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Ornella Laflèche-Froget

Femme d’influence

5 mai 2024, 22:01

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Femme d’influence

Il y a des destins qui se fracassent sur les premiers écueils de la vie. Certains traînent des séquelles pendant des années. D’autres se recroquevillent et s’enferment à tout jamais. D’autres encore, quoique cabossés, deviennent résilients, accusent le coup et attendent le bon moment pour se redresser comme le roseau de M. de La Fontaine. Ou comme l’autre dans ‘Jules César’, qui attend la marée montante. Ornella Lafleche-Froget fait partie de ceux qui se relèvent, reviennent, pour ensuite gagner le large.

Profession: influenceuse. Mais aussi mannequin. Silhouette longiligne, démarche style catwalk, déhanchement lascif, moue provocatrice, lèvres pulpeuses, dentition parfaite, sourire carnassier, cheveux au vent ; bref, l’incarnation de la femme moderne qui en jette. Une jeune femme moderne, a la tête de sa propre entreprise, une working girl, qui arrive à jongler avec un agenda quotidien infernal pour concilier son travail absorbant, sa vie de famille intense, ses obligations accaparantes d’épouse et de mère. C’est dire qu’elle se réveille aux aurores et se couche rarement avant minuit. Avec régulièrement des séances de gym à 4 heures du matin, les yeux rivés sur la balance, pour garder la forme et surtout ne pas dépasser la barre des 52 kg. D’autant que, quand elle est tombée enceinte, il y a trois ans de cela, elle avait tutoyé les 95 kg. Depuis, elle a retrouvé sa taille de guêpe.

À la voir afficher son bonheur aussi ostensiblement, d’aucuns pourraient croire qu’elle a eu une vie sans aspérités depuis sa naissance à la clinique de Lorette le 10 avril 1998. Son père Bernard Lafleche, mécanicien, qui avait épousé Annabelle Desveaux, secrétaire chez Panagora, est décédé le 11 novembre 2022 d’un accident cardiaque. Elle n’est pas encore remise de cette disparition. Ce n’est d’ailleurs pas le premier coup dur de son existence. «Ayant vécu avec des parents divorcés, j’ai grandi à différents endroits, mais s’il y a bien une rue qui m’a marquée, c’est la rue Commerson à Curepipe. C’est le Curepipe tout moisi, dans une petite maison qui me semblait plus grande avec mes yeux d’enfant. Cette maison a vu quelques-uns des meilleurs mais aussi des pires souvenirs de mon enfance», se souvient-elle.

Enfance meurtrie

Ces pires moments, elle les a revécus en 2020, quand la cour ne lui a pas donné gain de cause dans une affaire qu’elle traîne douloureusement dans sa mémoire d’enfant meurtrie. Elle affirme avoir été victime d’attouchements d’un proche alors qu’elle n’avait que neuf ans. Cela aurait duré quelques années. L’on peut facilement imaginer le boulet qu’elle a traîné pendant de longues années avant qu’elle ne s’en libère en révélant ses secrets qu’elle avait enfouis au plus profond de sa mémoire en estimant – comme beaucoup de victimes de prédateurs – qu’il vaut mieux se taire à cause du scandale que cela pourrait provoquer. À un certain moment toutefois, elle a estimé qu’il fallait faire ces révélations et dénoncer ainsi son agresseur présumé. Une manière de se libérer de ses démons terrés au plus profond d’elle-même.

L’ONG Pedostop a maintes fois expliqué pourquoi très souvent les victimes se murent dans leur silence et comment parfois, de manière surprenante, un déclic les pousse enfin à se désenclaver d’elles-mêmes pour traîner leur(s) agresseur(s) devant les instances judiciaires. Vingt ans après les faits, Ornella s’est présentée seule en cour, enceinte, démunie et totalement vulnérable. L’avocat de son agresseur, un ténor du barreau, rompu à ce genre d’exercice, n’en a fait qu’une bouchée sur la base de certaines incohérences de son récit !

Mélanie Vigier de La Tour-Bérenger, psychosociologue et membre du Kolektif D. Walmin et consultante à Konekte, nous explique ce syndrome et surtout ce poids du silence : «Un/e enfant victime d’agression sexuelle peut garder le silence sur ce qu’il ou elle subit pour plusieurs raisons : par méconnaissance que ce qui est vécu n’est pas normal ou est illégal ; par peur ; par honte, à cause du tabou autour de ce qui touche à la sexualité ; car la personne qui commet les actes est quelqu’un que l’enfant et/ou ses parents aime, en qui il/elle a confiance ; par déni qui fait que l’enfant va oublier ce qu’il/elle a vécu tant c’était douloureux et impensable.» L’enfant victime peut aussi se taire à cause du poids du secret, injonction de l’auteur/e de ces violences ou à cause de menaces, que si cela se dit, cela va «briser la famille» ou que personne ne le/la croira ou des menaces de violences ou meurtre sur un/e autre membre de la famille qui lui est proche.

Summit explique, en 1983, le syndrome d’adaptation/«accommodation» des enfants victimes d’agression sexuelle en plusieurs étapes : d’abord le secret ou non-révélation de l’enfant, puis le sentiment d’impuissance de l’enfant victime qui se sent pris au piège. S’ensuit la révélation tardive, non-convaincante et enfin, parfois la rétractation. Par ailleurs, Haesevoets en 2016 fait état des «transactions particulières entre un agresseur et sa victime», relevant d’un processus de victimisation et du syndrome d’accommodation, notamment dans des cas d’inceste. Il décrit ce processus comme un «piège relationnel qui se referme sur la victime et entraine l’agresseur dans un mouvement répétitif». Ces experts décrivent, de manière très éclairante, les processus à l’œuvre expliquant «le silence des enfants victimes».

Force, paix, sérénité

Par ailleurs, après ce verdict, contrairement à la chèvre de M. Seguin qui n’est jamais revenue, elle a retrouvé, dans la chaleur de sa famille, force, paix et sérénité. Surtout quand elle s’est rendu compte, par la suite, que la honte avait en fait changé de camp. De l’obscurité dans laquelle elle s’était recroquevillée et refugiée, elle s’est mise volontairement en pleine lumière comme pour assumer pleinement la femme épanouie qu’elle est devenue en mettant en scène sa vie professionnelle et privée et celle de sa famille quotidiennement comme influenceuse. Son fils Thomas, 3 ans, anime déjà quelques promotions à la télé. C’est dire que cette petite que la vie avait malmenée et fragilisée, est devenue aujourd’hui plus forte parce qu’elle n’a pas été terrassée. Nietzshe doit apprécier l’illustration de sa théorie.

Cela dit, pour revenir en arrière, elle fréquente au primaire l’école de Notre Dame de la Confiance mais avec le divorce de ses parents et les nombreux déménagements, elle fera ses études secondaires de la Forme 1 à la Forme 3 au SSS de Forest-Side ; et de la Forme 4 au HSC au Collège Lorette de Quatre-Bornes. Une scolarité normale, où elle réussit à tous ses examens. Elle n’a surtout pas été contaminée par l’accent tenace de cette institution, heureusement ! Mais elle se flatte qu’en biologie, elle s’est classée 7e au niveau national. Après ces résultats, sa vie bascule. Elle quitte la maison de ses parents et s’installe chez sa grand-mère Marcelline à Curepipe. «Un mauvais choix, suite à une mauvaise gestion d’une situation», dit-elle. Pour subvenir à ses besoins, elle travaille comme réceptionniste à la Swan et pour joindre les deux bouts, elle est hôtesse de soirée, mais c’est aussi pour faire du networking. Pendant des années, cela va être la galère.

Le 21 août 2021, elle épouse Gaël Froget, artiste-peintre, et de cette union, naîtra Thomas la même année. Elle commence à se faire connaître grâce aux réseaux sociaux et devient influenceuse. Elle jouit rapidement d’une grande notoriété : «Je ne sais pas exactement à quel moment ça a pris autant d’ampleur. Oui, influenceuse, c’est le nom qu’on m’a donné. Je préfère le terme ‘créatrice de contenu’. En gros, je crée du contenu visuel pour des marques aux fins de marketing sur les réseaux sociaux. Mais je n’en vis pas pleinement. J’ai surtout ma petite boîte de marketing digital L’Ormizir et j’offre mes services en consulting pour la création de contenu, stratégie et plan marketing digital. C’est comme du marketing traditionnel mais mise-à-jour selon les spécificités du monde digital.»

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Mais comme influenceuse, elle n’accepte pas n’importe quel produit et n’importe quel contrat. Il faut que le produit corresponde à sa personnalité : *«Je pense que ce qui fait la force de ma page et de la belle relation que j’ai avec ma communauté, c’est l’authenticité. Je n’accepte que des partenariats qui ‘fit’ mon lifestyle. Je teste avant de parler des produits. Il m’est déjà arrivé de refuser des contrats par manque de compatibilité avec la marque et ses valeurs.»*Malgré ce qu’elle en pense, une influenceuse répond à des critères précis de beauté – comme les réseaux sociaux en témoignent ; on ne peut pas vendre un produit, surtout si la vendeuse cultive un gros bouton sur le nez.

Est-ce que l’influenceuse, avec sa taille de mannequin, sa belle frimousse, sa démarche, se rend compte qu’elle alimente tous les fantasmes et que le regard masculin sur elle n’est pas neutre ? La réponse d’Ornella : *«Je suis perçue peut-être comme ça ; mais je fais attention à ne pas passer les mauvais messages. Je suis mariée et maman, pour mon plus grand bonheur, et je le dis haut et fort. Après, je ne concentre pas mon contenu sur l’aspect physique. Je suis mannequin, ça fait partie de mon métier mais je suis avant tout une maman, une femme qui partage ce qu’elle aime, ses avis. Je n’ai pas envie qu’on me voit comme une femme fatale, je suis bien plus. Sur ce plan, avec mon époux, je pense qu’on a su bâtir une relation de confiance et de communication solide. Il me fait confiance et vice versa. Lui aussi est un bel homme et je ne peux compter que sur lui pour faire respecter notre couple et ça va dans le même sens pour moi. Les gens peuvent faire le tour mais nous on connaît nos priorités et on partage les mêmes valeurs.»*Et elle ajoute : «Je m’aime quand je suis en mode fonceuse et battante et ce n’est que quand je me sens bien dans ma peau que j’arrive à répandre de la positivité autour de moi. Je ne veux pas transmettre le souvenir d’une maman renfermée à Thomas et je me force à être au top de ma forme. Je crois fermement que mon attitude d’aujourd’hui influencera l’adulte qu’il sera demain et je veux qu’il s’assume et qu’il sache s’aimer et prendre soin de lui.»

Le rythme d’Ornella est infernal. En plus, elle n’a même pas de cernes sous les yeux. À moins qu’elles soient bien dissimulées. Pour maintenir le tempo, telle est sa recette, surtout pour avoir une vie de couple équilibrée : «Tout est dans la balance, le planning et le bon timing. Quand mon petit est avec moi, c’est focus sur lui et la maison. Je travaille souvent quand il dort ou quand il est à la crèche. Puis avec Gaël, on se comprend dans la vie d’entrepreneur. Ça vient en phase. Parfois on travaille beaucoup plus qu’à d’autres moments mais avec une bonne communication, on arrive quand même à se donner du temps l’un pour l’autre.»

Du temps, bien sûr, pour son mari et son fils, elle en a aussi pour sa petite sœur, Anne-Sophie, 22 ans, encore à l’Université, pour laquelle elle a concocté un cheesecake à l’occasion de son anniversaire récemment. Toutefois, Ornella se souvient encore de manière vivace des lasagnes de son papa ; mais elle ne cache pas, comme toute bonne Mauricienne, qu’elle affectionne un bouillon de brèdes, une rougaille de poisson salé accompagnée de riz.

En toute simplicité.