
À Hildesheim, comme dans tant de villes allemandes, le passé n’est jamais loin. Sur la magnifique grand-place du marché, se dressant au-dessus des terrasses grouillantes de touristes attablés, les grandes maisons à colombages, celles des anciennes corporations de boulangers, de bouchers, de tisserands, renvoient à une histoire recomposée. Puisque toutes ces bâtisses sont des reproductions à l’identique d’originaux du XVIe siècle, cette époque idéalisée par Wagner, où la ville était surnommée la Nuremberg du Nord. En l’espace de quelques minutes, un jour de mars 1945, ce centre-ville sans enjeu militaire avait été rayé de la carte par les bombes de la RAF.
On trouve, au détour d’une église de style roman, un panneau discret qui renseigne sur ce que fut et devint alors Hildesheim. Même les plus jeunes, les derniers arrivés le savent.
Un peu plus loin, devant la façade néo-grecque du théâtre de Basse-Saxe, les habitants se détendent sur des chaises longues ou autour de tables fleuries en buvant du cidre, de la bière et en mangeant des pâtisseries, dont l’inévitable bretzel. Ils bavardent, savourant le soleil et la chaleur adoucie par la brise et les arbres, en ce samedi 18 juin. Et on les croirait presque au régime de ces dieux indolents que Hölderlin décrit dans son Chant du destin, ce poème qui a inspiré une oeuvre à Brahms, que l’orchestre et les choeurs maison vont donner le soir même : «Les habitants du Ciel vivent purs de Destin/ Comme le nourrisson qui dort.» C’est pourtant vers d’autres «habitants du ciel» que semble se tourner ledit concert, où solistes et choeurs, outre le Chant du Destin de Brahms, interprètent Printemps en Fionie de Nielsen et la Symphonie Chant de Louange de Mendelssohn. Vers ces «hommes de douleur [qui]/ Chancellent, tombent/ Aveuglément».
Ici, la vie reprend ses droits, on veut y goûter, mais on a une pensée pour les morts. Pour ceux que la pandémie a balayés. Le portrait amusant et presque badin du quotidien à la campagne que brosse Nielsen dans son oeuvre revêt luimême un voile de tristesse. Après tout, ces paysans-là, comme les vieux du village, on ne les reverra plus. Mais il faut garder l’espoir, et si orchestre et choeurs sont modestes, d’aucuns diraient provinciaux, ils font résonner avec ferveur l’Écriture sainte mise en musique par Mendelssohn. Le veilleur répond : «Le matin vient, et puis encore la nuit. Si vous voulez encore des nouvelles, questionnez. Revenez.»
À Hildesheim, la vie reprend mais on n’oublie pas.
Olivier MASSON