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Mare-Chicose: les derniers survivants du village fantôme

24 octobre 2018, 21:31

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Mare-Chicose: les derniers survivants du village fantôme

La nuit va bientôt tomber. Le vent qui se lève ramène l’odeur des déchets jusque sous nos narines. Nous sommes à Mare-Chicose, dans l’Est. Plus précisément dans le village qui se trouve à moins d’un kilomètre de ce dépotoir portant le même nom et où un incendie a éclaté le week-end dernier. Nous sommes au cœur d’un village quasi désert : le relogement des habitants, qui était tant attendu, se fait actuellement, petit à petit. Les maisons, laissées à l’abandon, abritent aujourd’hui les fantômes d’un heureux passé.

De grandes bâtisses inoccupées, sales et presque entièrement recouvertes de végétation. Des fenêtres ouvertes donnant une lugubre vue sur l’intérieur d’une modeste demeure où seuls quelques meubles cassés sont entassés. C’est sur ces images que nous nous sommes arrêtés. Le village de Mare-Chicose se prêterait bien au tournage d’un film d’horreur.

Seule une poignée de gens sont là, attendant de quitter un endroit qui semble déjà oublié des autorités. Il y a encore une dizaine d’années, plus d’une cinquantaine de familles avaient bâti leurs demeures ici. Mais l’odeur de déchets en décomposition qui émane du site d’enfouissement est devenue à peine supportable.

Patrouilles régulières

Le relogement se fait petit à petit. Les anciens propriétaires ont obtenu récemment leur contrat pour occuper des terres à Marie-Jeannie, Rose-Belle. Une situation qui condamne ceux qui sont toujours en attente à vivre dans un village oublié.

«Isi, partou bwa. Nous avons peur souvent. En plus, le soir, il y a des lampadaires qui ne fonctionnent pas, des personnes mal intentionnées peuvent se cacher dans ces cours abandonnées, témoigne Rajen Mohith, 59 ans. D’ailleurs, nous avons été obligés de solliciter la police pour qu’elle fasse des patrouilles régulières.» Ce planteur habite le village depuis sa naissance. Ses frères et lui ont construit leurs maisons sur les terres de leurs grands-parents. Mais il ne reste plus que lui ici, ses frères ayant déjà emménagé à Marie-Jeannie.

En jetant un coup d’œil aux fameux lampadaires, nous remarquons une ribambelle de chauves-souris. Sans doute ont-elles été attirées par les nombreux manguiers de la région. En regardant de plus près, nous constatons qu’elles ont, en réalité, été électrocutées en s’accrochant aux câbles électriques.

Rakhi Ramtaul, femme au foyer, veut connaître la raison de notre présence. Il n’en faudra pas beaucoup pour qu’elle nous raconte ses misères. Depuis que ses voisins sont partis, il semblerait, pour elle, que tous ceux qui sont restés ne comptent plus.

«Nous avons de gros problèmes de transport. Les autobus se font très rares. Les chauffeurs ne font plus cette route pensant qu’il n’y a plus personne. Mes nièces vont toujours à l’école. En période d’examens, leur père est obligé d’aller travailler plus tard pour les déposer à l’école», soutient Rakhi Ramtaul.

Elle soulève aussi le problème d’insécurité. Cette mère de famille se dit obligée d’avoir plusieurs chiens. «Des gens louches viennent dans les parages. Nous ne saurons pas s’ils s’approchent de nos maisons dans le noir. Il y a de grands arbres et de la végétation partout. Avec mes cinq chiens, je sais au moins quand quelqu’un vient. C’est comme ça que j’ai su que vous étiez là», affirme-t-elle.

Si pour elle quitter les lieux est une obligation, pour sa belle-mère Mooniah Ramtaul, fermière dévouée du haut de ses 79 ans, il est hors de question de se séparer des terres des «gran dimounn». «Monn né isi béti ! Je nourris des vaches et des cabris. C’est tout ce que j’aime faire. J’aime cet endroit. Là où ils veulent nous envoyer, nous n’avons pas le droit d’élever des animaux. Comment vais-je vivre ?», soutient Mooniah Ramtaul, sous le regard découragé de sa belle-fille.

«Nous avons cessé depuis longtemps d’essayer de la convaincre. Nous ne voulons pas laisser les grands-parents ici, mais ils ne veulent pas nous suivre.» D’ajouter que sa belle-mère a déjà eu tous ses papiers. «Nous attendons les nôtres. Nous espérons les avoir au plus vite pour commencer la construction de notre nouvelle maison et enfin quitter ce village où nous luttons encore pour faire savoir que nous existons. Dimounn mem ki ress isi !» lance ironiquement Rakhi Ramtaul.