Publicité

Cargo Handling Corporation Ltd: manquements en série

19 juin 2023, 19:20

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Cargo Handling Corporation Ltd: manquements en série

Le désaccord concernant la performance du port entre le Premier ministre et le leader de l’opposition, lors de la «Private Notice Question» (PNQ) du 6 juin, s’est cristallisé autour de la question des employés. Tandis que Pravind Jugnauth a tenté d’imputer la performance médiocre aux travailleurs de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), Xavier-Luc Duval a soutenu que ce sont les décisions prises en amont qui ont conduit à la position catastrophique de Port-Louis dans le «Container Port Performance Index 2022». Sur fond de ces controverses, Presley Paul, le directeur général, a démissionné. Toutefois, la situation critique couvait depuis un moment, de nombreux rapports ayant souligné des dysfonctionnements sans que des solutions efficaces ne soient mises en place.

Sureffectif

Un des problèmes majeurs reste le sureffectif. Selon Pravind Jugnauth, la CHCL est surchargée en personnel, ce qui complique la négociation d’une restructuration avec les syndicats. En réponse à cette affirmation, Xavier-Luc Duval a exprimé sa tristesse devant la tendance du Premier ministre à attribuer la situation actuelle uniquement aux employés. À cet égard, ces derniers sont catégoriques. «Il est vrai qu’il y a eu 700 recrutements entre 2006 et 2009. Cependant, le Premier ministre a omis d’en mentionner le nombre de 2014 à aujourd’hui. Tous les partis politiques ont placé des personnes au port et cela continue», expliquent-ils. Ils soulignent également le fait qu’ils sont souvent contraints de faire des heures supplémentaires car il n’y a pas assez de personnel pour maintenir le port en activité 24h/24. Pour eux, si des recrutements superflus ont réellement eu lieu, le problème réside dans la gestion des ressources humaines. D’après le rapport de PwC, commandé par le gouvernement au coût de Rs 25 millions et soumis en juin 2021, la manutention est assurée par des équipes fixes pendant les quarts de travail. Toutefois, il n’y a pas de personnel de réserve lors des pics d’activités. Les autres ports ont trois équipes par quart de travail, mais cinq équipes au total. Xavier-Luc Duval a d’ailleurs rappelé que le rapport de PwC recommande une restructuration complète de la CHCL. «Ce rapport préconise un changement total, qu’il s’agisse du conseil d’administration, des conditions de travail ou de la formation des employés, entre autres», a-t-il déclaré. Une recommandation qui n’a pas été suivie d’effets jusqu’à présent, puisque trois ans après la soumission du rapport, rien n’a changé. Personne n’a réussi à proposer une réforme efficace alors que le secteur maritime s’oriente de plus en plus vers l’automatisation.

Les salaires

L’autre point soulevé dans le rapport concerne la considérable masse salariale de l’entreprise. «Depuis le départ de Gassen Dorsamy, la CHCL a été laissée à la merci du syndicat. Et il est naturel que le syndicat se concentre sur le salaire des employés», explique une source proche du dossier. En moyenne, la CHCL génère un chiffre d’affaires annuel de Rs 2,4 milliards. En 2022, dans le contexte post-Covid-19, la CHCL a réalisé un chiffre d’affaires de Rs 2,8 milliards. Selon le bilan financier 2021-2022, Rs 1,4 milliard sont allouées aux Employee Benefit Expenses, c’est-à-dire aux dépenses liées aux employés de l’entreprise, alors que les bénéfices nets sont de Rs 346 millions. Le sujet des salaires est presque tabou. Certains pointent du doigt les salaires élevés de la CHCL, les jugeant disproportionnés par rapport à la productivité des employés. Le rapport de PwC révèle que les coûts salariaux absorbent une part substantielle des revenus, soit entre 60 et 71 % chaque année. De plus, la CHCL compte deux fois plus d’employés que ce qui est généralement nécessaire dans l’industrie de la manutention. Depuis 2008, les négociations salariales aboutissent souvent à des augmentations de salaire supérieures à la moyenne nationale. Dans ce contexte, un nouvel accord est en cours de finalisation entre la Port-Louis Maritime Employees Association (PLMEA) et la CHCL, qui remplacera ainsi l’accord de 2016. Ce précédent «collective agreement» devait être renégocié en décembre 2020. Cependant, en raison de la pandémie, les discussions n’ont commencé qu’en 2021, et l’accord sera mis en œuvre cette année-ci. Les augmentations concernent les 60 catégories d’employés, et sont réparties en fonction du département et de l’ancienneté. Les employés les moins bien payés, c’est-à-dire les «general workers» nouvellement embauchés (Catégorie 1), recevront une augmentation de 15 %, leur salaire passant ainsi de Rs 15 760 à Rs 18 125. Quant à ceux qui sont en haut de l’échelle, à savoir les managers en poste depuis longtemps (Catégorie 60), leur augmentation sera de 9,7 %, leurs salaires passant de Rs 123 060 à Rs 135 025. Il convient de noter que le directeur général et le président ne sont pas concernés par ce rapport.

Heures supplémentaires

Les heures supplémentaires constituent une autre source d’érosion des finances de la CHCL, étant entre 1,5 et trois fois le taux normal en fonction des jours et des quarts de travail des employés. Les heures supplémentaires sont rémunérées lorsqu’un employé travaille plus de huit heures, le taux normal étant de 90 heures toutes les deux semaines. Le coût des heures supplémentaires a augmenté de 22 % et continue de croître. Cependant, le nouvel accord reverra entièrement le système. Désormais, les heures supplémentaires ne seront comptabilisées qu’après que l’employé ait accompli ses 40 heures de travail hebdomadaires, alors qu’actuellement, elles sont payables dès que l’employé travaille hors de ses heures normales. Néanmoins, les employés sont assurés d’avoir deux samedis et deux dimanches payés en heures supplémentaires, totalisant 80,5 heures par mois. Le paiement sera également révisé. Le taux de rémunération des heures supplémentaires variera désormais entre 1,5 et deux fois le taux horaire normal. Le rapport précise également que «les heures supplémentaires seront payées aux employés dont le salaire de base est de Rs 49 675 ou moins par mois. Cependant, sous certaines circonstances exceptionnelles, d’autres catégories de salariés, dont le salaire de base est supérieur à Rs 49 675 et jusqu’à Rs 77 225, pourraient recevoir une indemnité de service supplémentaire équivalente à 75 % du taux d’heures supplémentaires, sous réserve de l’approbation de la direction».

Bonus de productivité

En ce qui concerne le bonus de productivité, le Premier ministre a expliqué au Parlement que la moyenne des mouvements de grue est de 21,1 par heure. Xavier-Luc Duval a alors rappelé que les grues actuelles ont été achetées parce qu’elles peuvent effectuer 40 mouvements par heure. C’est sur cette base que le bonus de productivité est calculé. Ce bonus représente 6 % de la masse salariale. Lorsque le taux de 20 mouvements de conteneurs par heure est dépassé, une prime de 30 % du salaire de base est accordée. Ce bonus est maintenu dans le nouvel accord entre le syndicat et la direction. L’explication donnée est la suivante : «L’un des principaux avantages des bonus de productivité est qu’ils offrent une incitation claire et directe aux employés pour travailler de manière plus efficace et efficiente. En liant la rémunération à la performance, les employés sont motivés pour améliorer leurs compétences, travailler plus efficacement et trouver de nouvelles manières d’optimiser les opérations. Cela peut, à son tour, conduire à une augmentation du débit, à une réduction des temps de rotation et à une amélioration de la satisfaction des clients.» Cependant, les professionnels du secteur ne sont pas d’accord avec cette analyse. Tant que le bonus sera calculé sur la base de 20 mouvements, ils estiment qu’il n’y aura pas d’amélioration de la productivité.

Réorganisation et allocations

Le nouvel accord entre le syndicat et la direction qui sera signé préconise un nouvel organigramme de la CHCL, avec de nouvelles heures de travail et de nouveaux postes. Le but sera d’optimiser la performance. «The structure is designed in a way that enables the organisation to carry out its day-to-day operations efficiently, while also allowing it to adapt to changing market conditions and customer needs», fait ressortir l’accord. Est-ce la panacée tant attendue ? Pas d’illusions au niveau des employés. Ils avancent que ce qu’il fallait, c’est une vraie restructuration. «La structure officielle ne fonctionne pas. Souvent, certains doivent faire plus que leur scheme of duty, d’autres moins. La nouvelle structure officialise le système tel qu’il fonctionne sur le terrain ; elle ne revoit pas l’opération de l’optimiser par rapport aux ressources humaines existantes.» Dans le nouvel organigramme, les allocations et autres bénéfices, dont beaucoup sont octroyés à tous les fonctionnaires, ne changent pas trop.

Congés : Ceux ayant moins de dix ans de service ont 20 vacation leaves par an et peuvent les cumuler jusqu’à 150 jours. Les autres ont droit à 30 jours annuellement et peuvent les garder jusqu’à en avoir 150.

Médical : Les employés ont droit à un médecin sur place et peuvent avoir un remboursement des frais médicaux, s’ils habitent trop loin pour consulter le médecin sur place. Ils ont aussi Rs 2 500. Pour les lunettes, la somme varie de Rs 5 000 à Rs 10 000 chaque deux ans, dépendant du travail de l’employé. En cas de décès, la famille de l’employé reçoit Rs 20 000.

Fin d’année : Dépendant du temps de service, les employés ont un bonus allant de 5 % à 18 % de leur salaire à la fin de l’année.

Voitures : Les chefs de département qui n’ont pas le droit d’utiliser une voiture de société peuvent bénéficier d’une aide financière tous les cinq ans. Ils sont éligibles à une subvention en espèces, correspondant à 50 % de la valeur d’achat du véhicule. Cependant, il faut noter que cette aide ne peut pas dépasser l’équivalent de dix mois de leur salaire de base. Ceux dont le salaire de base est supérieur à Rs 77 225 ont droit, une fois tous les sept ans, à une subvention de 50 % de la valeur d’achat du véhicule, sans toutefois dépasser l’équivalent de neuf mois de leur salaire de base. Les employés dont le salaire de base est compris entre Rs 52 875 et Rs 77 225 peuvent également prétendre à une subvention pour l’achat d’une voiture tous les sept ans. Cette subvention correspond à 50 % de la valeur d’achat de la voiture, mais elle ne doit pas excéder l’équivalent de sept mois de leur salaire de base. Enfin, les employés dont le salaire de base est compris entre Rs 49 675 et Rs 52 875 ont droit, une fois dans leur carrière, à une subvention exceptionnelle de Rs 250 000 pour l’achat d’une voiture de moins de sept ans.

Essence : Pour ceux qui perçoivent un salaire de Rs 31 575 et plus, cette allocation s’élève à Rs 7 500 par mois. Si leur salaire est supérieur ou égal à Rs 35 975, ils reçoivent Rs 8 500 chaque mois. Pour un salaire de Rs 38 175 et plus, l’allocation passe à Rs 9 000 par mois. Les employés qui gagnent Rs 48 075 ou plus ont droit à une allocation plus élevée de Rs 10 450 par mois. Ceux qui ont un salaire de Rs 63 325 et plus reçoivent Rs 11 550 par mois. Si leur salaire est de Rs 73 250 et plus, ils bénéficient d’une allocation de Rs 12 650 par mois. Enfin, les chefs de département, quelle que soit leur rémunération, se voient attribuer une allocation mensuelle de Rs 15 000 pour l’essence.

Les équipements

La gestion du trafic portuaire de la CHCL laisse à désirer. Les conteneurs sont souvent disposés de façon désorganisée, et le chargement des navires est fréquemment effectué dans un ordre non optimisé. La productivité est étroitement liée à l’utilisation efficace des équipements portuaires, mais d’autres problèmes persistent. Plusieurs employés signalent les pannes récurrentes d’équipements indispensables au fonctionnement du port, tels que les chariots élévateurs et les gerbeurs de conteneurs, souvent en réparation. De plus, de nombreux processus administratifs sont encore effectués manuellement dans plusieurs départements, et certains calculs sont réalisés de manière désuète. Les employés, perplexes face à l’absence d’automatisation de ces processus, dénoncent cette situation. Les coûts d’exploitation et le remboursement de la dette pèsent également sur la CHCL, qui se retrouve dans l’incapacité d’investir dans des stratégies de développement ou d’augmentation du trafic en raison de sa dette non remboursée et de ses profits limités. Par ailleurs, la pression salariale réduit les fonds dédiés à l’entretien des portiques à pneus (RTGs), ce qui entraîne des pannes fréquentes et une réduction du nombre de mouvements de conteneurs par heure, affectant directement le rendement du port.

Cependant, ceux qui travaillent sur le terrain offrent une perspective différente. Selon eux, il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas eu d’investissement. Des investissements ont été réalisés, mais ils ont été mal gérés. Ils citent comme exemple la PNQ, qui mentionne l’achat récent de trois gerbeurs par une «méthode étrange», dont deux sont déjà tombés en panne après deux mois. Les employés se rappellent aussi, non sans ironie, de l’achat de 13 camions à Rs 500 millions en novembre 2020, qui n’ont jamais pu être utilisés car ils ne répondaient à aucune spécification. «Kouma met container lor la, larou la besé. Ti pou fasil nek respekté prosedir», expliquent-ils.

Il est également surprenant de constater une réticence à utiliser de nouveaux logiciels pour optimiser le traitement des navires, tels que Sparcs/XPS et, en partie, N4. Personne ne souhaite passer à N4, ce qui entraîne un manque d’efficacité du Terminal Operating System. Selon plusieurs employés, Gassen Dorsamy (l’ancien directeur général qui a quitté l’entreprise lorsque le Parti mauricien social-démocrate a quitté le gouvernement) avait tenté d’automatiser certains processus pour améliorer la productivité du port ; mais ce plan a été abandonné après son départ.

Les compagnies maritimes, telles que MSC et Maersk, envoient peu de navires pour le transbordement à Maurice. Les conteneurs destinés à l’île sont souvent déroutés vers d’autres ports de la région, entraînant des retards et des frais supplémentaires. Cela est dû en partie à la profondeur insuffisante des quais, qui n’est que de 16 mètres. De plus, la durée d’immobilisation des navires dans le port doit être suffisante pour permettre le déchargement, le chargement, le ravitaillement et les réparations. Cependant, la durée d’escale est souvent trop longue, ce qui crée des files d’attente et dissuade certains navires d’accoster à Port-Louis en cas de problèmes techniques. De plus, divers protocoles prolongent la durée d’attente lorsqu’un navire arrive à Maurice, y compris la vidange des eaux de ballast pour éviter l’introduction d’espèces invasives. Ce processus prend du temps et a contribué à la baisse de la place du port de Maurice dans le classement mondial.

Le changement climatique a également un impact sur l’activité du port. À Maurice, bien que les houles n’aient qu’un impact minime, l’absence d’analyse dynamique des amarres fait que le port est parfois inopérant en raison des conditions climatiques.

Et les syndicats dans tout ça ?

Les syndicats, eux, soulignent que beaucoup de processus se font manuellement. Et que les employés n’ont pas peur de travailler. D’autant que la nature dangereuse du travail justifie les salaires. Gérard Bertrand, négociateur de la Port-Louis Maritime Employees Association, souligne qu’il y a un accord collectif qui est signé par la direction avec les employés tous les trois à cinq ans, dépendant des négociations. «Les négociations qui sont en cours sont dues depuis plus de deux ans. Et il y a un back pay qui sera dû. Nous avons eu un draft agreement qui est étudié au sein du management et du board», avance le négociateur syndical.

Rama Valaydon, président de la Port-Louis Harbour Docks Workers Union, est d’accord qu’il y a beaucoup d’overtime qui sont payés. Mais il précise que c’est à cause du manque de main-d’œuvre après les départs dans divers segments d’activités de la CHCL. Selon lui, le problème d’efficience et de productivité est lié à la gestion des opérations. «Si on avait le right man in the right place, on aurait pu, comme dans le passé, avoir de bons résultats. Il faut une réforme et un bon gestionnaire, comme certains anciens qui ont fait leurs preuves», explique Rama Valaydon. Il parle aussi le recrutement controversé de 288 general workers, dont l’utilisation mal planifiée de ces ressources.

Au port, ce sont les syndicats qui mènent la danse car, face à des relations industrielles tendues, il y a la menace d’actions syndicales ou de grève dans un secteur vital de l’économie. La PLMEA est le seul syndicat qui a le sole recognition, le négociateur exclusif reconnu par la direction. À chaque période de négociation, la menace de grève est brandie ou un litige est déclaré auprès des instances de conciliation, une arme qui fonctionne car le management cède à chaque fois.