous sommes en train de créer un nouveau système axé sur plus de transparence et les normes de bonne gouvernance. Nos résultats parlent d’eux-mêmes. D’ailleurs j’ai publié, sur Facebook, la liste des  30 réalisations majeures réussies en  18 mois par mon ministère qui n’existait pas auparavant.

Entre autres, notre Constitution a été amendée pour inclure le concept de unexplained wealth, la Good Governance and Integrity Reporting Act a été votée, l’Integrity Reporting Agency est opérationnelle. L’ancien président de la Cour suprême d’Angleterre, Lord Phillips, a été nommé  Chairperson de l’Integrity Reporting Board ; on lutte contre un système mafieux.

Les corrompus ne pourront plus jouir de leur butin qui sera désormais qualifié de «unexplained». Nos jeunes pourront prospérer sur un level playing field et avoir un meilleur avenir dans une société plus équitable. Cette bataille, on l’a gagnée, malgré les gesticulations de certains.

La question ne porte pas sur votre bilan. Je vous demande comment vous êtes toujours là ?

C’est justement cela la réponse. Laissez-moi continuer. Après 10 ans de négociations, on a trouvé la solution pour la problématique qui existait entre l’Inde et Maurice en ce qui concerne le traité de non double imposition fiscal. On a sauvegardé nos acquis et obtenu une période de transition pour proposer une nouvelle vision dans l’intérêt of the many and not the few.

Le développement se fera maintenant avec des investment banks, des asset managers et fund managers, des Overseas Family Corporations, des high net worth individuals, des compagnies de captive insurance, le marché des commodités et surtout, des global law firms, pour générer une expertise dans le domaine des services financiers et donner à Maurice la sophistication prévalant à Singapour et dans d’autres centres  financiers internationaux.

Nous avons créé le Mauritius International Financial Centre pour donner une nouvelle dimension à ce secteur ; la réactivation de la Financial Services Promotion Agency qui a atteint sa vitesse de croisière pour promouvoir Maurice comme un centre financier international de renom, axé sur la transparence, la substance et en conformité avec nos obligations internationales, que ce soit auprès de l’Union européenne, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et aussi de l’Angleterre qui nous présente maintenant des opportunités avec le Brexit. 

Le Financial Services Institute est aussi opérationnel pour identifier les gradués chômeurs qui peuvent travailler avec une formation poussée et spécialisée dans des secteurs : assurance,  banque, loi, global business, gestion, finance et comptabilité. En plus, des emplois administratifs seront créés. Le secteur des services financiers a nettement amélioré sa contribution au produit intérieur brut. Quand on a une telle vision pour son pays et le courage de lutter pour des résultats positifs, on ne démissionne pas.

On ne démissionne pas même si on fait une déposition pénale contre Gérard Sanspeur qui est le conseiller de votre leader Pravind Jugnauth, Chairman du Board of Investment, Chairman de la State Land Development Co. Ltd, entre autres ?

Bien sûr que non ! Quand je sens que mes droits sont lésés, que ce soit comme ministre de la République, comme avocat, expert-comptable ou même comme simple citoyen, j’agis selon la loi. Et en toute transparence. Une enquête policière a pour but d’établir la vérité, de situer les responsabilités et d’assurer que justice soit faite. On est dans une démocratie qui prône la bonne gouvernance et c’est très sain.

Mais l’homme que vous visez jouit de la bénédiction de votre leader. Pravind Jugnauth l’a lui-même dit, le dimanche  7 août. Votre soif de justice a un coût politique.

C’est vous qui le dites. J’étais son avocat et il est aujourd’hui mon leader. Bénédiction ou malédiction à qui que ce soit, moi je fais mon travail pour le pays, les jeunes, le gouvernement, et aussi pour l’intérêt de Pravind, qui est le Prime minister in waiting de notre pays. Certaines personnes veulent à tout prix créer une division. Par exemple, cette réunion fictive à La Caverne, démentie par Pravind lui-même, qui a bien fait comprendre qu’il n’y a pas de froid ou de relations tendues entre nous.

J’aurais beau vous réaffirmer que notre relation dépasse le cadre politique, mais il y a ceux qui croient qu’en politique, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. C’est leur opinion. En ce qui me concerne, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Vous estimez pouvoir mieux juger que Pravind Jugnauth de ce qui est dans son intérêt ou pas et de qui il devrait s’entourer ?

Je suis là pour faire de mon mieux pour lui et pour le gouvernement de sir Anerood Jugnauth (SAJ). Pour moi, décembre 2014 représente un paradigm shift. Le peuple a sanctionné l’ancien régime, voire exprimé son dégoût pour un système pourri, et a voulu créer un nouveau dynamisme pour une nouvelle île Maurice, plus juste, plus équitable, plus moderne où il fait bon vivre et où les jeunes ont des opportunités qui ne sont plus basées «on who you know, but what you know». Nous n’avons pas droit à l’erreur, sinon le peuple sera déçu. Cette occasion de changer le pays ne se présentera pas aussi facilement si la confiance du peuple est ébranlée.

Est-ce que cette situation conflictuelle ne pose pas un problème technique à votre volonté de changer le monde...

Le monde change tous les jours. On doit s’adapter. C’est la volonté de rester comme on est qui présente un risque énorme. «We are the change that we want to see in the world.» On va célébrer, en mars 2018, le 50e anniversaire de notre Indépendance. Il faut bien penser dès maintenant «where we will choose to be in the next 50 years».

Je l’ai dit auparavant et je le répète : «Mauritius must lead and not merely follow others.» C’est ce qu’on a fait avec cette loi sur les unexplained wealth. Aux Nations unies, on a fait passer une résolution ; Maurice est maintenant la plateforme anticorruption pour tous les petits États insulaires (SIDS). Le Commonwealth Secretariat nous a reconnu comme leader en matière de bonne gouvernance en Afrique. C’est ce qui ressort de notre conversation avec la Mo Ibrahim Foundation.

Votre beau discours ne répond pas à ma question. Pravind Jugnauth peut-il toujours retenir et vous et Gérard Sanspeur ?

Je suis un élu du peuple !  (sourire en coin)

Ce même peuple qui, au vu de la majorité des commentaires, est contre le projet Heritage City.

Le projet Heritage City était la vision de SAJ. Il voulait, il me l’a expliqué, d’un projet qui nous propulserait dans une autre ère de développement pour le bien de tous les Mauriciens. Dans l’histoire de notre pays, tous les projets révolutionnaires ont buté sur des critiques acerbes. Quand SAJ avait proposé l’idée d’Ebène Cybercity, certains ont parlé d’éléphant blanc. Idem quand il avait lancé notre secteur offshore. Quand SSR a rêvé de l’autoroute principale, certains disaient que c’était pour faciliter ses déplacements à l’aéroport. Que n’a-t-on pas entendu sur l’idée de créer une première université à Maurice ?

Mais tous ces projets  que vous citez ont abouti, pas Heritage City. Qu’est-ce qui  a cloché ?

Je ne m’étonne plus que même sous Ramgoolam, les projets Tianli devenu Jinfei, Neotown, et autre Highlands de Sithanen n’ont jamais pu voir le jour.

Dans le cas d’Heritage City, je concède qu’il y a eu un manque de communication pour expliquer l’intégration sociale que représentait ce projet. «It was about people, not buildings.» En travaillant jour et nuit pour mener à bon port ce projet de SAJ, j’ai peut-être sous-estimé la force de frappe des mafieux dont je ne connaissais même pas l’existence, qui avaient des desseins très sombres, des agendas cachés, des intérêts à protéger, et dont la finalité était d’empêcher l’aboutissement du projet.

Les mafieux ? Vous exagérez !

En faisant croire que Port-Louis allait devenir une ville morte, qu’une certaine partie de la population n’apprécierait pas que Stree, une firme dubaïote, en soit le designer, ou même que l’Inde ne devrait pas financer ce projet, et que le financement allait endetter la génération future… Avec d’autres arguments bidon, les mafieux ont voulu faire peur ! Quel argument insensé que celui que Bagatelle Dam allait un jour céder ! Je suis étonné du silence de ceux qui sont responsables de ce dam, qui coûte plus de Rs 6 milliards.

Des rapports non signés, non datés, non commandés ont été fabriqués avec des chiffres aussi mirobolants que grotesques pour encore une fois créer une mauvaise perception sur Heritage City. Cette perception a été machiavéliquement disséminée à travers les salles de rédaction, qui n’ont pas procédé aux vérifications et ont fait fi des procédures d’usage comme stipulé par l’IBA Act. À côté du site, un autre projet qui serait, par quelque enchantement, épargné d’un éclatement du Bagatelle Dam, est maintenant considéré par le BOI. Quelle ironie ! Je vous pose la question suivante : à qui profite cette situation aujourd’hui ? À qui profite ce manque de patriotisme et cette régression sociale ?

Je vous renvoie la question. Vous venez de citer une mafia. Qui est-elle ?

Les Mauriciens intelligents comprendront vite fait. Les contribuables paient annuellement plus d’un milliard de roupies en loyer. Ce système n’aurait plus duré avec Heritage City. Mais ce n’est pas ça le plus important.

 Le jeune qui veut devenir propriétaire, acheter un appartement et fonder une famille, doit nécessairement toucher un salaire mensuel de plus de Rs 50 000 pour un bien décent. C’est prohibitif ! Heritage City allait rééquilibrer cette anomalie. Même un jeune qui touche entre  Rs 25 000 et Rs 30 000 aurait pu s’acheter un appartement chic et moderne, puisque le développement allait se faire sur les terres appartenant à l’Etat. Ce même jeune, et tous les autres Mauriciens, aurait bénéficié du divertissement social avec le Heritage Square, les cafés, le côté culturel, le Bollywood Park, les fontaines dansantes, les activités sportives, les open gyms. En somme, une joie de vivre, dans une ville effervescente et intégrée 24/7.

Un enclavement de riches et une Assemblée nationale confortable pour les parlementaires. C’était ça le but ?

Encore une propagande ! Heritage City était un vrai projet d’intégration sociale où toutes les couches de la société mauricienne auraient participé et bénéficié. Les fonctionnaires y travailleraient dans un environnement moderne, interconnecté et propice à l’efficience du  service public au profit de tous  les Mauriciens.

Toutes ces fonctions de Heritage City rajoutées à son centre de conférences moderne pour faire de Maurice un Conference hub auraient généré beaucoup d’emplois.  Des white collar jobs et des milliers de blue collar jobs auraient été créés pour tous les Mauriciens. En plus, quand la construction va bien, l’économie va bien !

Quoi que vous en dites, votre popularité a pris un  sale coup.

Ma popularité a beaucoup moins d’importance que ma volonté de développer mon pays. Le Premier ministre a bien expliqué au Parlement que Heritage City était un projet du gouvernement. Tout, y compris le choix de Stree et les coûts préliminaires du projet, a été recommandé au Conseil des ministres par le High Powered Committee, où siègent le secrétaire au Cabinet, le Solicitor General et le secrétaire financier. Et les directeurs des départements d’architecture, d’engineering et surveying du ministère des Infrastructures publiques ont participé à la dernière rencontre. En février, il ne faut pas l’oublier, c’est une décision du Conseil des ministres qui a mis ce projet sur les rails. Et le 5 août, c’est une autre décision du Conseil des  ministres qui gèle le projet. Je fais partie de ce Conseil des ministres, et j’accepte la responsabilité collective avec les autres.

La formule est toute trouvée pour vos détracteurs : «Bhadain voulait s’enrichir avec ce projet.»

Quelle connerie ! Je n’ai pas de coffre-fort (rires) ni de compte bancaire à l’étranger, et je n’ai pas de prête-nom. Mon intégrité n’est pas à vendre et je suis peut-être le seul à avoir dévoilé mes biens à la presse, comme vous le savez. Je vous invite aussi à venir faire un constat à la fin de mon mandat. J’ai lutté contre tout un système et placé la barre très haut avec cette loi sur les richesses inexpliquées.

En toute humilité, je me considère chanceux d’avoir une vie confortable aux côtés de mon épouse et de mes enfants. Mon bonheur aurait été complet si seulement mon pays arrivait à changer son  destin et prospérer. Ce pour quoi on travaille jour et nuit.

Sur Heritage City, vous avez fait votre point. Mais l’alliance Lepep, dans son ensemble, fait face à plusieurs scandales. Cela inquiète le ministre de la Bonne gouvernance ?

Énormément ! We have to practise what we preach. Je l’ai dit et je le répète : nettoyer c’est bien mais ne pas salir c’est encore mieux !

Votre message a fini dans l’oreille des sourds. Ce gouvernement est toujours en train de salir, n’est-ce pas ?

Le gouvernement, non ! Certaines brebis galeuses, peut-être. Mais c’est inévitable car on est loin d’un monde parfait et je vous réfère à Candide de Voltaire. On ne peut pas changer toutes les mentalités archaïques en moins de deux ans.

Nettoyer et introduire des lois, de nouvelles procédures et méthodologies, comme le nouveau code sur la bonne gouvernance qui sera introduit bientôt, de même qu’un code de conduite pour les ministres, mais aussi les advisers feront inévitablement des mécontents. La volonté politique est là mais pour faire des omelettes, il faut bien casser les œufs. En fin de compte, je vous cite Tony Blair qui avait répondu à un journaliste avant les élections en disant : «There is no perfect government, you have to compare us with the alternative

En parlant de brebis galeuses, le narcissique Roshi Bhadain se fera encore plus d’ennemis à l’intérieur du parti, au sein des corps parapublics et parmi les «advisers».

Nous sommes ce que nous choisissons d’être. Les souhaits de mon départ, les intox malveillantes, les manipulations dans les salles de rédaction, les grandes théories pour semer la zizanie entre Pravind et moi, je m’y suis conditionné, ils vont durer. «It comes with the territory, but the honest majority will always prevail over the dishonest few.» Ceci répond à votre première question, je suis le ministre de la Bonne gouvernance au service de mon Premier ministre et de mon pays.