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Budget : Les attentes des ONG (fin)

9 septembre 2013, 00:00

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Budget : Les attentes des ONG (fin)

Des mesures clés lors du prochain budget : c’est ce que souhaitent les représentants de la société civile. Avec l’espoir que le dialogue s’ouvre avant novembre lors de consultations multipartites entre société civile, secteur privé et ministère des Finances.

 

S’inspirer de l’étranger

 

Encourager les donations des citoyens par une déduction fiscale

 

Déductibles des impôts il y a encore quelques années, comme c’est le cas en France, les donations des particuliers ne le sont plus aujourd’hui à Maurice. Elles sont donc beaucoup moins nombreuses. Or, ces donations individuelles sont une bouffée d’air pour le budget des organisations non gouvernementales (ONG), puisqu’elles peuvent ensuite financer n’importe quel poste de dépense. Or, certains sont difficiles à faire financer sous le Corporate Social Responsibility (CSR) en raison des guidelines (la formation, la recherche…).

 

Selon Émilie Trousselier-Seepursaund, chargée de levée de fonds à Prévention Information Lutte contre le Sida (PILS), «afin d’encourager les citoyens à donner, il faudrait réintroduire une déduction d’impôt pour les contribuables donateursà hauteur d’un pourcentage défini et attrayant. Actuellement, c’est difficile d’attirer les donations, car les citoyens se sont sentis déresponsabilisés à la suite de l’introduction de la loi CSR».

 

Pour Patricia Adèle Félicité, de Caritas, «ce serait une bonne mesure pour encourager la solidarité nationale. Du côté des ONG,nous fournissons déjà des reçus aux donateurs et nos comptes sont auditéscomme les guidelines CSR le requièrent ; donc il n’y aurait pas vraiment de garde-fous supplémentaires à mettre en place».

 

Sur la question des dons par les particuliers, une réflexion devra être menée pour optimiser techniquement les facilités de dons en ligne et soulever le problème des prélèvements bancaires, qui entame le montant des donations perçues au final par les ONG. Cette question dépendra certainement de discussions avec la Bankers Association, davantage que du ministère des Finances.

 

Fiscalité avantageuse pour les travailleurs sociaux et exemption de la TVA pour les ONG

 

Amélie Espitalier-Noël, manager de l’ONG mauricienne Rêve et Espoir (école spécialisée), a étudié et travaillé dans une ONG à Sydney : «En Australie, des déductions d’impôts intéressantes sont prévues pour les salariés du secteur social afin d’encourager les citoyens à s’engager professionnellement dans cette voie.»

 

Concernant l’exemption de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur tous les biens, elle avait été un temps accordée à des ONG à Maurice, mais la loi a changé. «Toutes les ONG devraient être exemptées à nouveau à l’avenir», suggère Ismahan Ferhat, manager du Service d’accompagnement de formation, d’intégration et de réhabilitation de l’enfant (SAFIRE).

 

Une mesure qui fait le bonheur des associations en Australie, «où les organisations NFPs (Not-For-Profits) ne paient pas de Goods and Services Tax», précise Amélie Espitalier-Noël.

 

Informatiser les hôpitaux et la CDU

 

L’informatisation du système de santé et de la Child DeveloppementUnit (CDU) est essentielle pour de nombreuses ONG, comme c’est le cas dans beaucoup de pays. «La mise en place d’un réseau informatique regroupant les informations sanitaires et sociales estprimordiale aujourd’hui. Ce systèmepermettrait de bénéficier de donnéeset de statistiques en temps réel. Etsurtout de mieux faire le suivi despatients, quel que soit l’hôpital oùil se rend pour son suivi médical, avance Martine Lassémillante, de l’ONGT1 Diams. Ce pas vers l’informatisation devra être fait de façon réfléchie et en consultation avec les représentants de la société civile travaillant dans les secteurs concernés,notamment la santé et la protection de l’enfance. Ce système permettraitde mieux faire le suivi des enfants maltraités. Aussi, l’informatisation permettrait certainement de faire économiser de l’argent à l’État.»

 

Mais la vigilance doit aussi être de mise pour ce qui est du rassemblement de données sensibles concernant les citoyens et en particulier les familles pauvres. Par ailleurs, Caritas a déjà constaté une limite avec le Social Registrar du ministère de la Sécurité sociale, qui rassemble une multitude de données sur lasituation socioéconomique des familles : «Exemple concret : de ceregistre est tirée la liste des familles qui bénéficient du School FeedingProgramme (une aide alimentaire pour les écoliers); or quand les travailleurs sociaux de Caritas passentdans les familles pour qu’elles enbénéficient, les parents disent que cen’est pas cela dont ils ont besoin. Par exemple, certains arrivent à nourrir leurs enfants, mais ont plutôt besoin d’aide pour un logement ; c’est pourquoi ils ont fait la démarche de s’inscrire au Social Registrar», souligne Patricia Adèle Félicité.


Les financements de l'Etat à optimiser

Sylvie Mayer (2e à gauche) et une partie de l’équipe d’ANFEN.

 

Les «grants» ne font pas que des heureux…

 

Certaines ONG bénéficient d’aide publique sous forme d’allocations régulières ou annuelles – ce sont les grants de l’État. Par exemple, à travers le NGO Trust Fund (sous l’égide du ministère de la Sécurité sociale) ou le ministère de l’Éducation. D’autres associations ne bénéficient de rien.

 

Pour Martine Lassémillante, de T1-Diams, «les informations pour toute aide financière ou autre proposée par l’État aux ONG devraient être facilement accessibles et renouvelables,selon la pertinence du développement communautaire que le service ou projet del’association apporte à la société mauricienne».

 

La problématique des écoles spécialisées

 

Pour l’association Autisme Maurice, l’aide donnée est loin d’être suffi sante. «En tant que Daycare centre, nous recevons Rs 260 du ministère de l’Éducation comme grant mensuel par élève (contreRs 1 700 environ de grant mensuel par élève pour les Special Needs Schools, ce qui est encore 2,5 fois moins quedans les écoles Mainstream)et Autisme Maurice toucheRs 50 000 annuellement duNGO Trust Fund, ce qui esttrès loin de couvrir les frais de ce service éducatif, souligne Géraldine Aliphon, coordinatrice de l’ONG. AutismeMaurice, comme la plupart desONG, apporte des services que le gouvernement ne donne pas.Ainsi Autisme Maurice gère un centre de diagnostic répondant aux normes internationales,avec une équipe pluridisciplinaire qualifiée et des outils certifiés. En tant que service d’utilité publique, nous aurions pu recevoir des fonds du gouvernement pour ce centre dediagnostic.»

 

Le plaidoyer collectif, mené par l’Association des Parents d’Enfants Inadaptés de l’île Maurice en tête, est venu montrer l’urgence de trouver une source de financement publique régulière pour les écoles spécialisées, voire, au mieux, que le ministère de l’Éducation assume sa responsabilité entièrement envers tous les élèves mauriciens de moins de 16 ans, qu’ils soient handicapés ou non.

 

Plaidoyer en faveur de l’éducation alternative

 

La même problématique se pose au niveau des 19 centres ANFEN (Adolescent Non Formal EducationNetwork), qui assurent cette année la scolarité de 971 adolescents déscolarisés après leur échec au Certificate of Primary Education (CPE).

 

Au-delà des éventuels fonds publics qui seraient à l’avenir une bouffée d’oxygène pour les centres ANFEN, la philosophie de cette ONG a toujours été plus large : engager un dialogue avec le ministère de l’Éducation pour résoudre le problème des enfants déscolarisés après leur échec au CPE. Le rêve des centres ANFEN étant de disparaître, le jour où la situation des adolescents âgés de 12 à 16 ans déscolarisés sera résolue.

 

Aujourd’hui, le réseau ANFEN demande que les centres d’éducation alternative soient reconnus comme des Special Needs School au même titre que les écoles spécialisées pour les élèves handicapés.

 

«Nos élèves ne sont pas handicapés au sens propre du terme, mais ils souffrent de handicaps sociaux ; ils vivent dans des conditions précaires, auprès de familles brisées et sont hors du circuit scolaire traditionnel… Ces jeunes méritent donc une attention particulière et les centres ANFEN demandent en contrepartie à l’État une allocation par élève comme pour les écoles spécialisées. La première étape serait que les centres ANFEN soient reconnus par le ministère de l’Éducation, ainsi que l’expérience de nos éducateurs, plaide Sylvie Mayer, présidented’ANFEN. Nous ne serions pas contre la possibilité de bénéficier de plus de formation encore pour nos éducateurs, mais aussi pour les autres membres du personnel de nos centres en management, administration, finance… »

Iniquité des aides et manque de communication

 

Exemple supplémentaire et flagrant d’iniquité au niveau national, une même association peut toucher une aide de l’État pour un projet dans une ville et pas d’aide du tout pour le même service ailleurs !

 

Ainsi «l’abri de nuit de Caritas de Port-Louis reçoit une aide du NGO Trust Fundde Rs 760 000 sur un budget total de Rs 3,1 millions. Déjà, l’aide de l’État est loin de suffire, mais, à St-Jean, le même service ne touche pas d’aide publique du tout, alors que les bénéficiaires ont le même profil à Port-Louis et à Quatre-Bornes : ce sont tous des sans domicile fixe», constate Patricia AdèleFélicité.

 

Du côté de PILS, Émilie Trousselier-Seepursaund recommande «la mise en place d’un calendrier fixe pour les grants des organismes publics avec des deadlines et une procédure communes, mais aussi une meilleure communication sur l’ensemble des possibilités.Beaucoup d’associations ne connaissent pas les différentes aides financières publiques».

 

Des recommandations favorisant la transparence sont également souhaitées par l’association T1-Diams. «L’État lance parfois des appels d’offres destinés aux ONG,mais il serait préférable d’opter plutôt pour des grants annuels»,propose Martine Lassémillante.

 

Revoir les «tenders» sur les médicaments et équipements

 

Depuis plusieurs années, l’informatisation du système de santé est annoncée et attendue par les ONG et les patients. Un réseau moderne permettrait de partager les dossiers entre les hôpitaux et aussi entre les médecins et les différents spécialistes.

 

«La disponibilité ininterrompue des life-saving drugset du matériel auxquels ont droit les diabétiques de type 1 dépend directement de l’application de cette mesure. Une meilleure gestion et une meilleure communication des services offerts sont fortement recommandées», expliqueRicardo Mourgine, managerde T1 Diams.

 

Comme d’autres ONG, T1 Diams doit ainsi financer des médicaments que les hôpitaux publics n’arrivent pas à fournir. Or, ce n’est pas la mission de ces associations et cette dépense importante est difficile à justifier et à faire financer par les sponsors… «Avant de lancer les tenders pour les médicaments et matériels, des projections devraient être réalisées en consultation avec les ONG», suggère Ricardo Mourgine.

 

Réduction sur les factures espérée…

 

Géraldine Aliphon, d’Autisme Maurice, remarque que tous les sponsors refusent de prendre en charge les dépenses courantes. «Tous nos partenaires exigent un service de qualité, mais personnene veut financer le loyer ou les charges, et rares sont les entreprises qui acceptent de financer les salaires ; alors comment faire ?»

 

Si seulement les services nationalisés pouvaient offrir au moins des réductions aux associations sur les factures d’eau et d’électricité... Sylvie Mayer, présidente du réseau ANFEN qui regroupe 19 centres d’éducation alternative regrette que «les associations soient facturées au même titre qu’un business pour les lignes ADSL, alors qu’elles pourraient bénéficier de tarifs réduits».

 

Du côté des locations, certaines ONG bénéficiaient dans le passé de locaux à tarif réduit, notamment dans les infrastructures du gouvernement à Britannia Park, à Vacoas. Mais ces tarifs ont bien augmenté.

 

En général, la plupart des ONG louent à des particuliers ou à des entreprises au prix du marché pour héberger leurs bureaux, leurs centres de formation ou leurs foyers d’accueil. Un coup de pouce de l’État serait apprécié, par exemple avec la mise à disposition de locaux gratuits.

 

Audit approfondi des organismes publics

 

Enfin, plusieurs associations demandent un audit indépendant du NGOTrust Fund, un audit des programmes de l’État (dont le Special Collaborative Programmefor the welfare and empowerment of women and children in distress), de la Child Development Unit, de la NationalAgency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers, du Mauritius Councilof Social Services…

 

L’enjeu est de taille : savoir comment les budgets ont été dépensés, pour quelles actions, par l’intermédiaire de quelles ONG ou de quels départements publics, avec quel impact, et aussi à combien s’élève le montant total promis au secteur social qui à la fin de l’année budgétaire retourne dans les caisses de l’État, faute d’avoir été dépensé.

 

Cette demande de contrôle et de transparence n’est pas seulement un message clair envoyé par la société civile aux experts du rapport de l’audit... Les associations souhaiteraient en parallèle le lancement d’appels d’offres pour appointer des auditeurs indépendants selon une procédure transparente aboutissant à des rapports rendus publics.

 

À bon entendeur...