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Dominique Paturau, le plus ancien pilote mauricien de MK, actuellement à la retraite: «La façon dont les gens sont traités à Air Mauritius est inacceptable»

17 août 2014, 13:06

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Dominique Paturau, le plus ancien pilote mauricien de MK, actuellement à la retraite: «La façon dont les gens sont traités à Air Mauritius est inacceptable»

Le commandant de bord, qui est aujourd’hui descendu de l’avion, n’hésite pas à voler dans les plumes de la compagnie nationale d’aviation. Plusieurs nuages planeraient sur la tête de celle-ci, selon lui. Embarquement immédiat.

 

Comment expliquer qu’un commandant de bord quitte Air Mauritius (MK) «déçu», après 36 ans de bons et loyaux services ?

Je suis déçu de la façon dont les gens sont traités à MK. Ce qui m’est resté en travers de la gorge, c’est que le Chief Executive Officer, que je n’ai jamais rencontré ou croisé durant ma carrière, ait refusé à deux reprises de me rencontrer avant mon départ à la retraite. Personne de la direction n’était présent à l’aéroport samedi après mon dernier vol commercial. Mais, ce n’est pas ça qui va m’empêcher de dormir. J’adore cette compagnie. MK, c’est toute ma vie. 

Résumez-nous justement ces 36 années…

J’ai eu une carrière exceptionnelle au sein de la compagnie, depuis que j’y ai débarqué en 1978. Grâce à elle, je peux me targuer d’être le premier Mauricien à avoir eu la chance d’intégrer la prestigieuse école nationale d’aviation civile à Toulouse, considérée comme la meilleure au monde. MK m’a aussi chargé de piloter des appareils de Lufthansa et pendant deux mois, j’ai mis le cap sur New York, Boston et Washington. Je suis passé tour à tour commandant de Twin Otter vers la fin des années ’80, chef pilote et  commandant de bord. J’ai par ailleurs eu la chance d’aller «chercher» le premier A340 à Toulouse, en compagnie de Ranjit Appa, ancien Chief of Operations.

MK vous a suggéré de prendre la direction des «Flight Operations». Pourquoi avoir décliné l’offre ?

On m’a fait cette proposition en deux occasions et, à chaque fois, le refus relevait d’un choix personnel, car je ne suis pas un politicien… La politique a tellement de poids au sein de cette compagnie. Je suis un technicien et j’ai du mal à me retrouver dans ce milieu. Certes, j’aurais gagné plus d’argent si j’avais accepté, mais je ne le regrette pas du tout. Tout comme je ne regrette pas d’avoir décliné des propositions faites par Air France, puisque je suis également détenteur d’un passeport français. Mais je n’ai jamais voulu partir. J’aime mon pays, j’aime la mer. La qualité de vie ici n’a pas de prix.

Le vol qui vous a le plus marqué durant votre carrière ?

Un vol sur Rodrigues avec le pape Jean Paul II, qui m’a signé mon carnet de vol ce jour-là. Hormis le pape, ils n’étaient que trois autres passagers à bord de l’avion : un prêtre étranger qui l’avait accompagné, le cardinal Jean Margéot et sir Bhinod Bacha. J’ai en outre eu la chance de pouvoir conduire d’autres personnalités et chef d’État, dont Jacques Chirac, à bon port… Ce qui m’a aussi vraiment marqué durant ma carrière, c’est la  disparition de ce jeune copilote d’Air Mauritius, Jason Espitalier-Noël, qui portait aussi la casaque de jockey. Il a péri le 28 août 1983 alors qu’il se trouvait à bord du bimoteur Cessna, en compagnie de Claude Lagesse. Tous deux entreprenaient alors des recherches pour retrouver le frère de ce dernier, disparu en mer. Je venais de faire le check final de Jason et il devait effectuer son premier vol en tant que commandant de bord de l’ATR, le lundi suivant le drame…

Votre pire souvenir en tant que pilote de ligne ?

J’ai rencontré pas mal de problèmes techniques. Mais, le pire a été sur un vol Maurice- Johannesbourg, quand nous avons été foudroyés par un orage en plein jour, entre deux nuages. Nous avons eu l’impression qu’un canon explosait audessus de nos têtes. Au début, j’étais un peu effaré, mais il faut toujours garder son calme quand on occupe ce genre de poste. L’entraînement dont nous bénéficions nous prépare à faire face à ce genre de situation.

Avez-vous été contacté par la direction de MK depuis votre dernière interview accordée à la presse ?

Absolument pas. Même pas un petit mot de leur part. Zéro.

Si demain, la direction de MK vous reçoit, que lui direz-vous ?

De mieux traiter les gens. La façon dont Air Mauritius traite les gens est inacceptable. Il y a cinq ans de cela, la compagnie a voulu me mettre à la porte, parce que j’avais déjà atteint l’âge de 60 ans. Une démission qui prenait effet 24 heures après la réception d’un mail. À cette époque, ma retraite officielle ne démarrait qu’à 61 ans et trois mois, puisque je suis né 1949. Sur le conseil de quelqu’un issu du milieu légal, une simple lettre adressée à MK a fait que celle-ci retourne sa veste le même jour, pour me proposer un nouveau contrat. Pour vous dire, qu’on soit commandant de bord ou bagagiste, chaque employé mérite un minimum de respect. On ne renvoie pas les gens par courriel !

 

Il y a aussi, selon vous, un trop grand nombre d’expatriés au sein du corps de pilotes à «Air Mauritius».

En effet, ce n’est pas normal que deux tiers des pilotes de la compagnie soient des expatriés, dont certains touchent dès leur première année le Top Salary (NdlR, des 169 pilotes, incluant les pilotes d’hélicoptère, que comptait MK à fin 2013, seuls 71 sont des Mauriciens). Il faut mieux considérer les Mauriciens car j’ai énormément d’anecdotes de compatriotes qui sont pénalisés par rapport aux expatriés.

 Je n’ai rien contre ces derniers, qui sont d’excellents professionnels, mais nous avons aussi une quarantaine de pilotes mauriciens sur le marché qui sont aussi bien, voire mieux, et plusieurs ont postulé à MK mais travaillent aujourd’hui en Afrique, n’ayant pas été retenus dans leur pays. Dans la région, aucune autre compagnie aérienne, que ce soit Air Austral, Air Seychelles ou Air Madagascar, n’emploie de pilotes expatriés. Et cela, je l’ai dit au Premier ministre avec qui j’ai partagé un vol sur Bruxelles il y a deux mois de cela, ainsi qu’au président quand celui-ci se rendait à Johannesbourg.

Quelle a été la réaction de Navin Ramgoolam et de Kailash Purryag?

Ils étaient tous deux choqués face à la situation. 

Qu’est-ce qui freine la «mauricianisation» du corps de pilotes de MK?

Le fait que les pilotes soient obligés de passer par le Twin Otter. Alors que pour les deux appareils du genre de MK, on n’a besoin que de 15 copilotes au maximum. Les gars qui sont là actuellement prennent énormément de temps pour évoluer et prendre les  commandes d’avions à réaction comme l’Airbus. Il est grand temps que MK revoie ce système et fasse en sorte que les pilotes démarrent directement sur des avions à réaction plutôt que sur les Twin Otter, comme cela se passe ailleurs, à Air France notamment. La formation est adéquate pour ça.

Un chef pilote décrit comme un «gentleman» par plus d’un chez MK, ça ne court pas les rues. Un conseil aux plus jeunes de la profession ?

Nombreux d’entre eux sont vraiment excellents. Ce que je peux leur conseiller, c’est de faire leur travail le plus sérieusement possible sans toutefois trop se prendre au sérieux, car il ne faut surtout pas être comme un flic à bord d’un avion.

Comment votre retraite a-t-elle démarré et comment va-t-elle se poursuivre ?

Je vais passer mon temps répondre aux divers mails et coups de téléphone (rires). Je vais aussi prendre la mer avec mon épouse Pascale. Nous avons la chance d’avoir, depuis quelque temps un très beau bateau, un héritage de son père. Je compte aussi passer un maximum de temps avec mes trois merveilleux enfants.

Regretterez-vous de ne pas pouvoir être au contrôle des «Airbus A350» de MK en 2017 ?

Ca va me manquer, sûrement. Mais, personnellement, de tous les avions, je préfère les conventionnels tels que le 707 et le 747. Car piloter de tels appareils permet de mieux connaître le niveau du pilote. Mais il est vrai que les avions modernes sont de plus en plus automatisés et qu’ils sont beaucoup plus sûrs. On ne peut aller contre le progrès.