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Rundheersing Bheenick - Gouverneur de la BoM : «La troisième version du MPC fait pâle figure»

11 décembre 2013, 15:22

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Rundheersing Bheenick - Gouverneur de la BoM : «La troisième version du MPC fait pâle figure»

Le gouverneur de la Banque de Maurice insiste sur la nécessité de revoir les enjeux économiques de Maurice en revisitant la «Vision 2020» élaborée dans les années 1990. Il souhaite, par ailleurs, recadrer les débats sur les compétences des nominés siégeant au sein du Monetary Policy Committee.

 
Après des critiques répétées ces dernières années à l’encontre des banques ou des banquiers que vous avez qualifiés de «banksters», vous avez été plus conciliant vendredi lors du traditionnel dîner annuel de la Banque de Maurice (BoM). Les opérateurs présents ont été ainsi surpris d’entendre les éloges qui leur étaient adressés. Pourquoi ce changement ?
Précisons d’abord que je n’ai jamais traité des banquiers locaux de «banksters». Quand j’ai fait cette référence lors de mes précédentes interventions, c’était surtout par rapport aux banquiers étrangers. En revanche, mon seul désaccord avec les banques locales à l’époque concernait essentiellement leur niveau de profitabilité. Je le trouvais un peu exagéré, compte tenu des difficultés auxquelles le secteur économique réel faisait face. Je croyais qu’il était normal que les banques réduisent l’écart entre leur taux de rémunération et celui qu’elles appliquent sur les frais et autres commissions liés aux prêts. Cela, afin de soulager des entreprises qui subissent toujours les effets de la crise internationale. Mon discours de vendredi dernier s’inscrit dans une autre logique, celle portant sur le fait qu’après six années de crise et des mesures prises à plusieurs niveaux par le gouvernement et les banques elles-mêmes, celles-ci ont pu garder la tête hors de l’eau. D’ailleurs, je note qu’il n’y a pas de banques en faillite ou encore de banquiers traduits en justice. Comme c’est le cas à l’étranger. Nos institutions bancaires ont par contre contribué à soutenir la stabilité économique du pays. Certes, aujourd’hui, le secteur bancaire se livre à une forte concurrence. Il sera davantage compétitif avec de nouvelles demandes de permis d’opération qui sont à l’étude à la BoM.
 
Lors de votre discours au dîner annuel de la banque, vous demandez à revisiter «Vision 2020», ce document stratégique qui projette Maurice dans vingt ans...
La vision 2020 que j’ai élaborée au temps où j’étais au ministère du Plan et du développement économique, avec des personnes ressources du secteur privé et de la société civile, dans les années 90, trace effectivement les contours de Maurice vingt ans plus tard. Cet exercice d’envergure et profond a servi de modèle à d’autres pays de la région et garde toujours sa pertinence. Aujourd’hui, plus de vingt ans après, il faut actualiser cet exercice, réévaluer les enjeux sur la base de nouvelles réalités économiques et réfléchir ensemble dans un cadre dépassionné, loin des pressions budgétaires. Il faut développer une vision de Maurice qui tient la route jusqu’à 2040 et au-delà.
 
Estimez-vous que les projections établies dans ce document se sont avérées exactes pour Maurice ?
Je pense que oui. Pour commencer, le Produit intérieur brut (PIB) de Maurice a vu sa valeur réelle augmenter de neuf fois. Puis, le revenu par tête d’habitant est passé de Rs 37 000 en décembre 1990 à Rs 266 000. Nous notons également l’importance de deux piliers économiques - les Tics (technologies de l’information et de la communication) et le tourisme - et leur contribution au PIB (8,2 % et 6,4 % respectivement), comme prévu à l’époque. Nous avions aussi anticipé la chute du secteur sucrier qui n’a contribué que 1,6 % au PIB l’année dernière, contre 10,3 % en 1990 ou encore du secteur manufacturier dont la contribution au PIB est passée de 23,6 % à 16,7 %. Par ailleurs, dans Vision 2000, nous avions prévu une économie davantage tournée vers les services, ce qui est aujourd’hui une réalité. Idem pour l’ouverture du pays à la main-d’oeuvre étrangère afin de maintenir sa compétitivité et s’adapter aux défis de la mondialisation. Ce qui est aussi une réussite sur toute la ligne. Je note que le ratio de la main-d’oeuvre étrangère par rapport à celle du pays a augmenté, atteignant 1,4 % en 2012, contre 0,2 % en 1990.
 
Vous proposez que la nouvelle étude soit pilotée par le secteur privé…
Je propose effectivement que cette nouvelle étude soit pilotée par le secteur privé qui a gagné entre-temps en maturité. Il ne faut pas attendre le gouvernement. De toute façon, il n’y a plus de ministère du Plan et du développement économique. Il a été intégré au ministère des Finances. J’estime que c’est un manquement qui se fait sentir aujourd’hui alors que beaucoup de pays ont capitalisé sur leur ministère du Plan pour orienter leur développement économique. Je pense ici à l’Afrique du Sud, où il existe une Planning Commission présidée par l’ancien ministre des Finances, Trevor Manuel. Ce qui m’amène à demander au secteur privé de prendre le lead de cet exercice et de mettre en place son propre think tank pour se pencher sur les grands enjeux économiques, laissant le gouvernement agir comme facilitateur.
 
Vous pensez au «Joint Economic Council » (JEC) ?
Je n’ai pas fait mention du JEC. Il y a beaucoup d’instances du secteur privé qui font des recherches et animent des réflexions. Il ne faut pas qu’on les confonde avec d’autres qui font du lobbying en vue de défendre les intérêts de leurs membres.
 
Peut-on, à votre avis, reproduire le ‘miracle’ d’hier, auquel vous faites allusion ?
Est-ce qu’il y a eu un miracle économique ? À mon avis, non. Quand on parle de miracle, que ce soit dans le domaine économique ou autre, cela relève forcément d’un phénomène qui ne peut être expliqué. Or, dans le cas de Maurice, avec son soi-disant miracle, il y a des raisons rationnelles pour expliquer la performance économique. Affirmer le contraire, c’est faire preuve de paresse intellectuelle. En fait, s’il faut expliquer notre miracle, il s’agit de remonter aussi loin que 1950, quand on a jeté les bases économiques de ce pays. Il y a d’abord le début de l’électrification de Maurice. D’ailleurs, le tout premier projet que Sir Seewoosagur Ramgoolam avait négocié à l’époque auprès de la Banque mondiale portait sur le développement énergétique. Ensuite, il y a eu le projet de l’autoroute de Port-Louis, qui a permis de décongestionner la capitale, ainsi que la mise en place d’une véritable politique de contrôle des naissances. D’ailleurs, Maurice avait déjà réalisé le cauchemar de Meade (NdlR : James Meade, économiste britannique qui avait prévu la faillite de l’île par rapport à sa croissance démographique). L’investissement dans les services de santé afin de réduire la mortalité infantile de même que la politique éclairée visant à assurer la pérennité du secteur sucrier, avec l’adhésion de Maurice à la Communauté économique européenne, ont été décisifs pour développer l’architecture économique. Cela ne relève pas du miracle économique ; c’est du concret. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Maurice n’est plus ni un pays à revenus bas ni un pays pauvre. Il est classé comme un pays à revenus intermédiaires. Par ailleurs, notre main-d’oeuvre commence à vieillir, ce qui va forcément accroître le peaking problem dans le domaine de l’emploi. D’où la nécessité d’ouvrir le pays aux compétences étrangères. En l’absence d’autres ressources locales, refuser d’ouvrir le marché de l’emploi aux travailleurs étrangers entraînera le ralentissement économique.
 
Revenons au Budget 2014. Quelle lecture en faites-vous ? Estimez-vous que les mesures annoncées seront suffisantes pour doper la croissance ?
Ce n’est pas mon rôle comme gouverneur de la Banque centrale de porter une critique sur le budget. Ce serait malséant de ma part. J’observe néanmoins que le budget a un rôle limité et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il déclenche un nouvel essor du jour au lendemain. Je note par ailleurs que 90 % des choses se passent bien à Maurice. Il n’y a donc aucune urgence de changer de politique. Il faut simplement établir les priorités à moyen et long termes et déployer nos efforts pour les réaliser.
 
On se pose beaucoup de questions sur toute la problématique liée au taux de croissance, plus particulièrement la tendance baissière empruntée ces dernières années. Quelle est votre analyse ?
Quand on parle de croissance, il ne faut pas oublier qu’on n’est pas un Less Developed Country. Si on l’était, le pays disposerait d’importantes ressources qu’on aurait pu exploiter pour doper la croissance. Ce que Maurice a fait dans le passé. Savez-vous que Maurice a connu dans les années 60 une croissance moyenne de 2,4 % ? Dans les années 70, le taux s’élevait à 6 % et en 2000, suivant les ajustements structurels, il est passé à 4,4 %. Aujourd’hui, il est estimé à 3,2 %. Comme on peut le constater, le taux de croissance décélère d’une période à une autre. Ce qui est le cas actuellement dans le monde entier car le contexte économique ne se prête plus à des taux de croissance élevés. Dans certains pays phares comme Singapour, la croissance est même négative. En revanche, l’économie mauricienne demeure relativement résiliente et robuste face à la crise vu qu’elle est très diversifiée. Ceux qui dramatisent sur la baisse de notre croissance ne réalisent pas que Maurice vit de ses exportations. Or, quand ses principaux marchés d’exportation souffrent d’un tassement, on ne peut rien faire sauf diversifier les marchés. Ce qu’on a tenté de faire dans le secteur hôtelier en développant de nouveaux marchés comme l’Inde et la Chine. Cette nouvelle ouverture s’est toutefois heurtée à la réticence des opérateurs de s’y engager pleinement, avec pour résultat que la diversification du marché vers les pays asiatiques a été timide. Cela a permis à d’autres pays de la région comme les Seychelles, les Maldives et le Sri Lanka d’être plus agressifs sur le marché chinois, par exemple et d’en prendre avantage.
 
L’inflation a connu une hausse, passant à 3,9 % en novembre 2013 contre 3,1% en 2012. Doit-on en conclure que les risques inflationnistes sont toujours présents ?
Il y a eu effectivement une légère augmentation au niveau du Year-on-Year Inflation pour le mois de novembre 2013. Ce qui me donne raison par rapport au fait qu’il faut être vigilant étant donné que les risques inflationnistes sont réels et peuvent surgir à n’importe quel moment.
 
Est-ce que la fusion entre la Financial Services Commission (FSC) et la BoM est toujours une priorité à vos yeux ?
Ce qu’on a vu en début d’année, avec les scandales financiers liés aux Ponzi Schemes, où des petits malins sont passés entre les mailles des filets des régulateurs, me pousse à dire que la situation est grave. La mesure budgétaire portant sur la défi nition des dépôts ne règle le problème qu’à moitié. La formule de coordination mise en place pour atténuer les risques pourrait aussi s’avérer efficace si elle marche. Si on veut réduire les risques, voire les éliminer, il faut opter pour la bonne solution. Je pense ici à celle adoptée par Singapour et qui porte sur l’institution d’un Monetary Policy of Singapore. Cet organisme assure la supervision des banques et des institutions non-financières. À Singapour, il y a 200 banques opérationnelles et leur secteur non-bancaire, soit l’offshore, est plus développé qu’à Maurice. Je me pose alors la question : pourquoi ne nous donne-t-on pas les mêmes moyens pour combattre les crimes financiers ? Dans d’autres pays, le modèle sur lequel notre FSC s’est calquée a été revu. En Irlande, il a été aboli et les services intégrés au sein de la Banque centrale d’Irlande. Idem pour la Bank of England, où une nouvelle instance a été créée. À Maurice, nous sommes toujours prisonniers d’un modèle décrédibilisé.
 
Vous avez été critique contre les nominés du Monetary Policy Committee (MPC), vous interrogeant sur leur compétence à siéger au sein de cette instance. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
On a fait une mauvaise lecture de mes propos. Je n’ai à aucun moment critiqué les qualifications des nominés siégeant à ce comité. J’ai simplement rappelé que le MPC que je préside en est à sa troisième réincarnation. Dans sa première réincarnation, quand on a jeté les bases de cette nouvelle instance, on avait des gens «de lumière» de la trempe de Mario Bleger qui était l’ancien gouverneur de la Banque d’Argentine et Stefan Gerlac, un ressortissant suédois qui a travaillé au Hong Kong Monetary Policy Committee, l’équivalent de la BoM avant l’intégration de cette île à la Chine. Je ne connais les qualifications ni de l’un ni de l’autre mais seulement leur capacité à se mettre dans la peau du policymaker. Il y a un mindset différent si on veut faire carrière dans le circuit académique. Je ne souhaite pas que le débat se transforme en une polémique autour des qualifications de X ou de Y. En effet, on peut avoir les meilleures qualifications au monde mais être incompétent dans le domaine du policy-making. Je rappelle également que dans la deuxième réincarnation du MPC, il y avait Alain Madelin, ancien ministre des Finances, qui était rompu aux rouages du policy-making. En revanche, pour la troisième réincarnation du MPC, nous avons noté un changement qui nous a pris par surprise, soit que la policy- making capacity avait été réduite. Avant 2007, il faut savoir que la décision relative au nouveau taux directeur était prise par le gouverneur en consultation avec une petite équipe. C’était la norme dans tous les pays. Au début des années 2000, suivant une étude d’Alan Blinder, on a décidé d’introduire le policy-making au sein du MPC. Une démarche visant à permettre aux membres d’avoir des perspectives économiques différentes, soit celles des opérateurs économiques. Ce qui m’amène à dire qu’en comparaison avec la première et la deuxième version du MPC, la troisième fait pâle figure.
 
«Il ne faut pas confondre les instances du secteur privé qui font des recherches et animent des réflexions avec d’autres qui font du lobbying en vue de défendre les intérêts de leurs membres.»