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Assad Abdullatiff: «Un taux d’imposition plus faible peut se traduire par des recettes fiscales supérieures»

18 mars 2015, 08:52

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Assad Abdullatiff: «Un taux d’imposition plus faible peut se traduire par des recettes fiscales supérieures»

À quelques jours de la présentation du Budget, le Managing Director d’Ax1s Fiduciary Ltd aborde les opportunités de croissance en Afrique et les retombées pour le secteur mauricien des services financiers. Il estime qu’une augmentation des taxes pourrait freiner l’investissement ou entraîner la fuite des capitaux.

 

Les tendances dégagées par le discours programme, les déclarations du ministre des Finances sont autant de pistes qui ont, dans une large mesure, influé sur les attentes du Mauricien par rapport au prochain Budget. Quelle serait, selon vous, la philosophie de celui-ci ?

Les détails du Budget étant un secret bien gardé, il est difficile de savoir à l’avance ce qu’il pourrait contenir. Cependant, au vu des tendances dégagées non seulement du discours programme mais aussi des thèmes de la campagne électorale, des déclarations et du body langage du grand argentier, l’on se dirige vers un budget de rupture avec ceux du précédent régime qui étaient perçus comme étant pro grand capital/ultralibéraux.

 

Le nouveau ministre des Finances semble vouloir placer le peuple au centre de ses préoccupations et du Budget. Ce ne sera pas un budget populiste. Il s’attellera plutôt à répondre aux préoccupations du peuple. Son objectif ne se limitera pas à la création de richesse mais il s’assurera que celle-ci ruisselle vers le peuple afin d’améliorer son bien-être. D’ailleurs, le titre du discours programme, à savoir Réaliser un changement significatif, est très évocateur. Le but défini dans le discours programme consiste, je cite, à «amener le peuple vers le bonheur, la prospérité et un avenir meilleur». Donc, le focus n’est pas sur l’économie en soi ou pour soi, mais sur l’utilisation des outils économiques afin que in fine le peuple devienne plus prospère. Quelque part, c’est un retour aux sources. C’est autour de ce thème central que devrait s’orienter le Budget 2015.

 

Le gouvernement a annoncé la couleur avec, notamment, l’octroi une compensation «across the board» de Rs 600 et une révision à la hausse de diverses allocations sociales. Qui, selon vous, devrait passer à la caisse ?

Un gouvernement recueille de l’argent principalement à travers la fiscalité. Il peut tout aussi bien emprunter. Il n’y a donc pas 36 solutions. Il faut que le gouvernement augmente ses revenus fiscaux pour compenser les dépenses additionnelles. Dans le meilleur des cas, cela ne requiert pas une augmentation des charges fiscales. Le gouvernement réussit son pari en ayant recours à deux mesures. D’abord par l’augmentation de la croissance qui, à son tour, amplifiera les revenus fiscaux. Ensuite, en diminuant le gaspillage. D’ailleurs le ministre des Finances l’a annoncé lundi : la TVA et la taxe ne connaîtront aucune hausse.

 

Si tel était le cas quels sont les effets collatéraux auxquels le pays s’exposerait ?

Cette posture peut freiner l’investissement. Elle peut également entraîner la fuite des capitaux et encourager une planification fiscale agressive. En conséquence, une augmentation d’impôts ne veut pas dire une augmentation des recettes dans tous les cas. Au cas contraire, dans certains cas, l’application d’un taux d’imposition plus faible se traduit par des recettes fiscales supérieures.

 

Ce principe a déjà été mis en pratique à Maurice. L’application de la fameuse courbe de Laffer a donné les résultats escomptés. Rama Sithanen, ex-ministre des Finances, en a fait la démonstration en 2007. Le taux d’imposition pour les sociétés et pour les individus a été ramené à 15 %. Ce qui n’a pas empêché l’État de récolter plus de revenus fiscaux. C’est un exercice d’équilibriste qui attend le nouveau Grand argentier !

 

Parlons plus précisément d’un secteur que vous connaissez bien, à savoir le secteur des services financiers. Comment se porte-t-il à la veille du prochain Budget ?

Il se porte généralement bien. Sa contribution au produit intérieur brut, le GDP, est estimée à 10,3 % pour 2014 avec un taux de croissance d’environ 5,4 %. En ce qui concerne le sous secteur du global business, Maurice compte environ 26 000 entités et 900 fonds d’investissements internationaux qui opèrent depuis Maurice mais qui entreprennent des activités qui sont mises à exécution en dehors de Maurice. Le secteur emploie environ 13 000 personnes. Il est l’un des principaux piliers de l’économie.

 

Avec l’Afrique qui suscite de plus en plus d’intérêt auprès des investisseurs internationaux, Maurice s’est naturellement positionné comme centre financier régional inéluctable pour le continent et est largement décrit comme le Gateway to Africa. Son vaste réseau d’accords bilatéraux avec les pays du continent africain, son climat d’affaires, son cadre juridique et réglementaire, de même que son régime fiscal attrayant, entre autres, font de Maurice une juridiction de choix pour l’établissement de fonds ou autres entreprises d’investissement.

 

Sa position géographique et sa proximité avec l’Afrique ont fait du pays le passage incontournable du flux d’investissement entre l’Est et l’Ouest en direction des marchés émergents de l’Afrique. Comme le nombre de riches et d’ultra riches continue d’augmenter sur le continent africain, de nouvelles opportunités se présentent au niveau de la gestion et de la protection du patrimoine. C’est un fait que les opportunités existent.

 

Elles ne sont certainement pas exemptes de défis, voire de risques. Quels sont-ils ?

Un certain nombre de défis se profilent. Ce sont le changement d’attitude envers la planification fiscale, l’érosion de la confidentialité et l’échange automatique d’informations. La juridiction doit s’adapter rapidement à ces nouvelles donnes, à défaut de quoi elle perdra son avantage concurrentiel. Il ne faut pas être complaisant. Bien au contraire, il faut continuer à approfondir et à diversifier la gamme d’activités et de services qui peuvent être fournis à partir de Maurice. La diversification des activités du secteur des services financiers est un must.

 

Un secteur des services financiers, c’est un peu un État dans un État. Maurice n’échappe pas à cette règle ou cette perception. Quels sont les risques inhérents à cette filière, qui n’est pas à l’abri d’une migration des capitaux qu’il abrite ?

La perception selon laquelle un secteur des services financiers est un État dans un État n’est pas juste. Cette perception sous-entend que les opérateurs de ce secteur se comportent de façon autonome comme s’ils ont peu ou pas de comptes à rendre à quiconque. Au fait, c’est tout le contraire. Le secteur des services financiers est probablement le secteur qui est le plus réglementé et régulé.

 

À Maurice, personne ne peut entreprendre une activité associée aux services financiers si elle n’a pas obtenu, au préalable, une autorisation de la Banque centrale ou de la Financial Services Commission, l’organisme régulateur du secteur, dépendant du type d’activité envisagée. L’obtention d’une licence requiert du demandeur l’obligation de satisfaire un certain nombre de conditions au départ, mais aussi pendant toute la durée de vie de l’entreprise. Il y a aussi des exigences en matière de conformité, de rapports et d’obligation de dépôt de documents.

 

Qu’en est-il des activités du business global ?

La loi exige qu’une demande pour une licence globale soit faite à travers une société de gestion qui est elle-même autorisée à opérer et réglementée par la Financial Services Commission. De plus, les sociétés du business global doivent en permanence disposer localement d’une société de gestion. Le rôle de celle-ci consiste à veiller à ce que ladite société se conforme aux lois et aux réglementations en vigueur. Les institutions financières ont également une obligation de déclarer toute transaction suspecte à la Financial Intelligence Unit.

 

Peut-on en dire autant de la situation au niveau du sous-secteur du business global ?

Le sous-secteur du global business est plus vulnérable à une migration des capitaux. Cela s’explique par le fait qu’il opère dans un contexte international. Il est soumis à des conditions et à des pressions qui viennent de l’extérieur. En outre, les clients et le business sont hors de Maurice. D’où la nécessité de ne pas être complaisant. Il faut continuer à innover. C’est une posture indispensable pour rester compétitif et garder une longueur d’avance !

 

Parlons de l’Inde. D’un côté, elle donne la garantie qu’elle ne fera rien qui puisse être préjudiciable à l’intérêt de Maurice. De l’autre, elle invite les hommes d’affaires à investir en Inde même par le biais du Foreign Portfolio Investment. Les investissements ne sont pas taxables. À quel jeu joue l’Inde ?

La création de centre financier international a fortuitement coïncidé avec la libéralisation de l’économie indienne par Rajiv Gandhi dans les années 1990. Comme Maurice avait déjà une convention de non double imposition fiscale avec l’Inde, elle devint la juridiction préférée des investisseurs internationaux désireux d’investir en Inde. C’était parce que dans le cadre de la convention, un investissement réalisé à partir de Maurice est exonéré d’impôts sur les plus-values en Inde quand cet investissement est réalisé. La convention accorde à Maurice le droit de taxer les plus-values. Mais à Maurice, il n’y a pas de taxe sur les plus-values.

 

En utilisant la plateforme mauricienne, l’investisseur optimise son retour sur l’investissement. Une des considérations principales d’un investisseur qui s’engage dans un marché émergeant et où le risque est latent, est le retour sur investissement. En offrant cette optimisation sur le retour sur investissement, Maurice a certainement contribué et continue à contribuer grandement à l’augmentation du volume d’investissement étranger en direction d’Inde.

 

Quelle est alors la pertinence de l’Inde à rechercher une révision de la convention ?

Au départ, la préoccupation principale était que Maurice est utilisé pour faire du round tripping. Cette perception a perduré même si Maurice a toujours maintenu qu’il n’y avait aucune preuve concrète de l’existence d’une telle entorse à la convention. Au contraire, les autorités mauriciennes ont fait la démonstration de l’existence de mesures robustes pour combattre tout risque de recours au round tripping. Ensuite il a semblé que l’Inde voulait également revoir la clause relevant de la taxation des plus-values.

 

Il y a quand même eu l’épée de Damoclès que sont la Direct Tax et le General Anti-Avoidance Rule, le fameux GAAR

L’introduction éventuelle du Direct Tax Code et du General Anti- Avoidance Rule (GAAR), a créé de grandes incertitudes dans le marché des affaires. Elle a même envoyé une onde de choc à la Bourse indienne.

 

Les choses ont-elles évolué dans la direction souhaitée avec la nouvelle administration ?

Beaucoup d’espoir a été placé dans la nouvelle administration. Elle a promis de relancer la croissance et de mettre le cycle d’investissement sur la bonne voie. Il y a certainement de très bons signaux et non des moindres. Il paraît que le gouvernement indien aurait décidé de reporter le GAAR indéfiniment. Ensuite, il y a eu la garantie donnée par le Premier ministre indien. Pendant son séjour de 24 heures à Maurice, Narendra Modia clairement fait comprendre qu’il apris la mesure de l’importance du secteur des services financiers dans l’échiquier économique du pays. Il a assuré que l’Inde ne fera rien pour nuire à ce secteur dynamique. Un message plein d’espoir !

 

Les rapports entre Maurice et l’Inde sont caractérisés par une contradiction surprenante. Échaudés par des expériences en Afrique qui ont été peu encourageantes, certains investisseurs arguent qu’en fin de compte, l’avenir du secteur mauricien des services financiers devrait se jouer en Inde. La diversification de ce secteur est-elle donc vouée à l’échec ?

L’un n’empêche pas nécessairement l’autre. Bien que Singapour ait dépassé Maurice comme la plus grande source d’investissements directs étrangers vers l’Inde pour 2013-2014, cela a été de courte durée. Maurice a vite récupéré sa position en 2014 et reste une juridiction de choix pour investir en Inde.

 

En ce qui concerne le continent africain, au contraire, les statistiques tendent à prouver que les opportunités d’investissement en Afrique continuent à croître de façon exponentielle.

D’après un rapport du Fonds monétaire international, le continent africain devrait comporter six des dix économies ayant le meilleur taux de croissance au monde. En dehors de la liste des dix, les pays africains dominent également le Top 20 des économies avec le meilleur taux de croissance au monde. L’Afrique a été décrite comme le lion économique de ce siècle.

 

Quels sont les secteurs susceptibles d’aider l’Afrique à réaliser une telle performance ?

Les possibilités d’investissement existent dans presque tous les domaines de l’économie, dont l’agriculture, le tourisme, les minéraux, l’Infrastructure, l’industrie de la consommation et les services financiers. Les statistiques locales démontrent aussi un accroissement du nombre de compagnies engagées dans le business et au niveau des fonds globaux et qui oeuvrent à orienter des projets d’investissement vers l’Afrique. Les données indiquent également une tendance à utiliser davantage la juridiction pour la gestion et pour la protection du patrimoine. Il n’y a pas que l’investissement inbound en Inde. Rien n’interdit à Maurice d’agir comme un centre financier régional pour les entreprises indiennes désireuses d’investir en Afrique.

 

Des pays signataires de traités préconisant la suspension de la double taxation demandent qui une révision, qui une renégociation avec en filigrane une bonne dose de suspicion quant à la crédibilité du secteur mauricien des services financiers. À quoi attribuez-vous la persistance de cette tendance alors que les autorités soutiennent que le secteur des services financiers local est celui où les réglementations sont les plus rigoureuses ?

Cette perception est l’oeuvre d’une minorité. Une convention est un traité bilatéral. Elle est gouvernée par le droit international. Elle ne peut généralement pas être résiliée ou amendée par un des pays signataires de façon unilatérale. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un pays peut vouloir renégocier une convention. C’est très rarement dû à une quelconque «suspicion» quant à la crédibilité de Maurice. Cette démarche peut être motivée par des raisons commerciales. Elle peut avoir comme finalité la possibilité d’aligner les articles de la convention à ceux des lois domestiques ou pour les rendre plus pertinents entre autres.

 

Dans quel état d’esprit ces négociations, lorsqu’elles ont été engagées, se déroulent-elles ?

Elles s’effectuent dans un esprit de compromis. Maurice ne devrait pas souffrir d’un problème de crédibilité. Elle est une juridiction propre et de substance. Elle bien régulée. Maurice n’a jamais figuré sur une liste noire. Elle a une excellente feuille de route. Elle est reconnue comme tel par des organismes tels que la Banque mondiale, la Heritage Foundation, le Mo Ibrahim Index of Governance et l’Organisation de coopération et de développement économiques. Celle-ci a alloué à Maurice une excellente note globale de conformité aux règles et aux normes établies au même titre que des pays tels que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis entre autres.

 

Par où est-ce que le bât blesse alors ?

C’est sans doute au niveau de la communication. Le pays n’investit pas assez dans la promotion de l’image de son centre financier dont la réputation dépasse de loin ses frontières. Avec un tel palmarès, Maurice n’a plus le droit de se cantonner à son système de promotion actuel. Il doit être plus agressif. Maurice doit déployer plus d’efforts pour faire connaître la réputation de son centre financier. C’est le meilleur moyen de dissiper les mauvaises perceptions qui entachent sa réputation et qui résultent d’une communication trop restreinte.