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Smart City : mode d’emploi

13 mars 2016, 08:37

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Smart City : mode d’emploi

Le pilotage de projets de «smart cities» nécessite un changement de perspective. Il ne s’agit pas d’appliquer les recettes existantes.

S’il y a une expression qui est devenue très populaire, aussi bien dans les discours des décideurs politiques et économiques que dans la presse mauricienne, c’est bien celle de «smart city». Ce nouveau buzzword est incontestablement très tendance à Maurice. Beaucoup en parlent mais combien en ont vu ?

Certains peuvent légitimement se demander si de telles cités existent vraiment. S’agirait-il d’un mirage ou d’une nouvelle forme d’utopie urbaine ? Tout comme le furent en leur temps la cité idéale de Ledoux, le phalanstère de Fourier, la cité-jardin de Howard ou plus récemment la cité radieuse de Le Corbusier.

La nouvelle ville de Masdar à Abou Dhabi est fréquemment présentée comme un exemple typique de smart city. Mais dans la pratique, c’est davantage un showroom technologique qu’un véritable lieu de vie : quelques centaines de mètres de rails sur lesquels circulent des prototypes de véhicules sans chauffeur, un projet de ferme photovoltaïque, un dispositif expérimental pour générer de l’énergie par des miroirs, quelques immeubles rapprochés afin de diminuer l’ensoleillement au sol, un système de circulation d’air dans les ruelles permettant une aération naturelle, etc. Au total, rien de très original.

Plus convaincant : le cas de grandes métropoles ayant souhaité utiliser la technologie au service d’une amélioration de la vie des habitants. C’est notamment le cas de Barcelone, que ses élus aiment à présenter comme la première smart city au monde (http://smartcity. bcn.cat/en). Parmi les initiatives marquantes mises en place dans cette ville, nous pouvons citer :

  • Un portail Internet donnant accès à une multitude d’informations destinées aux habitants ainsi qu’aux touristes.
  • Une nouvelle organisation du transport par bus afin de simplifier la vie de l’utilisateur, avec des informations en temps réel.
  • Plus de 70 000 habitants âgés de plus de 75 ans, munis d’un «bip» relié à une centrale d’alerte fonctionnant 24/24.
  • Une approche open-datapermettant à toute personnede pouvoir géo-localiser rapidementles services d’urgence,l’arrêt de bus le plus proche et l’heure du prochain passage, les bornes de vélos en libreservice, etc.
  • La promotion de l’usage des véhicules électriques avec 300 points de recharge gratuits ainsi que ce choix de motorisation pour bus et taxis.
  • Un marquage au sol de chemins sécurisés pouvant être empruntés par les élèves pour aller à et revenir de l’école.
  • Un réseau de près de 500 bornes wifi, fournissant un accès Internet gratuit dans la ville.
  • Une volonté de transparence politique et de promotion d’une démocratie participative dans le cadre du «open government».
  • Un campus où collaborent chercheurs et entrepreneurs pour développer des nouveaux projets portant sur Barcelone Smart City.
  • Un recyclage des déchets organiques.
  • Un télé-contrôle de l’arrosage afin d’économiser l’eau.
  • Un smart-grid, avec production locale de l’énergie utilisée. 

 

Réalisant actuellement, avec une collègue d’Harvard et une doctorante basée en Chine, une étude comparative internationale sur le pilotage de projets de smart cities, j’ai pu remarquer combien ceux-ci nécessitent un changement de perspective. Il ne s’agit pas d’appliquer les recettes existantes. Nous l’avons mis en évidence dans une récente étude de cas publiée par Harvard Business School sur le projet Fort d’Issy. La réalisation de ce quartier durable, aux portes de Paris, a été coordonnée par Bouygues Immobilier, un des leaders européens du développement et de l’aménagement urbain. Les dirigeants de cette entreprise ont ainsi appris à faire travailler ensemble des acteurs peu habitués à une telle approche intersectorielle (entreprises de construction, spécialistes du traitement de l’eau, de la gestion des déchets, experts de la mobilité urbaine, acteurs du secteur énergétique, etc). Sur le plan marketing, ils ont par ailleurs constaté que la dénomination «smart» était trop connotée technologie. Ils préfèrent parler de villes ou de quartiers durables. Le vice-président d’Innovation, Christian Grellier, l’a rappelé lors de son intervention à la conférence Smart Mauritius : «La technologie ne doit être qu’un moyen. Une ville durable c’est avant tout la recherche d’une meilleure qualité de vie avec un respect de l’environnement. Dans un tel projet, nous intégrons aussi bien les aspects intergénérationnels que le pilotage énergétique, le traitement des déchets ou les transports.»

Fort d’Issy est un lieu de vie construit sur le site d’une ancienne forteresse du XIXe siècle. Le quartier dominant Paris compte plus de 1 600 logements (dont 300 logements sociaux) et 1 500 m² de commerces de proximité, des équipements sportifs (piscine, boulodrome) ainsi que deux écoles. (http://www.issy.com/fortdissy)

La collecte des déchets est assurée par un réseau pneumatique souterrain, qui élimine les nuisances sonores, visuelles et olfactives au sein du quartier. La géothermie, qui satisfait 78 % des besoins de chaleur et de froid du Fort d’Issy, permet d’économiser l’émission de près de 2 000 tonnes de CO2 par an.

«La ville durable doit être connectée, adaptable, frugale, partagée, accessible»

Les équipements et espaces publics sont très innovants : une école en paille et en bois, une piscine Feng Shui (respectant la circulation des énergies), un espace d’animation culturelle et numérique où l’on peut tester des lunettes connectées ou découvrir le robot Nao, des espaces verts avec un verger de 44 000 m² et un jardin partagé pour cultiver son potager. La «smart mobilité» est à l’honneur avec les voitures électriques en libreservice ou le suivi du trafic de bus par smartphone. Fait rare, une enquête satisfaction a été réalisée auprès des habitants permettant d’apprécier l’impact sur la qualité de vie. Trois ans après l’engouement de son lancement – 400 logements réservés en un seul weekend, l’éco-quartier du fort est devenu une référence en matière de smart city où 95 % des habitants sont «fiers d’y vivre». 67 % considèrent que la domotique dans les logements facilite leur vie quotidienne, 95 % sont satisfaits du système de collecte pneumatique des ordures ménagères. Enfin, 70 % des résidents déclarent avoir réalisé des économies par rapport à leur précédent lieu d’habitation. La vision de ce quartier durable a été soutenue par André Santini, maire d’Issy- les-Moulineaux et ancien ministre : «Ce sont toutes les innovations mises au service du quotidien des habitants – tout en étant bénéfiques à l’environnement – qui permettent d’imaginer la ville du futur. Le Fort est un quartier pionnier en matière de mieux-vivre et de maîtrise de l’impact écologique.»

Bouygues Immobilier a compris que la ville de demain ne pouvait qu’être le produit d’un travail conjoint entre les municipalités, les habitants et les entreprises partenaires (promoteurs, constructeurs, spécialistes de l’énergie, du traitement des déchets, etc.). Selon Christian Grellier, la ville durable doit être connectée (mise en réseau des bâtiments), adaptable (logements évolutifs, notamment dans la perspective d’un vieillissement de la population), frugale (recherche permanente d’économies), partagée (mise en commun des équipements, y compris des véhicules), accessible (commerce, lieu de vie, travail), mixte (mixité générationnelle, culturelle, sociale), respectueuse (de la biodiversité), dé-carbonée (réduction de l’empreinte carbone), performante (pouvant aller jusqu’à la réalisation de bâtiments à énergie positive, produisant davantage d’énergie qu’ils n’en consomment) et attractive (qualité architecturale, facile et agréable à vivre).

Dans cette perspective, un projet de smart cityse doit d’être ambitieux. Gaëtan Siew, président de la State Land Development Company, a raison de demander qu’ils respectent le triptyque «Work, Life and Play» et soit centré sur l’humain. Toutefois, le passage à l’échelle de l’île, dans une logique de Smart Mauritius, nécessite que le gouvernement puisse coordonner les initiatives privées s’assurant d´une couverture nationale (sans oublier Rodrigues) des projets. Ceci requiert que chaque smart city soit responsabilisée sur le développement et l’aménagement d’une partie du territoire et que la somme des projets couvre l’ensemble de l’île. C’est à cette condition que les smart citiesauront une contribution sociétale positive. Si elles ne sont pas ouvertes sur l’extérieur, les smart citiesrisquent à l’inverse d’accroître les écarts et de renforcer les inégalités. C’est un véritable enjeu pour le pays. Les décisions d’aujourd’hui vont incontestablement façonner durablement l’île Maurice de demain !

Ainsi, je suggère que tout projet de smart city dans une perspective de Smart Island soit :

  • Sustainable (ayant un impact positif sur le territoire où elle est implantée)
  • Multicultural (respectueuse de la diversité et facilitant les interactions entre générations)
  • Attractive (par la qualité de vie qu’elle propose : «Work- Live-Play»)
  • Responsible(ayant vocation à être au service du territoire où elle est située, privilégiant une approche inclusive faisant place aux différentes catégories sociales)
  • Technologically-enabled (utilisant les innovations technologiques au service de la qualité de vie).

 

Compte tenu de l’ensoleillement, le photovoltaïque doit être une source d’énergie prioritaire. Un plan ambitieux pourrait ainsi faire de l’île Maurice la référence mondiale en la matière dans un horizon de dix ans. La taille du territoire est très adaptée à l’utilisation de véhicules électriques (avec la

possibilité d’un maillage de stations proposant un changement de batteries vides en quelques minutes). Cela nécessite toutefois une forte volonté du gouvernement comme en atteste l’exemple de la Norvège, où l’on compte le plus grand nombre de voitures électriques au monde rapporté à la population. La Tesla S, la Volkswagen e-Gold et la Nissan Leaf, toutes à motorisation électrique, ont été les trois modèles les plus vendus (toutes motorisations confondues) en mars 2015. Les véhicules électriques bénéficient d’une réduction de taxe, de la gratuité de stationnement en ville, leurs conducteurs peuvent utiliser les voies de bus, etc.

À Maurice, chaque projet de smart citydevrait également prévoir des BEPOS (bâtiments à énergie positive, produisant davantage d’énergie qu’ils n’en consomment) ainsi qu’un smart-grid(pilotage énergétique) dépassant les limites de la ville. Des solutions originales peuvent être envisagées pour produire et stocker l’énergie. On peut penser par exemple aux réservoirs d’eau. Ceux-ci pourraient se déverser la nuit afin de produire de l’énergie, l’eau étant ramenée dans les réservoirs la journée par des pompes à énergie solaire.

Ainsi, à condition d’adopter une perspective holistique (maillage du territoire par un réseau de smart cities ouvertes à tous) conjuguée à une volonté politique affirmée, la vision d’une Smart Mauritius peut devenir réalité.