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Budget: après l’échec de 2004, le ciblage refait surface

29 juin 2016, 22:15

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Budget: après l’échec de 2004, le ciblage refait surface

Des retraités qui touchent en tout et pour tout Rs 5 000 mensuellement, il y en a beaucoup à Maurice. Il y en a aussi d’autres qui empochent Rs 100 000, Rs 200 000 et même Rs 500 000 et ce mensuellement sous différentes formes de revenus. C’est sur ceux-là que le ministre des Finances a souhaité attirer l’attention, le samedi 25 juin, lors du quarantième anniversaire de l’Old Pensioners Association, à St-Pierre. Là où le bât blesse, c’est que ces contribuables bien lotis touchent aussi la pension de vieillesse gouvernementale de Rs 5 000. Est-ce normal? Faut-il appliquer le ciblage pour favoriser une plus grande justice sociale?

Gérald Lincoln, Managing Partner chez Ernst & Young, n’est pas contre le principe d’appliquer une forme de ciblage pour permettre aux retraités au bas de l’échelle de toucher une pension plus importante à chaque fin du mois. «Ce serait une bonne chose.»

Il va plus loin en appliquant le même raisonnement à d’autres services. «Aussi, je ne vois pas pourquoi des subventions gouvernementales sur un certain nombre de services et de produits doivent être étendues à tout le monde, y compris ceux qui ont financièrement les moyens. Je pense particulièrement aux services hospitaliers qui devraient logiquement être réservés aux gens qui n’ont pas les moyens financiers d’aller se faire soigner dans des cliniques.» Or, tel n’est pas forcément le cas, dit-il, eu égard aux profils divers des personnes qui fréquentent les hôpitaux.

Réduire la pression sur les dépenses budgétaires

Le Managing Partner d’Ernst & Young ajoute que l’application progressive d’une forme de ciblage pourrait être une win-win solution. Ce qui devrait à la fois réduire la pression sur les dépenses budgétaires et permettre aux hôpitaux de mieux gérer le flot de patients.

C’est là un point de vue qu’Azad Jeetun, économiste et ex-directeur de la défunte Mauritius Employers Federation, ne partage pas. Selon lui, la pension de vieillesse est un droit qu’a chaque Mauricien pour sa contribution au pays. «C’est un droit légitime et moral et on ne peut en priver le Mauricien.» Il se demande par la même occasion si les frais liés à l’application du ciblage se valent financièrement, compte tenu du montant qui pourrait éventuellement être économisé.

Selon le calcul d’Azad Jeetun, le budget pour la pension de vieillesse est de Rs 10 milliards alors que le nombre de bénéficiaires se monte à 185 000. Si 10% de ces bénéficiaires perçoivent une pension de Rs 100 000 à monter (assurances, dividendes et salaires), le gouvernement pourrait économiser Rs 1 milliard, dans l’éventualité où le ciblage était appliqué. Ce qui n’est pas une somme dérisoire.

Toutefois, il persiste à croire qu’il existe aujourd’hui des abus et qu’il y a encore des contrôles à exercer. Qui vise-t-il au juste? «Ceux qui travaillent encore entre 60 et 65 ans (ils sont au nombre de 70 000) et qui touchent également la pension de vieillesse.» Aussi, comme l’exemple vient d’en haut, «il faudrait que le gouvernement donne l’exemple et ne se livre pas à des dépenses extravagantes. Comme l’acquisition de nouvelles voitures pour les ministres»

«Le ciblage est un projet valable, il permettrait de réduire le nombre de bénéficiaires. Il faut se servir de l’expérience de 2004 pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.»

Bernard Yen, Managing Director d’Aon Hewitt, société qui était jusqu’à tout récemment conseillère du National Pension Fund (NPF), estime qu’un des moyens de réduire le fardeau de la pension de vieillesse sur le Budget national est le ciblage (means test). «Tout le succès de cette formule est dans l’application. Il faut bien réfléchir et tenir compte de ce que la population peut supporter ou pas.»

Bernard Yen se réfère ainsi à la tentative d’appliquer le ciblage datant de 2004. «C’était une très bonne initiative. On a essayé d’introduire le ciblage de la pension de vieillesse , mais dans la manière de l’appliquer, cela s’est avéré une catastrophe, tant au niveau de la communication que de la mise en oeuvre. Le ciblage est un projet valable, il permettrait de réduire le nombre de bénéficiaires. Il faut se servir de l’expérience de 2004 pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.»

Selon Bernard Yen, si l’on veut réintroduire le ciblage, il est important de simplifier les procédures. «Le ciblage devrait établir des critères clairs, et demander au retraité de cocher des cases au lieu d’avoir à remplir un formulaire compliqué et fournir des documents», dit Bernard Yen.

Toutefois, si le débat sur le ciblage est lancé, il reste l’application. Les économies qui pourraient être dégagées donneront-elles aux gouvernants le courage politique nécessaire?

L’EXPÉRIENCE DE 2004

<p>Le ciblage a été envisagé puis abandonné en 2004 à la veille des élections quand le sujet avait été fortement politisé. En 2004, il avait été demandé aux 110 000 bénéficiaires de la pension de remplir un formulaire sur leurs revenus, intérêts, dividendes, loyer, etc. Cela a provoqué une agitation profonde chez des retraités &ndash; certains n&rsquo;étant même pas au courant des sommes qu&rsquo;ils percevaient, notamment, parce qu&rsquo;ils chargeaient d&rsquo;autres personnes de gérer leur argent.</p>

RECULER L’ÂGE DE LA RETRAITE, UNE SOLUTION ?

<p>Si dans le privé, l&rsquo;âge de la retraite a été repoussé à 65 ans, la pension de vieillesse est pour sa part toujours payable à 60 ans, ce qui relève pour Bernard Yen d&rsquo;une contradiction. D&rsquo;autant plus, insiste-t-il, que la pension de vieillesse est non-contributive par des bénéficiaires qui sont au nombre de plus de 240 000 aujourd&rsquo;hui. &laquo;<em>Le gouvernement continue de payer la pension de vieillesse à 60 ans mais a obligé tous les employeurs du secteur privé à étendre l&rsquo;âge de la retraite à 65 ans. Quant aux employeurs, ils sont en train d&rsquo;adapter leurs plans de retraite pour payer la retraite à 65 ans au lieu de 60 ans.</em>&raquo; Des spécialistes de ce secteur soutiennent que jusqu&rsquo;à présent tous les gouvernements qui se sont succédé n&rsquo;ont pas osé prendre la décision de payer la pension à l&rsquo;âge de 65. Une décision politique, selon plusieurs observateurs.</p>