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Et si Obama était Mauricien?

23 mars 2008, 00:00

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Il y a de ces sujets qui restent ta-bous en politique, surtout quand on vit dans une démocratie, comme la nôtre, composée de plusieurs communautés. Ainsi, il est devenu plus convenable d?évoquer le vivre-ensemble harmonieux en regardant dans le rétroviseur de l?histoire. Dans une perspective « consociative » à durée indéterminée, la religion, l?appartenance ethnique et les clivages sociaux sont alors perçus comme des thèmes susceptibles de troubler l?ordre politique en place.

Pourtant le racisme, sous ses différentes manifestations à travers le temps (esclavage, antisémitisme, colonialisme, etc.) et son pendant, le communalisme, demeurent des su-jets d?actualité qu?aucune nation au monde ne peut se permettre d?ignorer même après plus de deux siècles d?indépendance. Mais à cause des blessures d?hier et d?aujourd?hui, parler ouvertement des ségrégations socia-les, dans toute leur complexité, est un discours politique qui se fait de plus en plus rare.

Mais cette semaine un homme a choi-si de sortir de ce discours convenu. Privilégiant la raison à la passion, faisant appel à l?intelligence et à la logi-que, Barack Obama a surpris l?Amé-rique tout entière par un discours qui fera date dans l?histoire politique, peu importe l?issue de cette campagne présidentielle. « Je n?ai jamais été assez naïf pour croire qu?une élection suffira à faire disparaître nos divisions raciales, surtout avec une candidatu-re aussi imparfaite que la mienne. Mais j?ai la ferme conviction que c?est en travaillant ensemble que nous pourrons aller au-delà des vieilles blessures du racisme », a déclaré, d?un ton sobre mais déterminé, le candidat démocrate dans un véritable plaidoyer pour une nation plus parfaite.

À mi-chemin entre la verve de Martin Luther King et le verbe de John Kenne-dy, Barack Obama touche quelque chose de très profond dans le c?ur des Américains et de tous ceux qui l?écoutent : il les fait rêver grâce à sa fraîcheur, à son éloquence, à son franc-parler. Les journaux américains, même ceux qui soutiennent John McCain et Hillary Clinton, ont salué pour la plupart son « courage » et son « franc-parler », tellement la teneur de son discours tranchait avec la rhétorique consensuelle de la classe politique.

Ce discours*, avant tout un exercice de communication politique de haut vol, devrait être, de par son contenu, une source d?inspiration pour tous nos responsables politiques qui recourent à la langue de bois. Il est grand temps à Maurice de parler sans détour de la notion de « nation parfaite ». Oui c?est vrai, nous avons fait mentir les prédictions du professeur Meade, oui c?est vrai nous sommes mieux lotis que nombre de « jeunes nations » qui sont en guerre civile, mais n?est-il pas temps pour nous aussi d?évoluer vers une nation non ethnique ?

Et nos leaders politiques peuvent-ils nous tenir un langage intelligent ? Pour le franc-parler, c?est clair qu?il va falloir repasser. Madan Dulloo évoquera l?absence de communication au sein du gouvernement Ramgoolam au lieu d?avouer qu?il court derrière un vieux rêve premierministériel avec sa caste en bandoulière. Le Premier ministre se demandera pourquoi on se sent davantage Mauricien à l?extérieur du pays alors qu?il choisit lui-même, par manque de courage vis-à-vis des lobbies sectaires, ses vice- Premiers ministres en fonction de leur appartenance ethnique. Pravind Jug-nauth ne nous dira jamais s?il négocie son entrée au gouvernement afin de favoriser une polarisation ethnique sur l?échiquier. Et ainsi de suite?

« Nous avons une culture maurici-enne spécifique, bien à nous et en de-venir depuis bien longtemps déjà », reconnaissait un Paul Bérenger blasé, trente ans après la naissance du Mou-vement militant mauricien. À vrai dire, notre culture si « spécifique » a en-gendré des politiciens si « scientifi-ques » dans leur quête de pouvoir. Les projets de société tels que la fin du « Best Loser System », les débats sur la réforme électorale et le financement des partis, c?est que des effets d?annonce. Ce qui demeure, pour la galerie, c?est le grotesque show cosmopolite. Du Conseil des ministres au cabinet fantôme de l?opposition. Cette recherche permanente d?équilibre des pouvoirs entre élites de différentes communautés renvoie aux calendes grecques l?émergence d?une vraie nation.

Encore heureux que Barack Obama ne soit pas issu du terroir mauricien. Avec un patronyme inconnu, de surcroît issu d?une union mixte, il aurait eu bien du mal à obtenir un rôle au-près d?un des trois principaux proprié-taires de parti politique. Qui sont comme mandatés à vie pour valider le profil ethnique de nos hommes publics : du simple conseiller de village au président de la République.

Derrière les mots d?Obama, il y a une vision, derrière cette vision, un idéal pour l?égalité des chances à tous. Derrière ceux de nos principaux leaders politiques, il y a du vent. Et de piètres conseillers !

*Ce discours majeur peut être lu, entre autres, sur « http://my.barackobama.com/hisownwords »