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Décryptage: Amendement constitutionnel et réforme électorale

Un véritable serpent de mer !

30 avril 2024, 20:10

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Un véritable serpent de mer !

Le Conseil des ministres de Pravind Jugnauth, dans sa sagesse, a choisi, vendredi soir, de lancer concomitamment des consultations sur un nébuleux Draft Constitution (Amendment) Bill et un énième Draft Political Financing Bill alors que les préparatifs du 1er-Mai s’accélèrent, et que les manœuvres électoralistes et les appels de fonds sont bien enclenchés.

Personne ne connaît les intentions réelles du pouvoir en remettant sur la table des discussions ces sujets éminemment politiques et électoralistes, mais gageons que cela ne peut qu’être perçu par les stratèges du Sun Trust comme étant à l’avantage de la majorité et forcément, au désavantage de l’opposition qui doit, en peu temps de temps et de moyens, faire feu de tout bois. «Nous avons subi le redécoupage électoral ; nous sommes dans le flou quant aux listes électorales qui seront en vigueur, et maintenant, sans crier gare, on nous annonce un amendement constitutionnel et un projet de loi sur le financement politique sans que l’on sache quand le Parlement sera dissout. Un véritable imbroglio pour nous distraire», se plaint un dirigeant de l’opposition.

Ces derniers dix ans, les mêmes acteurs et partis ont repris la danse inachevée du système électoral. La cadence a changé, mais certains faits têtus et intérêts tenaces demeurent inchangés. Faisons ensemble un survol.

En mai 2014, nonobstant la lutte de Rezistans ek Alternativ (ReA), du Blok 104, le «pronouncement» des Nations unies et la pression de la Cour suprême pour l’élimination de la déclaration ethnique des candidats aux législatives, Navin Ramgoolam, Premier ministre, et Paul Bérenger, leader de l’opposition, mettaient en avant que la réforme électorale – un véritable serpent de mer dans le débat public – s’avère être une lutte aussi ardue que l’aura été, par exemple, l’accession de Maurice à l’Indépendance. Donc, le travail en amont d’une éventuelle réforme de notre système électoral était tellement complexe que le Parlement ne pouvait même pas siéger pendant de longs mois. Le Premier ministre et le leader de l’opposition trouvaient cela tout à fait normal car deux parlementaires – en l’occurrence Satish Faugoo et Alan Ganoo – sur 68 (soit moins de 3 %) étaient alors pris quelques heures dans un comité – qui rendait un sir Victor Glover perplexe.

Dans le jeu de Ramgoolam et de Bérenger, tout était presque réglé comme du papier à musique. Le script, rédigé depuis plusieurs mois par Ramgoolam et Bérenger, pour réformer le système électoral – à leur avantage – avait un objectif bien précis en cette année 2014 fatidique : proposer un seuil de représentativité proportionnelle de 10 % pour se débarrasser du Parti socialiste socialdémocrate (PMSD) et du Mouvement socialiste militant (MSM). Donc, faire d’une pierre pierre deux coups…

Acculés par ce seuil trop haut pour leur servir de perchoir, les Bleus avaient poussé le bouchon trop loin et Ramgoolam en avait profité pour leur rabattre le caquet. Sauf qu’en utilisant un bazooka (ce seuil de 10 %) pour tuer les Jugnauth et les Duval, le leader du Parti travailliste (PTr) et celui du Mouvement militant mauricien (MMM) (qui pensaient, à tort, détenir à eux deux 80 % de l’électorat) anéantissaient aussi tous les autres petits partis qui auraient pu apporter d’autres perspectives au débat national. Gains pour deux politiciens en fin de carrière et recul pour notre jeune démocratie.

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La Une du mardi 25 novembre 2014 au lendemain du Nomination Day.

Féru d’histoire et de la place qu’il y laissera, le leader du MMM se disait conscient qu’il leur fallait une majorité de trois-quarts pour faire aboutir cette réforme électorale (ce qui s’avérait compliqué si le PMSD et quelques travaillistes pur-sucre refusaient de suivre la partition du tandem Ramgoolam-Bérenger). Alors Bérenger sermonnait son ex-partenaire de l’opposition parlementaire :«Logiquement, les neuf députés MSM doivent voter pour, sinon le MSM devra assumer ses responsabilités devant l’histoire.»

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Manifestation contre la nomination des députés correctifs devant l’hôtel du gouvernement, le 6 juillet 1982.

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En juillet 2014, mini ou maxi amendement constitutionnel ? C’est une question de perspectives et de contextes. Il y en a plusieurs. Et ils peuvent nous détourner de l’essentiel. De quoi parle Pravind Jugnauth en avril 2024 ? L’amendement constitutionnel qu’il présentera est-il lié au financement politique (et partant à son adversaire dont les coffres-forts refont surface) ou vise-t-il à régler le problème d’appartenance ethnique qui avait privé l’accès à la candidature, entre autres à des membres de ReA ?

Dix ans de cela, l’acceptation quasi-générale du Constitution (Declaration of Community) (Temporary Provisions) Bill s’inscrivait dans la continuité d’une lutte en faveur d’un État qui continuait sa sinueuse route de décolonisation et de décommunalisation. C’était un pas en avant, dans notre nation-building. Tout comme celui que le MMM, en 1982, avait accompli en mettant fin à la pratique du recensement communal, dont l’objectif était d’enfermer les Mauriciens dans quatre cases communautaires.

Déjà, à l’époque, dynamisés par un retentissant 60-0, nombre de jeunes poussaient pour l’élimination pure et simple du Best Loser System (BLS). Mais, pragmatique, et ayant jadis, lui-même, trouvé refuge derrière le paravent d’Anerood Jugnauth, Paul Bérenger a dû freiner cet élan populaire en expliquant aux militants que le MMM n’avait pas le mandat pour amender la Constitution afin de nous débarrasser du BLS.

Placé au cœur de notre système électoral dans un autre temps, un autre contexte, où il fallait surtout garantir la représentativité de toutes les composantes de la communauté, le BLS a joué son jeu communal, au fil des décennies. Certes, certains ont profité de ce système perverti mais, bon gré mal gré, il a accompli sa mission. Avec le métissage et l’ouverture des esprits, le BLS, selon nous, a perdu sa raison d’être. D’ailleurs, les calculs pour préserver les huit sièges additionnels divisent profondément. Et s’il semble y avoir une majorité qui s’accorde à dire que le BLS est dépassé, on constate aussi l’immortalité de réflexes passéistes au sein de pratiquement tous les partis politiques présents au Parlement. D’aucuns s’y accrochent encore, comme agrippés à une nostalgie dynastique, à une consanguinité d’un autre âge.

Il est aussi triste de noter que certains font la queue pour discourir et vont ostensiblement voter l’amendement constitutionnel, pour être du bon côté de l’histoire, mais ils n’affichent aucune honte à expliquer qu’ils déclareront, au prochain scrutin, leur communauté puisqu’il s’agira de profiter des sièges additionnels en cas de ballottage défavorable. Cela s’apparente à se ranger des deux côtés de l’histoire en même temps ou, comme dirait l’autre, à «manz banann dan dé bout».

Amendement provisoire

ReA.png Des membres de Rezistans ek Alternativ et leur avocat feu Me Rex Stephen à leur sortie de la Cour, le 23 janvier 2023. (À dr.) Ils avaient aussi comparu le 10 juin 2014.

Sur le plan historique toujours, comment ne pas revenir en 2005, quand ReA, un groupe de citoyens – en dehors du mainstream politique mais connecté aux réalités changeantes de notre nation –, avait commencé son combat juridique pour décommunaliser le jeu électoral local. La justice mauricienne avait été saisie. Le Privy Council aussi. Mais il aura fallu un ruling des Nations unies (ONU), en juillet 2012, pour que le gouvernement réagisse, pour qu’on opère, enfin, ce toilettage obligé de notre Constitution, comme un compromis face à un destin forcé. Tous ces efforts dépensés pour déboucher sur une solution temporaire, provisoire, interlocutoire, transitoire ! Car il nous faut toujours – et nous sommes en 2024 ! – attendre la fameuse fully-fledged réforme électorale, qui dépendait, dix ans de cela, d’une alliance PTr-MMM pour se matérialiser.

L’amendement constitutionnel, outre ses aspects historique et juridique, nous est souvent présenté dans un contexte politique particulier, sur toile de fond d’alliance entre deux partis.

Le leader du MMM s’était aussi chargé d’acculer Pravind Jugnauth en volant au secours de l’Electoral Supervisory Commission et du Premier ministre sur le mode de calcul (la formule mathématique de Sithanen qui se base sur les résultats de neuf élections depuis 1976) des prochains Best Losers.

La messe était dite en 2014 : le PTr et le MMM allaient soi-disant s’entendre et s’unir pour que le pays puisse enfin avoir une réforme électorale. Ramgoolam souriait avec complicité quand Bérenger sortait son slogan «un pays phare, un modèle de démocratie».

Comité ministériel présidé par XLD

Mais les deux vont mordre la poussière. Et un an plus tard, en décembre 2015, le Premier ministre adjoint Xavier-Luc Duval (XLD), chargé de revoir le système électoral, confiait à l’express : «Les attributions du comité interministériel sont importantes. Il ne sera pas trop difficile de suivre les best practices internationales en ce qui concerne le financement des partis politiques ou l’élargissement des pouvoirs de l’Electoral Supervisory Commission. En revanche, là où il sera plus difficile de trouver un accord, c’est sur la question de la proportionnelle, au vu des vested interests qui existent. Mais nous allons essayer…»* En vain.

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Cela peut effectivement faire sourire de relire qu’en 2014, au lieu d’écouter la rue, deux propriétaires de partis s’étaient servis d’un décret onusien pour s’inventer une fin de vie politique. Mais ce dont notre démocratie avait (et a toujours) besoin, ce n’est certainement pas d’une classe de politiciens qui profitent du système actuel et qui accouchent d’un amendement cosmétique. Ce dont nous avons besoin, c’est une loi sur le financement des partis politiques, sur les réseaux occultes qui ont pris notre pays en otage.

Qui financent nos politiciens ? Cette question est bien plus importante en termes de bonne gouvernance, de transparence, de lutte contre la corruption (comme celle qui a pourri le Champ-de-Mars) que de savoir, par exemple, si Michael Sik Yuen va, cette fois-ci, se déclarer membre de la communauté hindoue ou musulmane…

«White Paper ?»

En septembre 2018, alors que les élections se profilent, le serpent de mer qu’est la réforme constitutionnelle/électorale ressort sa tête. En attendant le fameux White Paper, ou le projet de loi, nous avons droit à des bribes d’information. Des petits bouts par-ci, d’autres par-là, disséminés par des membres du gouvernement ; un gouvernement acculé par l’affaire logée par Rezistans ek Alternativ devant l’ONU. C’est sans doute à cause de cela que le porte-parole d’alors du gouvernement sur ce dossier, Nando Bodha, délaissant le Metro Express et la route du Sagrin, évoque, à un moment, l’élimination du Best Loser System. Mais il n’explique pas vraiment par quoi ce système (qui bloque l’épanouissement du mauricianisme) sera remplacé.

Aussi, le gouvernement évoque vaguement un nouveau Parlement de 80 députés – les représentants additionnels ne seraient apparemment plus désignés par la commission électorale, mais par les leaders des partis. Outre d’être un gaspillage des fonds publics, n’est-ce pas là un pur recul démocratique ? Des propriétaires de partis, déjà omnipotents, qui vont désormais prendre sur eux pour placer leurs préférés sur les bancs de l’Assemblée nationale afin qu’on leur octroie salaire, voiture duty free, per diem, etc. En éditorial, on s’indignait : «Imaginez que sir Anerood Jugnauth y place son fils, Paul Bérenger sa fille et son gendre, ou Navin Ramgoolam une de ses cousines, sans que l’électorat ne puisse piper le moindre mot.»

En septembre 2018 toujours, l’autre sujet évoqué mais dont le mécanisme demeurait flou : le financement politique ! Il serait question, dit-on, d’un remboursement de l’État (c’est-à-dire de nos roupies) après la proclamation des résultats en se basant sur les scores ! Mais qui va donc financer la campagne et les élections avant ce remboursement ? Des bookmakers ? Des trafiquants de bonbonnes de gaz ?

Enfin, il y aurait, séparément, une loi antitransfuges présentée par un gouvernement qui avait accueilli Alain Wong, Zouberr Joomaye, Joe Lesjongard et Marie-Claire Monty.

Il était clair que le gros de l’électorat ne veut plus se laisser couillonner par des propriétaires de partis qui tentent de tirer le maximum de jus électoral d’un système politique qui les avait presque tous indistinctement nourris. Coffres-forts ou pas. Si pratiquement tout le monde était plus ou moins d’accord qu’il nous faut, sans tarder, réformer le système électoral inique (y compris les conservateurs purs et durs), d’autant qu’il y a le pronouncement de l’ONU à respecter, les chances qu’une vraie réforme, intégrale et intégrée, se matérialise demeurent minces… (À suivre)