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Cardinal Paul Poupard, ancien «ministre» de la Culture du Vatican : «Des scandales au Vatican ? Ah bon, lesquels ?»

10 octobre 2015, 07:11

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Cardinal Paul Poupard, ancien «ministre» de la Culture du Vatican : «Des scandales au Vatican ? Ah bon, lesquels ?»
Ne lui parlez pas des vilenies du Saint-Siège. Le cardinal français Paul Poupard, 85 ans, a beau être un fin connaisseur des arcanes romaines, il est plus à l’aise sur le vivre-ensemble à la mauricienne. En escale sur le chemin de l’île de la Réunion, il était dimanche dernier à Bonne-Terre, où il a présidé la messe du 500e anniversaire de la naissance de Thérèse d’Avila. Interview (un peu) purgatoire. 
 
Vous avez travaillé aux côtés de cinq papes, une singularité. 
Ce n’était pas écrit. Avec mon impétuosité de jeune homme, j’ai fait deux doctorats, l’un en théologie, l’autre en histoire. J’étais programmé pour être professeur d’université, la vie en a décidé autrement. Je suis devenu prêtre en 1954 et peu de temps après appelé au Vatican. J’ai travaillé auprès de Jean XXIII, puis plus longtemps avec Paul VI, un quart de siècle avec Jean-Paul II, puis Benoît XVI (il fut le plus ancien «ministre» des deux derniers, NdlR) et aujourd’hui le pape François, que je connais depuis 30 ans. Ce qui frappe les journalistes, c’est la discontinuité. Moi, c’est la continuité.
 
C’est compliqué une vie de pape ? 
Oui. Celui qui devient pape est englouti. Je me souviens d’une anecdote avec Jean-Paul II. Un jour, en feuilletant le dictionnaire des religions que je venais d’écrire, il tombe sur un article le concernant. Je lui dis combien c’est périlleux, pour un cardinal, d’écrire sur la philosophie du pape.Il me répond : «Seul Karol Wojtyla aurait pu parler philosophie», et il ferme le dictionnaire. J’ai vu un nuage de nostalgie passer dans ses yeux. Devenu pape, il avait renoncé à sa pensée personnelle.
 
Le Vatican est-il si riche qu’on le dit ? 
«La richesse du Vatican n’atteint pas le tiers du budget de mon diocèse», disait l’archevêque de Cologne. Tout est dit. 
 
Le royaume de Dieu n’a plus un denier ? 
Il serait exagéré de dire que le Saint-Siège tire le diable par la queue (rire). Mais depuis Jean-Paul II, les papes font régulièrement appel à la générosité des fidèles.
 
Les particularités du plus vieil État du monde sont nombreuses… 
Extrêmement nombreuses. La première est sa taille réduite. Il est censé s’adresser à 1,5 milliard de fidèles à partir d’un territoire n’excédant pas 33 hectares (moins de 1 % de Port-Louis, NdlR). Cet État ne se limite pas au spirituel. Il bat monnaie, possède des médias, une poste, une gendarmerie… 
 
Vous vivez au Vatican depuis presque un demi-siècle. Connaissez-vous tous ses secrets ? 
(Direct) Je n’en connais aucun. 
 
Sont-ils trop bien gardés ? 
Non, parce qu’à ma connaissance il n’y a pas de secrets. 
 
Pourquoi tant de scandales, alors ? 
Des scandales au Vatican ? Ah bon, lesquels ? Vous êtes la première personne à Maurice qui me parle de scandales…
 
Pas plus tard que samedi dernier, à la veille du synode sur la famille, ouvert par le Pape François, un haut dignitaire du Saint-Siège a annoncé son homosexualité en dénonçant le retard de l’Église sur le sujet... 
Cela m’attriste, bien sûr. 
 
C’est tout ? 
(Sec) Que voulez-vous que je vous dise ? 
 
Pensez-vous, comme Monseigneur Charamsa, que le clergé est homophobe ? 
Vous avez lu ça où ? 
 
Dans le Corriere della Sera. 
(Passablement agacé) Poursuivez votre lecture… 
 
Le clergé, écrit-il, est «homophobe jusqu’à la paranoïa car paralysé par le manque d’acceptation pour sa propre orientation sexuelle. Ils sont nombreux, les prêtres homosexuels qui n’ont pas le courage de sortir du placard». Vous en pensez quoi ? 
J’en pense que vous allez terminer seul votre lecture. Si j’avais su que nous discuterions de cela, je vous aurais épargné la route. (Il se lève pour mettre un terme à l’entretien) 
 
Vos impressions sur ce premier séjour à Maurice ? 
Ah, voilà qui est plus intéressant. J’ai découvert tout un univers. Enfin, pas totalement puisque j’étais très lié au Cardinal Margéot qui me parlait souvent de son pays. Je l’entends encore me dire : «Il faut que tu viennes, il faut que tu découvres Maurice !». C’est ce que j’ai fait et je suis dans l’émerveillement. Toutes ces communautés, si différentes dans leurs origines, leurs cultures et leurs convictions religieuses, vivent ensemble de façon paisible. Je ressens ici un désir de paix et de sérénité. Ce cher cardinal me l’avait dit, je le constate sur place.Les Mauriciens ont quelque chose à apprendre au monde, un art du vivre-ensemble, ce que les Italiens appellent la convivenza. C’est cette image de Maurice que je garde et que j’emporterai avec moi au Vatican.
 
L’image du Vatican est-elle déformée par les médias ? 
Le Vatican alimente les fantasmes. Je suis historien de formation, seuls les faits m’intéressent. 
 
En voici un : il ne se passe pas une année sans que la justice ne sonne les cloches au Saint-Siège. Pourquoi ? 
(Silence pesant)
 
Pourquoi est-ce si difficile de tourner la page des affaires ? 
Non mais… Vraiment… Je suis déconcerté par cette question. Où voyez-vous des affaires !? 
 
En mai dernier, le responsable des finances du Vatican a été accusé d’avoir couvert un prêtre pédophile. Quelques mois plus tôt, une enquête longue de trois ans sur la Banque duVaticana démontré qu’elle facilitait le blanchiment d’argent. Juste avant, l’affaire «VatiLeaks». On continue ? 
(D’un air détaché) Vous me sortez tous les poncifs éculés. Je suis en train de perdre mon temps avec vous. 
 
Pas des poncifs, votre Éminence : ce sont des faits. Est-ce tabou d’en parler ? 
Je suis fatigué de lire ces histoires-là dans les journaux. 
 
Les victimes, elles, sont peut-être un peu plus que fatiguées… 
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas pensé. Je ne veux pas m’exprimer sur des sujets qui ne m’inté- ressent pas, c’est tout. Cela ne veut pas dire que je nie les faits ou qu’ils ne m’attristent pas. Comme tous les cardinaux, je reçois les bilans financiers de l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la dénomination officielle de la banque du Vatican, NdlR), mais je vais vous décevoir, je suis incompétent pour les comprendre. Comme dans toute institution humaine, il est clair qu’il y a des gens qui… À ce momentlà on fait le ménage. 
 
Le ménage a-t-il été fait ? 
À part les banquiers, personne ne connaît le secret des banques. Après, vous êtes libre de fabuler.
 
La fermeture de 3 000 comptes douteux ou dormants, le blocage de 1 300 autres, ce sont des fabulations? 
Là, vous commencez à me fatiguer. Des scandales, il y en a eu, c’est sûr, mais à quoi bon y revenir ? 
 
Pour tenter de démêler le vrai du faux, les faits des fantasmes. À moins d’être dans le déni… 
Écoutez-moi bien : personne, surtout pas moi, ne cherche à cacher ou à nier quoi que ce soit. Oui, il faut périodiquement faire le ménage au Vatican. Oui, ces choses ont existé et existent, mais Benoît XVI et le pape François les ont condamnées. Une commission d’enquête a été mise en place sur la banque et une restructuration est en cours. Je ne connais pas d’autre chef d’État qui, confronté aux scandales, s’exprime de manière aussi ferme. Vous en connaissez, vous ?