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Nandini Bhautoo-Dewnarain: «Beaucoup d’enseignants n’ont aucun sens de responsabilité»

4 octobre 2016, 14:28

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Nandini Bhautoo-Dewnarain: «Beaucoup d’enseignants n’ont aucun sens de responsabilité»

Nandini Bhautoo-Dewnarain, chargée de cours à l’université de Maurice, explique comment des diplômés médiocres deviennent des enseignants médiocres.

Vous faîtes un constat accablant de l’état des choses dans le secteur universitaire. Vous ne semblez pas faire confiance aux diplômés que vous avez «produits». Pourquoi ?

À l’université, j’ai enseigné pendant des années à des élèves que le secondaire nous refile. Le niveau de ces élèves est en général médiocre et d’année en année, leur niveau baisse. Pendant des années, nous avons fait des miracles : transformer ces élèves, qui nous viennent avec, à peu près aucune compétence culturelle ou littéraire, en individus ayant une compétence minimale. Durant les premières années, quand nous avons lancé le BA English/Humanities, nous avons eu des élèves d’un niveau excellent. Mais ce n’est plus le cas. Nous constatons chaque année que le niveau baisse. Cette année, je suis sur le point de rendre les armes car je me retrouve avec des élèves qui n’ont jamais entendu parler de Coleridge ou de Don Quichotte ou même de l’oeuvre de Tolkien et des films issus de son monde imaginaire ! Ce sont des élèves ignorants, nullement curieux, qui ont une approche très passive de l’apprentissage. La semaine dernière, je leur ai demandé s’ils avaient accès à Google. Cela a provoqué l’hilarité, car la réponse est évidente. Mais ils ne pensent jamais à se documenter pour combler leurs lacunes. Ils n’ont pas appris à être curieux, à apprendre, à développer leur faculté critique. Et c’est la faute à qui? Je blâme les enseignants du secondaire. Bien qu’il existe de nombreux enseignants très conscients, qui offrent le meilleur aux élèves, force est de constater qu’il y en a beaucoup qui n’ont aucun sens de responsabilité. Je sais que ce problème existe depuis longtemps, mais depuis peu, je découvre le revers de la médaille : des enseignants qui trouvent toujours un prétexte pour ne pas venir en classe, qui ‘traînent’ un programme d’études de trois mois sur un an, qui disent aux élèves d’aller se documenter sur les textes, qui n’en discutent jamais en classe.

Y a-t-il une relation de cause à effet entre les faiblesses, structurelles ou autres, du système de formation et la performance des enseignants qui en sont issus ?

Il y a un problème à plusieurs niveaux. D’abord le système de corrections à l’université nous décourage de faire échouer les élèves au-delà d’un certain pourcentage, sinon vous avez des lettres et des rapports à écrire. Donc, il faut les faire passer, médiocres ou pas. Deuxièmement, tout élève, aussi médiocre soit-il, a la possibilité de compléter sa licence en cinq ans et de la finir avec le minimum de points dans tous les cours. Nous avons bien sûr le système international de notation : les ‘First class’ sont toujours les plus brillants. Parfois, nous en avons plusieurs, parfois, un ou deux. Il est très rare que nous n’en ayons pas. Mais la plupart des performances se situent entre le Upper Second, qui est en général très bon, et le Lower Second (moins bon). Puis il y a ceux qui sont au bas de l’échelle avec un Third Class degree ou même simplement un Pass. C’est aux employeurs de comprendre la catégorisation des degrees : tous ne se valent pas. Quelqu’un peut faire sa licence en cinq ans et obtenir finalement un Pass degree avec le minimum de points partout et être employé par une institution secondaire. Imaginez alors le calvaire des élèves, car un tel licencié en lettres modernes ne comprendrait pas grand-chose à ce qu’il ou elle doit enseigner. Et puisque l’habitude de faire des efforts n’a jamais été présente pendant les années d’apprentissage, elle disparaît totalement quand ceux-là deviennent enseignants. Je vois certains membres de ma très proche famille subir ce calvaire aux mains de certains enseignants peu consciencieux qui osent dire en classe qu’ils ne comprennent pas le texte et que les élèves n’ont qu’à se faire leur propre idée de tout ce qui est au programme.

À votre avis, que faudrait-il faire ?

Si ces enseignants ne comprennent pas les textes au programme, ils n’ont qu’à en changer. Cambridge offre un large éventail de textes très intéressants. Il me semble que les enseignants peuvent choisir les textes à étudier en septembre de chaque année. Mais je constate une certaine sclérose à ce niveau. Les comités de sélection locaux font fi de tout ce qui est nouveau et intéressant. Je vous en donne un exemple : si j’ai à choisir entre Emma de Jane Austen et Wuthering Heights d’Emily Brontë, je conseillerai l’oeuvre d’Emily Brontë pour l’enseigner aux adolescents. C’est un roman magnifique, d’une intensité incroyable. Mais au lieu de Wuthering Heights, les enseignants choisissent chaque année d’enseigner Emma. Pourtant, avec nos sensibilités modernes, Jane Austen est difficile d’accès. En outre, quand je dis ‘enseigner’, c’est faire preuve de générosité envers ces enseignants ! J’apprends que pour beaucoup d’entre eux, ‘enseigner’ veut dire faire un résumé de ce qui se passe dans chaque chapitre !