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Arvin Boolell: «Je suis prêt à prendre le leadership du parti»

14 décembre 2014, 11:27

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Arvin Boolell: «Je suis prêt à prendre le leadership du parti»

 

Vous avez bien dormi jeudi ?

Très bien ! J’ai fait de très beaux rêves. J’ai songé à tout ce que j’allais pouvoir faire, maintenant que j’ai du temps libre. Lire, m’informer, nager, aller plus souvent au gymnase. Et surtout, revoir les structures du Parti travailliste.

 

Dans vos pires cauchemars électoraux, aviez-vous envisagé un tel scénario ?

J’y étais préparé.

 

Vraiment ?

Oui, cette défaite n’est pas une surprise. Je ne pensais pas que notre score serait aussi catastrophique, mais je savais qu’avec la IIe République, on se tirait une balle dans le pied.

 

Qu’est-ce qui vous fait le plus mal, votre défaite personnelle ou celle de l’alliance ?

Elles sont douloureuses toutes les deux. Ce qui me fait le plus mal, c’est l’attitude des gens de ma circonscription. Ils n’ont pas compris que Maurice a basculé vers une économie de services et que le gouvernement ne peut plus être le pourvoyeur d’emplois qu’il a été. La politique tal lamin n’est plus possible, c’est le secteur privé qui crée les emplois. Nos adversaires n’ont pas tenu ce langage de vérité, ils ont préféré faire des promesses intenables.

 

C’est ce qui explique le naufrage ?

Non, je m’explique cette défaite pour deux raisons. Nous n’étions pas structurés, c’est la première fois que je participe à une campagne aussi désorganisée. Deuxièmement, le projet de IIe République nous a fait un tort immense, nous n’avons pas su le «vendre» à la population. Même en interne, nos candidats étaient mal informés. Ce n’est pas parce qu’un accord est paraphé par deux leaders qu’il est assimilé par tous. Avec le recul, je me dis qu’on a essayé de vendre un produit invendable.

 

Vos collègues du parti font-ils la même analyse ?

J’en suis sûr. L’hécatombe dans la Hindu belt en dit long sur le rejet de cet amendement. Des électeurs me l’ont clairement dit : «Arvin, on vous adore mais on ne veut pas de votre IIe République.» Ce projet n’a jamais été accepté, et la soi-disant fusion PTr-MMM n’a jamais décollé. On le voit dans les villes où le taux d’abstention est assez élevé. Des partisans du MMM n’ont pas voté avec la même ferveur qu’on leur connaît habituellement. Certains ont choisi de rester chez eux, d’autres de voter pour un autre parti. Le résultat dans les circonscriptions nos 1, 4 et 16 (NdlR, GRNO–Port-Louis Ouest, Port-Louis Nord–Montagne-Longue et Vacoas–Floréal) le montre clairement.

 

Si vous étiez convaincu d’aller au casse-pipe, pourquoi n’avez-vous pas alerté le Premier ministre ?

Il l’a compris, mais tardivement. On a bien essayé de rectifier le tir en reléguant la IIe République au second plan, en faisant de la création d’emplois l’axe majeur de la campagne, mais le mal était fait.

 

Finalement, quelle différence y a-t-il aujourd’hui entre le discours de Vasant Bunwaree et le vôtre ?

Il y a une grande différence : moi j’y suis et j’y reste. Je ne quitte pas le navire.

 

Ce rejet de la IIe République par l’électorat travailliste, est-il celui de Paul Bérenger comme Premier ministre ?

Non. C’est le principe de rééquilibrage des pouvoirs qui a été rejeté. Parce qu’il n’y a pas eu de débat public, pas de discussions. Et parce que la Constitution est sacrée pour les Mauriciens. Ils sont satisfaits du système actuel, les pleins pouvoirs au Premier ministre.

 

Je les comprends, ce système a donné des résultats. Donc non, ce n’est pas le choix du futur Premier ministre qui a braqué l’électorat, mais l’idée même de partage du pouvoir. Les Mauriciens préfèrent avoir un seul capitaine. Avec deux, ils se sont dit qu’il y aurait des étincelles, que cela menacerait la stabilité du pays.

 

C’est donc un vote sanction ?

Complètement. Nous avons été sanctionnés, y compris par nos partisans. Ceux qui ont voté Lepep ne l’ont pas fait par adhésion mais par rejet de la IIe République. Ils ne croient pas en ces gens-là, ils savent que cette alliance est un panier de crabes. Dans la circonscription n°5, Pamplemousses–Triolet, je connais des personnes qui n’ont même pas retenu le nom de ceux pour qui ils avaient voté. Ils savent juste qu’ils ont voté contre Ramgoolam, pour l’empêcher d’amender la Constitution. C’est la cause majeure de notre défaite, même s’il y en a d’autres. Après neuf ans au pouvoir, que vous le vouliez ou non, il y a une certaine usure. Nous aurions dû aussi mieux communiquer sur nos réalisations, prendre davantage nos adversaires au sérieux. On s’est vu trop beau, on a cru que ce serait facile. Il n’y a pas de torchon en politique, il faut toujours respecter l’adversaire, quel qu’il soit. Si un jour je me retrouvais face au leader du Party Malin, je ne commettrais pas l’erreur de le sous-estimer.

 

Il commence à être lourd, le mea culpa…

La défaite l’est aussi, nous avons pris une gifle. Il faut tirer les leçons de ce 10 décembre et les retenir. La politique, ce n’est pas une question des mathématiques. Les deux plus grands partis du pays peuvent s’associer et être rejetés. Une élection se gagne en mode touss sali, il faut être terre à terre.

 

L’alchimie entre les deux leaders a-t-elle pris au niveau des activistes ?

Même entre les leaders, cela ne s’est pas si bien passé. 17 années de divergences ne s’effacent pas d’un claquement de doigts. À titre personnel, oui, ça fonctionnait. Mais y a t-il eu une vraie alchimie ? Je réponds non. Créer une alchimie exige du temps, il faut la nourrir, ce n’est pas une potion magique qui se concocte du jour au lendemain. C’est pareil sur le terrain entre les activistes, on ne leur a pas laissé le temps. Nous n’avons pas structuré cette campagne, nous étions désorganisés dès le début. Ça me fait mal,  connaissant le professionnalisme dont nos deux partis sont capables.

 

Structurer une campagne, concrètement, ça veut dire quoi ?

Beaucoup de choses. Réunir régulièrement  les campaign managers, mettre sur la table les problèmes, proposer des solutions, identifier les indécis, savoir pourquoi ils le sont, etc. C’est un travail de fourmi, en profondeur, minutieux, rigoureux. Le superficiel n’a pas sa place dans une campagne, a fortiori quand elle est courte. Et puis, nous n’avons pas su séduire les jeunes. En réunir 10 000 au Centre Swami Vivekananda, c’est bien mais ça n’apporte pas grand-chose s’il n’y a pas eu d’interactions. Il faut laisser parler les jeunes, les écouter. Nous avons mal utilisé les réseaux sociaux, contrairement à nos adversaires qui avaient une équipe efficace. Ils ont mieux compris que nous comment toucher les jeunes et les séduire.

 

Là encore, pourquoi ne pas avoir tiré la sonnette d’alarme ?

Mais je l’ai fait ! En interne, pas trop fort pour ne pas casser le moral des candidats, mais le message est passé. Pas seulement celui-ci, d’ailleurs... (Il s’interrompt) Vous savez, j’aime bien M. Bérenger mais il manque parfois de retenue. Certaines choses ne se font pas dans une campagne et je le lui ai dit.

 

Vous lui avez dit quoi ?

Monsieur, un peu de retenue. Montrer du doigt les responsables de hautes institutions n’est pas correct. Le commissaire de police en a eu droit, le Directeur des poursuites publiques aussi, d’autres encore. Il nous a mis à dos un certain nombre de fonctionnaires.

 

Bérenger a coulé Ramgoolam ?

Personne n’a coulé personne. Il fallait laisser mijoter pour que l’alchimie prenne. Nous aurions dû faire ces élections plus tard, en 2015. Cela nous aurait permis d’expliquer les atouts de cette alliance, ses ambitions, et nous n’en manquions pas. Je reste convaincu qu’avoir le MMM comme allié est excellent. Sauf qu’on aurait dû s’asseoir ensemble, tous, à tête reposée. Amender la Constitution ne se décide pas à la légère, comme ça, sans une évaluation en profondeur.

 

Êtes-vous en train de m’expliquer que les ténors du parti n’ont pas eu leur mot à dire ?

Nous avons été informés alors que nous aurions dû être partie prenante. 

 

S’il y a six mois, je vous avais dit que seulement quatre travaillistes seraient élus aux prochaines élections, comment auriez-vous réagi ?

Je n’y aurais pas cru et je vous aurais traité de fou. Ce qui s’est passé mercredi me fait mal parce que nous avons déçu énormément de gens.

 

Si vous aviez la possibilité de revenir en arrière, que feriez-vous différemment ?

Je demanderais aux deux leaders de s’asseoir ensemble et je leur dirais deux choses. Premièrement, la IIe République va casser l’alliance et deuxièmement, le dialogue avec la population est  indispensable.

 

Cette proximité ne vous a pas empêché de perdre 6 000 voix entre 2010 et 2014. Comment l’expliquez-vous ?

La proximité avec les gens n’est pas une garantie. Ni pour moi ni pour Anil Bachoo. Nous avons payé les pots cassés de la IIe République, un bilan mal vendu et une certaine usure du pouvoir.

 

Il y a un mois à peine, un sondage faisait pourtant de vous la personnalité politique préférée des Mauriciens…

La vie va vite, hein (pensif)... Je vais prendre une pause avant de retourner dans la circonscription. Un travailliste ne baisse jamais la tête, nous allons repartir à la conquête du pouvoir. Avant, il va falloir crever l’abcès, se dire les choses en face.

 

Se dire quoi ?

Nos quatre vérités. Cela nous fera du bien à tous.

 

Quelles sont vos quatre vérités pour Navin Ramgoolam ?

Il les connaît bien, c’est un homme intelligent qui a accepté la défaite avec beaucoup de dignité.

 

Porte-t-il la responsabilité de cette défaite ?

Cette défaite est collective, nous sommes tous responsables. Nous aurions dû, dès le départ, faire entendre notre voix. Je l’ai fait à la réunion des candidats juste après le Nomination Day. J’étais agacé par nos manquements, d’autres ont parlé après moi, malheureusement ça n’a pas suffi.

 

Désormais, êtes-vous aussi légitime que Navin Ramgoolam pour diriger le parti ?

Ce qui est légitime doit être légal. Nous avons tous des légitimités et nous avons tous des décisions à prendre...

 

Le leadership, vous êtes intéressé ?

Qui n’est pas intéressé ?

 

Êtes-vous le prochain leader du Parti travailliste ?

J’ai l’occasion de prendre la relève. Mais rien n’est donné sans la bénédiction du peuple. C’est le peuple qui appuiera ou pas cette demande. Si l’on m’appelle pour prendre le leadership du parti, je le prendrai volontiers.

 

Pensez-vous que Navin Ramgoolam aura envie de terminer sur une telle fessée ?

Après une défaite, un leader pense à revenir. Je ne peux pas vous dire si Navin Ramgoolam compte revenir en tant que Premier ministre ou président de la République. Mais je sais qu’un renouveau au Parti travailliste est indispensable. Ce constat, tout le monde le fait.

 

Ce parti peut donc exister sans Navin Ramgoolam ?

Personne n’est indispensable.

 

Pense-t-il à l’après ?

Oui, et c’est tout à fait légitime. Je ne suis pas le seul candidat à une passation des pouvoirs, le Parti travailliste choisira. Moi, je suis prêt (il répète).

 

Prêt à quoi ?

Prêt à prendre de nouvelles responsabilités. Y compris celle de leader.