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Quel avenir pour le tourisme sans le «charme» mauricien ?

1 octobre 2022, 09:10

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Indéniablement, le charme mauricien serait un facteur primordial expliquant la réussite de notre industrie touristique. Il existerait quelque 300 destinations touristiques avec belles plages, lagon émeraude, nature luxuriante et climat modéré mais Maurice se distingue du lot en raison des caractéristiques particulières de sa population, du personnel déployé dans les hôtels et des petits operateurs fournissant différents services aux visiteurs. 

Dès que le touriste descend à Plaisance et s’il n’a pas voyagé à bord d’un avion d’Air Mauritius, il tombe sous le charme des Mauriciens travaillant à l’aéroport, des taximen, des chauffeurs et autres prestataires. À l’hôtel même, l’accueil bien particulier des Mauriciens reste incomparable au service offert dans d’autres pays. 

Pour mieux expliquer l’attrait purement humain, qui séduit les touristes étrangers en visite à Maurice, voici un témoignage vécu par un Mauricien lors d’un vol sur Londres. Ce passager avait pour voisin une Européenne, en larmes lors du décollage. Plus tard, quand le régime de vigilance a été levé et que le moment des apéritifs est arrivé, l’Européenne s’est remise à pleurer. Le voisin mauricien, croyant que la femme vivait des moments très difficiles, avec possiblement quelque épisode douloureux dans l’île, a cherché des moyens de pouvoir sympathiser avec elle. Il a alors réalisé que la femme, qu’il croyait britannique, parlait l’anglais avec un accent allemand. 

L’Allemande lui a raconté que cela lui fendait le coeur de quitter un pays aussi formidable que Maurice, qu’elle venait de vivre les moments les plus heureux de son existence. Elle était descendue dans un établissement cinq-étoiles sur la côte Est et elle y a été traitée comme une princesse par le personnel. Mais ce qui l’a touchée le plus, c’est qu’un serveur l’a invitée à un mariage dans sa famille. Elle fut surprise d’apprendre que les célébrations nuptiales se dérouleraient en phases différentes pendant trois jours. Elle a dit avoir reçu un accueil royal à chaque fois qu’elle s’est rendue dans la famille, elle a été choyée par tout le monde. Des jeunes filles l’ont même aidée à draper un sari à deux reprises. 

Donc, cette Allemande pleurait littéralement de joie. Et si elle revenait à Maurice dans le contexte de 2022 ? Il est beaucoup question ces jours-ci de l’effritement de la main-d’oeuvre mauricienne dans les hôtels du pays. Il semblerait que ceux déjà formés dans le métier abandonnent graduellement les hôtels pour aller travailler sur des navires de croisière. Et que les hôtels n’attirent presque plus de nouveaux intrants mauriciens, les jeunes concernés n’étant nullement appâtés par les salaires et les conditions d’emploi dans les hôtels, quand ils ne vivent pas dans leur propre univers de drogue synthétique. On a même avancé l’idée que des Bangladeshis viennent remplacer les Mauriciens dans les hôtels. Comme ils le font sur des chantiers de construction, dans des usines comme dans des boulangeries et poulaillers. 

Dans un tel cas de figure, à moins d’être invitée à assister à une fête dans un dortoir pouilleux et nauséabond, notre Allemande aurait raté la dimension humaine de l’accueil mauricien, qui l’a tellement émue dans l’avion en partance pour l’Europe. 

Les grands barons de l’industrie touristique mauricienne pensent autrement. C’est la maximisation des rentes qui compte avant tout, donc l’appel à la main-d’oeuvre étrangère, de préférence bangladeshie, qui coûte moins cher que celle de Maurice. Pour sauver le secteur même, il faudrait penser autrement, penser à long terme. Il faudrait ainsi concevoir des schemes attrayants à l’intention des jeunes en termes de salaire et de conditions de travail. Il existerait des disparités énormes dans le traitement reçu par les cadres supérieurs et les petits boys au bas de l’échelle. Gaëtan Duval, un des principaux créateurs du secteur touristique mais qui devint aussi le défenseur des droits des travailleurs dans l’hôtellerie, avait l’habitude de faire remarquer comment les employés étaient estomaqués de voir chaque jour leur établissement fonctionner comme une mine d’or pour les actionnaires. Ils ne manquaient pas de prendre note du coût de la chambre et du prix d’une bouteille de vin consommée par le touriste et ils comparaient tout cela avec leurs propres salaires. 

Le secteur touristique et hôtelier a évolué au point où une remise en question fondamentale s’avérerait nécessaire. Il faudrait se départir du paradigme assurant des revenus massifs aux actionnaires locaux et étrangers, des salaires princiers aux cadres supérieurs et des salaires de misère au reste du personnel. Sans la présence dans nos hôtels d’employés mauriciens culturellement extravertis et qui réussissent une interaction positive et enrichissante avec les clients étrangers, le pays perdrait l’atout déterminant, qui explique pourquoi, ceteris paribus, plage pour plage, soleil pour soleil, Maurice se démarque d’autres attractions touristiques. Et encore que Maurice est, pour les Européens, encore plus éloigné que la côte méditerranéenne et les îles des Caraïbes. 

Pour pouvoir retenir son personnel mauricien, pour que le sourire typique du pays revienne dans le paysage hôtelier, pour que la joie de vivre mauricienne se manifeste à chaque contact avec le touriste, il faudrait nécessairement songer à un rethinking radical dans le traitement que l’on donne aux employés, que ce soit en termes de salaires, d’avancement dans la profession, d’opportunités de formation poussée, d’entrée dans le management même. Et pourquoi ne pas utiliser la vieille recette consistant à inviter les travailleurs à participer à l’actionnariat même de l’entreprise et à siéger sur son comité de direction ? Pourquoi ne pas faire mieux que le Sugar Investment Trust (SIT) actuellement malade mais qui avait pour mission de réunir usiniers, barons sucriers, planteurs, laboureurs et artisans dans la même famille ?